L’ancien président tente de tirer les dividendes politiques d’une deuxième attaque contre lui. Mais la candidate démocrate, qui a gagné en légitimité, s’avère une rivale redoutable.
Incrimination erronée
En attendant, une certitude s’impose: la violence gangrène la course à la Maison-Blanche comme cela a rarement été le cas dans l’histoire des Etats-Unis. Selon Tanguy Struye de Swielande, professeur de relations internationales à l’UCLouvain, deux phénomènes expliquent cette tendance inédite à certains égards, même si la vie politique américaine a déjà été émaillée par le passé d’attaques sur les personnes. «D’abord, la polarisation de la société n’a jamais été aussi forte. Ensuite, on observe une augmentation de la violence des mots depuis que Donald Trump a fait irruption sur la scène politique.»
«Kamala Harris a aussi réussi à montrer aux Américains une image très différente de celle de Donald Trump.»
Pour faire «fructifier» les dividendes qu’il pourrait tirer de l’incident de Mar-a-Lago, Donald Trump, plus offensif que lors de la tentative d’assassinat de juillet, a directement incriminé la candidate à la Maison-Blanche et le président sortant, affirmant que Ryan Wesley Routh, l’agresseur potentiel connu comme un supporter de la cause ukrainienne, «adhérait au discours de Joe Biden et de Kamala Harris» sur la guerre et qu’en vertu de ce constat, «leur rhétorique [avait] fait que l’on me tire dessus». Les républicains sont certes nettement moins résolus que les démocrates à soutenir Kiev sur le long terme. Pour autant, assimiler le suspect de Floride a un inconditionnel du Parti démocrate est excessif. «Dans les deux tentatives d’assassinat, il est intéressant de noter que les personnes incriminées ont plutôt des profils de droite, qui ont voté pour Donald Trump par le passé, fait observer Tanguy Struye de Swielande. Il s’agit davantage de déçus de Trump ou de l’évolution du Parti républicain. Donald Trump « vend » leur personnalité comme celle de « fascistes de gauche ». Mais dans les faits, rien n’indique que ces deux attaques émanaient du camp démocrate.»
Si le climat de la campagne n’était pas aussi électrique et, à tout moment, susceptible de s’enfoncer dans une violence plus grande, la réplique de Donald Trump pourrait apparaître de «bonne guerre». Qui plus est, pour un candidat fragilisé par l’échec de sa prestation lors du débat télévisé du 10 septembre. Le costume de martyr lui va si bien…
Une ouverture aux républicains
En face, en effet, Kamala Harris a indéniablement gagné en présidentialité à la faveur de sa première confrontation directe avec le candidat républicain. «Elle a réussi, à travers ses réponses et aussi sa gestuelle, à s’affirmer comme une présidentiable tout à fait acceptable alors que jusque-là, on l’avait très peu vue dans cette position, puisque le statut de vice-présidente ne lui donnait pas énormément de visibilité et surtout de liberté d’action. Elle a aussi réussi à montrer aux Américains une image très différente de celle de Donald Trump et ainsi à leur offrir un choix», analyse Serge Jaumain, professeur d’histoire contemporaine et codirecteur du centre interdisciplinaire d’étude des Amériques à l’ULB.
Le spécialiste des Etats-Unis pointe en particulier deux séquences du débat où la communication non verbale a eu une signification importante. La première quand, d’emblée, elle s’est avancée vers Trump pour lui serrer la main: «C’était une manière de montrer qu’elle était prête au combat et, en même temps, qu’elle savait faire preuve d’une certaine cordialité. De la sorte, elle se tourne vers les électeurs républicains, et indique qu’elle n’établit pas un mur entre les deux camps comme le fait Donald Trump.» Cette incapacité du candidat républicain à attirer les indécis, les indépendants ou les électeurs démocrates «dissidents» est questionnée au sein même du Grand Old Party. Deuxième moment exploité à son avantage par Kamala Harris, celui où elle a réagi au récit de son adversaire sur «les migrants mangeurs de chats et de chiens» à Springfield. «Sa posture, ses mimiques, ses sourires ont fortement marqué. Elle a essayé de la sorte de déstabiliser Donald Trump», avance Serge Jaumain.
«Kamala Harris a montré à la faveur de ce débat qu’elle peut résister sans aucun problème à Donald Trump puisque tout le monde s’accorde pour dire qu’elle a gagné, complète le professeur Struye de Swielande. Mais cela lui a aussi permis d’acquérir une légitimité aussi bien auprès des gens qui ne la connaissaient pas aux Etats-Unis, les indépendants et les indécis, que parmi les alliés des Etats-Unis dans le monde. Elle a prouvé qu’elle maîtrisait les dossiers, qu’elle existait en tant que telle, et qu’elle n’avait pas besoin de Biden.»
«Que Kamala Harris soit entrée aussi tard dans la campagne électorale pourrait se transformer en avantage.»
