Submergée par l’angoisse suite à l’élection de Trump, la communauté LGBTQIA+ américaine tente de répondre à la haine dont elle est victime en misant sur la solidarité et l’entraide.
«Je sais pas vous, mais moi j’ai du mal à trouver un endroit pour exprimer mes émotions en ce moment», lance la drag queen Lisa Frankenstein aux clients du bar LGBTQIA+ Oasis à San Francisco. «Alors à trois, on va crier tous ensemble. Un, deux, trois: Aaaaaaah!». C’est ainsi qu’un cri guttural collectif s’est élevé dans la nuit le week-end dernier, poussé par une communauté sous le choc après la victoire de Donald Trump. «C’est une réponse au sentiment d’être submergé et terrifié par ce qui pourrait arriver avec cette nouvelle administration», explique D’Arcy Drollinger, drag queen emblématique de la ville californienne et propriétaire d’Oasis.
Un club new-yorkais a organisé ce cri «cathartique» et il s’en est inspiré: «On fait sortir la peur et la colère. On se rassemble. Et on se rappelle que nous avons une voix et qu’il faut l’utiliser». «C’était incroyable, hyper libérateur», commente Cindy Sigler, spectatrice, «ça fait beaucoup plus de bien que de crier dans un oreiller».
De nombreuses personnes gay, transgenres ou encore non binaires vivent la deuxième élection du candidat républicain comme un coup dur et une attaque de leur communauté. Le LGBT National Help Center reçoit environ 2.000 appels par jour depuis le verdict des urnes, au lieu de 300 d’ordinaire, indique Aaron Almanza, directeur de cette ligne d’assistance téléphonique. «Ils expriment de la colère, du désespoir, de la peur», résume-t-il. «On leur recommande d’éviter les réseaux sociaux pour l’instant, cela nourrit trop l’anxiété.»
La communauté LGBTQIA+ plongée dans l’incertitude
Le camp républicain a diffusé de nombreuses publicités de campagne transphobes. Les clips montrant des femmes trans dans le sport féminin, ou avilissant l’utilisation des fonds publics pour les soins d’accompagnement des transitions ont été particulièrement efficaces, selon les analystes politiques. Seul 1% environ de la population américaine s’identifie comme transgenre. Mais la droite «utilise les personnes trans et le manque d’éducation sur cette communauté pour diviser et faire peur», considère Rebecca Rolfe, directrice du LGBT Center de San Francisco, évoquant une «stratégie cynique et diabolique».
Les associations de défense des minorités s’attendent à ce que le nouveau gouvernement conservateur démantèle les règles qui interdisent les discriminations sur la base de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre au travail, à l’école, dans l’armée ou pour l’accès au logement, comme cela avait été le cas pendant le premier mandat de Donald Trump. Ce dernier a promis d’interdire les thérapies hormonales de transition pour les mineurs et d’attaquer les médecins et éducateurs impliqués. Son programme prévoit «une loi établissant que les seuls genres reconnus par le gouvernement américain sont ‘homme’ et ‘femme’, et qu’ils sont assignés à la naissance».
Depuis que la Cour suprême est revenue en arrière sur le droit à l’avortement, qui semblait intouchable, la communauté LGBTQIA+ craint que d’autres acquis ne soient menacés. «Ma copine et moi avons peur», dit Olivia Poore, une étudiante venue à Oasis pour crier. «On se demande si on devrait se marier maintenant. Au cas où on perde ce droit bientôt.»
«Briller encore plus fort»
Au-delà des lois, la victoire de candidats ouvertement machistes, soutenus par des personnalités ayant tenu des propos transphobes comme Elon Musk, fait craindre un déferlement de haine, à l’abri d’éventuelles poursuites juridiques. «Les vies des gens sont en jeu», estime Rebecca Rolfe. «Ils font face à la transphobie et à l’homophobie partout dans le pays, même ici (…) On s’attend à une augmentation des suicides et des problèmes de santé mentale».
«C’est super, la moitié du pays ou plus veut ma mort», ironise Joey The Tiger, un voltigeur trans. Il raconte que nombre de ses amis envisagent de quitter les Etats-Unis. Lui va de nouveau organiser «Spectrum», un spectacle d’arts aériens pour lever des fonds à destination d’ONG de soutien aux personnes trans. Il l’avait lancé après la première élection de Trump. «J’espérais ne jamais avoir à le refaire», relate-t-il. Au final, il a renouvelé l’opération à plusieurs reprises, en réaction aux différentes attaques contre la communauté.
Répondre à la haine avec des paillettes et de l’entraide, une approche similaire à celle de nombreux autres artistes LGBTQIA+, dont D’Arcy Drollinger. «Je passe beaucoup de temps à encourager tout le monde à être fabuleux», note D’Arcy. «Quand ça va moins bien, c’est le moment de briller encore plus fort.»