Chaque année, près de 4.000 femmes enceintes en Europe apprennent qu’elles sont atteintes d’un cancer. Grâce au travail de l’onco-gynécologue Frédéric Amant, elle peuvent aujourd’hui poursuivre leur grossesse.
Juste avant l’entretien, Frédéric Amant reçoit un appel d’un oncologue anglais dont une patiente enceinte vient d’être diagnostiquée avec un cancer de l’estomac. Il veut savoir s’il peut provoquer une naissance prématurée pour commencer rapidement la chimiothérapie. «Ne le faites pas, répond Frédéric Amant. A partir du deuxième trimestre de la grossesse, la chimiothérapie n’est plus nocive pour le fœtus.»
«C’est l’un des nombreux malentendus au sujet du cancer pendant la grossesse, développe l’onco-gynécologue. Nous sommes trop prudents. De nombreux traitements contre le cancer peuvent être administrés à une patiente enceinte sans nuire à l’enfant à naître.»
Malchance
Jusqu’au début des années 2000, un cancer pendant la grossesse relevait de la malchance et était généralement interrompue afin de traiter la patiente. Mais en 2004, une femme enceinte atteinte d’un cancer protesta: elle voulait absolument garder son enfant. «Grâce au suivi de la grossesse, le cancer avait été détecté précocement. Elle estimait donc qu’elle devait sa vie à son enfant, raconte Frédéric Amant. Elle était prête à prendre un risque.»
A l’époque, il existait très peu de publications sur des traitements du cancer avec maintien de la grossesse, mais en Argentine, des médecins avaient déjà tenté l’expérience. «J’ai suivi leur avis, ajoute Frédéric Amant. La patiente a reçu une chimiothérapie, et une césarienne a été pratiquée à 32 semaines de grossesse. La mère et l’enfant se portent bien.» Sensibilisé par ce cas, le médecin belge s’est alors spécialisé dans les cancers chez les femmes enceintes.
Aujourd’hui, le professeur Amant est un expert de renommée internationale en la matière et des médecins du monde entier sollicitent ses conseils, comme son collègue anglais. Il a construit un réseau d’experts en oncologie et de gynécologues qui unissent leurs forces autour du cancer pendant la grossesse. Un institut a été créé pour recueillir des données et élaborer des directives l’International Network on Cancer, Infertility and Pregnancy (INCIP).
Comme il était impossible de fournir en permanence des conseils personnalisés sur chaque dossier, une plateforme en ligne sécurisée a vu le jour en 2021: Advisory Board on Cancer, Infertility and Pregnancy (ABCIP), où les médecins peuvent télécharger un dossier, poser des questions à une équipe d’experts et où les experts peuvent discuter entre eux. «En une semaine, le demandeur reçoit un résumé des conseils des experts, adapté à son pays. Depuis sa création, cette plateforme a déjà fourni 450 avis individualisés à des médecins de 46 pays.»
«Une opération pour traiter un cancer est parfaitement possible. Les radiothérapies sont sûres au début de la grossesse.»
Que peut-on faire et ne pas faire?
Ce n’est pas parce qu’une femme est enceinte qu’elle ne peut être opérée. Les futures mères se retrouvent d’ailleurs assez souvent sur la table d’opération, par exemple en cas d’appendicite aiguë ou après un accident. Une opération pour traiter un cancer est donc parfaitement possible. Les radiothérapies sont sûres au début de la grossesse. Si seule la partie supérieure du corps doit être irradiée (en cas de cancer du sein, par exemple), cela peut également se faire au deuxième trimestre. La chimiothérapie est possible à partir de trois mois de grossesse. Pas au premier trimestre, car les organes sont alors en formation. La chimiothérapie peut légèrement ralentir la croissance du fœtus et entraîner un poids à la naissance plus faible, mais généralement, l’enfant rattrape rapidement ce retard. L’immunothérapie est en revanche évitée car elle est potentiellement dangereuse pour l’enfant à naître, tout comme de nombreux nouveaux médicaments contre le cancer dont la sécurité n’est pas encore garantie.
De plus en plus de cas
Environ une femme enceinte sur 2.500 développe un cancer. En Europe, on estime qu’il s’agit de 2.000 à 4.000 femmes par an. A l’UZ Leuven, l’équipe multidisciplinaire suit chaque année une vingtaine de cas. Le cancer pendant la grossesse est souvent détecté tardivement, mais lorsqu’il est diagnostiqué à temps, les chances de survie sont aussi élevées que pour les patientes non enceintes.
«Lorsque le cancer est diagnostiqué à temps, les chances de survie sont aussi élevées que pour les patientes non enceintes.»
Les chiffres provenant de Scandinavie –où ces cas sont enregistrés– montrent une légère tendance à la hausse. Deux explications sont avancées. Les femmes tombent enceintes à un âge plus avancé et présentent alors un risque légèrement accru de cancer. De plus, le test prénatal non invasif (NIPT) joue un rôle. Ce test est destiné à détecter trois anomalies chromosomiques chez le fœtus à partir d’un échantillon de sang de la mère: la trisomie 21 (syndrome de Down), 18 et 23. «Certains laboratoires ne ciblent pas uniquement ces anomalies chromosomiques mais procèdent à un dépistage génétique global de l’échantillon sanguin, explique le professeur Amant. Ils découvrent ainsi parfois d’autres anomalies, notamment des fragments génétiques de cellules cancéreuses provenant de la mère. C’est ainsi que nous détectons aujourd’hui davantage de cancers chez les femmes enceintes.» Les femmes doivent toutefois être informées lorsqu’un laboratoire étend ses recherches au-delà des trois anomalies chromosomiques ciblées chez l’enfant à naître.
Les enfants dont la mère a été traitée pour un cancer pendant la grossesse se portent bien, affirme Frédéric Amant, qui est fier de son équipe ainsi que des mères et enfants qu’il suit. «Nous disposons actuellement de données concernant des enfants jusqu’à l’âge de quinze ans. Nous n’observons que de légères anomalies au niveau de l’attention et du QI lorsque les enfants sont nés prématurément, ont été exposés à la chimiothérapie et que leur mère est décédée beaucoup trop tôt.»