Un sans-faute?
Depuis son émergence dans la campagne après le 21 juillet fatidique à Joe Biden, Kamala Harris a réalisé, en l’occurrence, ce qui ressemble à un parcours sans faute. Trois moments l’ont jalonné: la convention démocrate de Chicago du 19 au 22 août où elle a été plébiscitée, l’interview télévisée à CNN le 29 août au cours de laquelle elle a assuré sans briller, et le débat face à Donald Trump le 10 septembre dont elle sortie gagnante. «Globalement, on a l’impression d’une courbe croissante, juge Serge Jaumain. Il y a quelques mois, on disait que ce seraient surtout les désabusés qui feraient l’élection en ne se déplaçant pas. Kamala Harris a redynamisé son camp et a réenchanté la campagne.»
Les sondages ne traduisent pas nécessairement de façon manifeste le nouvel élan de la candidate démocrate. Mais ils lui sont en tout cas plus favorables que ce qu’ils l’étaient pour Joe Biden avant l’été. «C’est une quasi-égalité dans tous les swing states, observe Tanguy Struye de Swielande. C’est positif pour Kamala Harris parce qu’avec Joe Biden, le Parti démocrate était perdant dans chacun d’eux. Aujourd’hui, on ne peut pas dire qui l’emportera. L’évolution est importante. S’ajoute à cette tendance le fait qu’elle réduit l’écart avec Donald Trump dans des Etats où l’on ne pensait pas cela possible. En Iowa, par exemple, Donald Trump, qui a eu jusqu’à 18 points d’avance à l’époque de Biden, n’en a plus que trois ou quatre.»
L’issue de la présidentielle américaine reste donc totalement incertaine. Les derniers jours de la campagne, dépourvus, hormis le débat des vice-présidents le 1er octobre, de moments forts comme un nouvelle joute Harris-Trump que le second a refusée, seront animés par les meetings, les interviews ou le matraquage sur les réseaux sociaux. Serge Jaumain et Tanguy Struye de Swielande pointent chacun une caractéristique a priori de nature à désavantager Kamala Harris mais qui pourrait finalement la servir. Le professeur de l’ULB avance la possibilité d’élire, pour la première fois, une femme à la présidence. Si l’idée rebute encore certains Américains, la plupart de ceux-là sont d’ores et déjà acquis à la candidature de Donald Trump. «C’est peut-être plus un avantage d’être une femme lors de cette élection-ci qu’auparavant, parce qu’un des dossiers importants de la campagne est la question de l’avortement. Kamala Harris est beaucoup plus légitime à parler de ce dossier que Donald Trump. Elle sait qu’elle a une carte à jouer sur ce plan-là.»
Le professeur de l’UCLouvain épingle de son côté l’irruption tardive de la vice-présidente sortante dans la course. Un inconvénient? Pas sûr du tout. Alors que la question se pose de savoir comment Kamala Harris entretiendra la tendance qui lui est favorable jusqu’au 5 novembre prochain, «le fait qu’elle soit rentrée aussi tard dans le combat pourrait se transformer en avantage. Au lieu de faire une campagne pendant un an et de lasser les électeurs, elle aura eu trois mois pour se faire connaître, pour soulever un enthousiasme… Cela pourrait être suffisant.» Réponse le 6 novembre, si tout va bien.
Trump et les Haïtiens, un cas pathologique?
La propagation par Donald Trump, en plein débat télévisé de campagne présidentielle, d’une légende urbaine sur des migrants qui tuent, dépècent et mangent des chats et des chiens alourdit le passif raciste du candidat officiel du Parti républicain envers les Haïtiens.
En juin 2017, président depuis quelques mois, alors qu’on lui présentait une liste des immigrants arrivés aux Etats-Unis depuis le début de l’année lors d’une réunion à la Maison-Blanche, il avait affirmé, s’agissant des Haïtiens, qu’«ils ont tous le sida», selon The New York Times. Son cabinet avait démenti. En 2018, au cours d’une rencontre avec des parlementaires pour discuter d’un nouveau texte sur l’immigration, il avait lancé, parlant de Haïti, du Salvador et d’Etats africains, «pourquoi avons-nous tous ces gens de « pays de merde » qui viennent ici?». En octobre 2021, sorti de charge présidentielle, il déclarait lors d’une interview à Fox News: «Beaucoup de personnes (NDLR: venant d’Haïti) ont probablement le sida, elles entrent dans notre pays et nous ne faisons rien.»
Donald Trump l’homme d’affaires était en revanche moins agressif à l’encontre des Haïtiens lorsque dans les années 1980, il vendit un appartement au 54e étage de la Trump Tower, à New York, à «Bébé Doc», Jean-Claude Duvalier, président-dictateur de 1971 à 1986, mis en examen pour crimes contre l’humanité en 2014 avant de décéder.