Une dizaine d’Etats veulent arrêter de financer l’UNRWA, organe de l’ONU qui vient en aide aux Palestiniens sur le terrain, et soupçonné d’être lié à l’attaque terroriste du Hamas d’octobre dernier. La Belgique pourrait se positionner ce mercredi. Sans argent, l’UNRWA ne pourra plus subvenir aux besoins des 2 millions de réfugiés dans la bande de Gaza. Analyse avec Elena Aoun (UCLouvain), experte du conflit israélo-palestinien.
C’est un non-sens total qui, à terme, peut provoquer la mort de milliers de Palestiniens ». Les propos d’Elena Aoun, professeure à l’UCLouvain et fine observatrice du Moyen Orient, sonnent comme un avertissement. La chercheuse craint les conséquences d’une suspension du financement de l’UNRWA, l’agence onusienne qui vient en aide aux réfugiés palestiniens, déjà décrétée par une dizaine de pays.
L’UNRWA a été fondée en 1949 pour venir en aide aux réfugiés palestiniens, éparpillés entre Gaza, la Cisjordanie, la Jordanie, le Liban et la Syrie après la création de l’Etat d’Israël. Elle s’occupe notamment de l’aide humanitaire en cas d’urgence, dans le cadre du conflit israélo-palestinien. Ce weekend, l’office de l’ONU s’est retrouvé dans la tourmente. Le gouvernement israélien a affirmé qu’une dizaine d’employés étaient liés à l’attaque terroriste perpétrée par le Hamas le 7 octobre. Des personnes qui ont été, pour la majeure partie, licenciées par l’UNRWA. Mais ce n’est pas tout. D’après les services de renseignement américains, 10% des 12.000 employés actifs à Gaza seraient liés au groupement terroriste propalestinien.
« L’UNRWA a fait le ménage, mais Israël persiste et signe car l’Etat hébreu veut liquider l’agence onusienne depuis des années », glisse Elena Aoun. Selon l’universitaire, le timing de l’annonce par l’exécutif israélien n’a rien d’anodin. « Elle survient le lendemain de la décision de la Cour internationale de la Justice (CIJ) à propos de la reconnaissance d’une situation de génocide à Gaza. Pour Israël, cette polémique est une occasion en or de rabaisser encore la cause palestinienne ».
Les pays qui ont suspendu leur financement de l’UNRWA
Suite aux révélations de l’Etat israélien, les annonces de pays désirant suspendre le financement de l’agence se sont enchainées. Ils sont 11 à avoir suivi le mouvement initié par les Etats-Unis, principal donateur de l’UNRWA (plus de 340 millions de dollars en 2022). Parmi eux, on retrouve un autre contributeur important, l’Allemagne (plus de 200 millions de dollars en 2022). Au-delà de l’effet politique de leurs annonces, ces pays se limiteront probablement à ne pas s’engager pour le versement de fonds supplémentaires, mais ne couperont pas le robinet des versements actuels/déjà prévus.
D’autres attendent les résultats de l’enquête interne menée par l’ONU avant de décider quoi faire des versements d’argent à l’UNRWA. C’est le cas de la France, qui n’a pas prévu de nouveau versement au premier trimestre 2024. De son côté, l’UE, 3e plus gros contributeur (114 millions de dollars en 2022), a réclamé l’audit d’experts indépendants pour y voir plus clair.
L’Espagne et la Norvège sont pour l’instant les seuls à avoir décidé de maintenir leur financement à l’UNRWA. Ils veulent éviter de mettre en péril l’aide humanitaire aux réfugiés palestiniens.
« Il n’est pas question d’interrompre l’aide humanitaire à l’attention de la population de Gaza »
Le cabinet du Vice-premier ministre Pierre-Yves Dermagne (PS).
Aide aux Palestiniens: la Belgique n’a pas encore décidé ce qu’elle allait faire
Qu’en est-il de la Belgique ? En 2022, le pays était dans le top 20 des contributeurs les plus importants auprès de l’agence d’aide aux réfugiés. L’an dernier, la Belgique a versé 13,5 millions d’euros à l’UNRWA (11,5 millions pour financer l’organisation et ses projets et 2 millions supplémentaires pour pallier la crise humanitaire à Gaza).
Le plat pays ne s’est pas encore positionné sur la question du financement de l’office d’aide aux Palestiniens. Mais le point sera discuté ce mercredi en kern. « Il n’est pas question d’interrompre l’aide humanitaire à l’attention de la population de Gaza (et des réfugiés palestiniens en général) », explique le cabinet du Vice-premier ministre Pierre-Yves Dermagne (PS).
Sur les réseaux sociaux, le débat a déjà commencé. Caroline Gennez (Vooruit), ministre de la Coopération au développement, avait déclaré sur X ce weekend que « l’aide humanitaire vitale doit continuer à atteindre les civils à Gaza et dans les territoires palestiniens ». La ministre disait aussi avoir réagi « en demandant une transparence totale et des actions appropriées de la part de l’Unrwa ».
Le député fédéral N-VA Theo Francken a de son côté demandé un gel des donations de la Belgique à l’agence. « L’omerta et la haine d’Israël dans le camp propalestinien sont tels qu’on reste aveugle face à la gigantesque collusion à la terreur du Hamas au sein de l’Unrwa ». Pour sa collègue de parti Kathleen Depoorter, le soutien à l’aide humanitaire aux Gazaouis pourrait éventuellement passer par d’autres organisations.
« Symboliquement, la Belgique devrait rester sur sa ligne diplomatique actuelle et garder le droit international comme boussole »
Elena Aoun (UCLouvain), experte du conflit israélo-palestinien
« L’aide humanitaire ne s’improvise pas, et au niveau local, l’UNRWA est l’acteur le plus efficace »
La Belgique contribue au financement de l’aide humanitaire des réfugiés palestiniens via d’autres organes comme le fonds humanitaire des Nations unies pour la Palestine (6 millions d’euros en 2023). Ou la Croix-Rouge, mais cette dernière n’est pas active uniquement à Gaza.
Elena Aoun estime qu’aucune de ces organisations n’a la même force de frappe que l’Unrwa. « L’aide humanitaire ne s’improvise pas. Et au niveau local, l’agence de l’ONU est la plus efficace ». Sur le terrain, l’office d’aide aux réfugiés palestiniens dispose des meilleures infrastructures. C’est, par exemple, la seule organisation d’aide humanitaire capable de mettre des abris à disposition.
« Symboliquement, la Belgique devrait rester sur sa ligne diplomatique actuelle et garder le droit international comme boussole, préconise Elena Aoun. Et ne pas suivre les autres Etats occidentaux ‘démocratiques’, qui en réalité continuent de choisir le camp d’Israël, dont le gouvernement d’extrême-droite est accusé de génocide ».
Financée à 98% par la donation des Etats membres de l’ONU, l’UNRWA ne pourra pas survivre longtemps si certains coupent le robinet du financement. Son secrétaire général a déjà annoncé que l’organisation ne pourrait pas assurer toutes ses missions en février. Une bien mauvaise nouvelle pour les 2 millions de réfugiés palestiniens dans la bande de Gaza (et les autres).