Avec l’arrivée du printemps, les allergies saisonnières gagnent du terrain. En Belgique, près de 10% de la population est aujourd’hui allergique au pollen des arbres de la famille des bétulacées (bouleau, noisetier, charme…) Ce phénomène, bien documenté, s’accompagne d’un autre trouble de plus en plus fréquent: le développement d’allergies croisées à certains fruits.
Un nez qui coule, des yeux qui grattent, un essoufflement… Et si c’était à cause de la pomme mangée en guise d’en-cas? «Une allergie au pollen peut entraîner une allergie aux fruits toute l’année», prévient Olivier Michel, pneumo-allergologue à l’hôpital Delta et professeur à l’ULB. Le lien entre allergies au pollen et allergies alimentaires est établi depuis plusieurs années. Le professeur observe même une recrudescence de ces cas dans sa pratique: «C’est ultra fréquent. Les patients présentent une allergie croisée entre les pollens des bétulacées et certains fruits contenant des noyaux, comme la cerise, la pêche ou encore les fruits à coque.»
Cette allergie croisée est liée à une ressemblance moléculaire. Les protéines présentes dans le pollen du bouleau, par exemple, possèdent une structure similaire à celle de la pomme. Le système immunitaire, sensibilisé au pollen, réagit de la même manière lorsqu’il entre en contact avec la protéine du fruit. «Le corps ne fait pas la différence entre les deux protéines», explique Olivier Michel.
Selon les estimations de l’institut belge de santé publique Sciensano, 15% des personnes allergiques aux pollens de bétulacées développeraient une allergie croisée alimentaire. Parmi les pollens les plus concernés figurent ceux du bouleau, du noisetier, du chêne ou du charme. Les fruits associés incluent également la poire, l’abricot, la noisette, la carotte, le céleri ou encore l’arachide.
«Ne pas arrêter la consommation de fruits en cas de symptômes légers»
Les recommandations données aux patients ont évolué au fil des années. «Il y a 15 ans, on fonctionnait autrement. Les spécialistes bannissait les fruits problématiques du régime du patient, explique Olivier Michel. Il ne faut pas arrêter la consommation des fruits sur lesquels on est allergique. Cela permet de faire fonctionner la tolérance et de développer des anticorps.»
Il y a des limites aux conseils de l’allergologue: «Ce que je dis aux patients, c’est que si les symptômes sont plus dérangeants que le plaisir apporté par le fruit, alors il faut arrêter. La cuisson des fruits est aussi un moyen de contourner le problème. Les protéines responsables de l’allergie sont sensibles à la chaleur. 95 à 97% des patients tolèrent la compote, car le fruit est cuit.»
Certaines formes d’allergie présentent des symptômes plus sérieux. «Environ 15 à 20% des patients ont des symptômes comparables à une grippe: fatigue, courbatures, troubles du sommeil. Cela a un effet sur la santé.» Le spécialiste observe également une augmentation des crises d’asthme associées au pollen du bouleau.
La pollution en cause
Les allergologues comprennent également mieux aujourd’hui les croisements entre les pollens des végétaux et certaines protéines présentes dans les fruits ou les aliments. Cette connaissance affinée s’accompagne d’un constat: plusieurs facteurs environnementaux aggravent la prévalence et la sévérité des allergies croisées. Parmi eux, la pollution atmosphérique et la hausse de la concentration de CO₂ dans l’atmosphère jouent un rôle clé.
La concentration accrue de dioxyde de carbone dans l’air, liée aux activités humaines, agit directement sur les plantes. Le CO₂ est un élément essentiel de la photosynthèse, les végétaux absorbent le carbone pour produire leur biomasse. Une atmosphère plus riche en CO₂ stimule leur croissance, ce qui peut entraîner une production accrue de pollen. Plusieurs études ont démontré que certaines espèces d’arbres et de graminées, exposées à des concentrations plus élevées de CO₂, émettent davantage de pollen, avec une période de pollinisation parfois plus longue.
Ce pollen supplémentaire n’est pas anodin sur le plan allergénique. «Une exposition prolongée ou répétée peut favoriser le développement d’une allergie, même chez des individus qui n’y étaient pas initialement sensibles», rappelle le professeur Olivier Michel.
Les polluants atmosphériques ont aussi une part de responsabilité. Ceux émis par les véhicules (particules fines, oxydes d’azote, ozone) modifient la composition et la structure même des grains de pollen. Les particules polluantes s’accrochent à la surface des grains, facilitant leur pénétration plus profonde dans les voies respiratoires. «Certains polluants, comme ceux liés au trafic routier, rendent les pollens plus agressifs parce qu’ils sont plus concentrés», précise Olivier Michel. Les pollens altérés peuvent contenir davantage de protéines allergéniques ou provoquer une réaction inflammatoire plus intense chez les personnes sensibles.
La combinaison de ces facteurs –climat plus chaud, concentration accrue de CO₂, pollution– aboutit à un allongement des saisons polliniques. Les périodes d’exposition sont prolongées, laissant moins de répit aux personnes allergiques et augmentant le risque de déclenchement d’allergies croisées avec certains aliments, comme les fruits à noyau, les pommes ou les fruits à coque.
Espèces invasives
Un autre élément à surveiller concerne l’expansion de nouvelles espèces allergènes. L’ambroisie à feuilles d’armoise, un végétal invasif originaire d’Amérique du Nord, commence à être recensé en Wallonie. L’Observatoire wallon des ambroisies dénombre plusieurs centaines de foyers, principalement répartis entre Namur, Liège, Gembloux, Mons et Charleroi. Cette plante se reproduit en lâchant du pollen dans l’air, et est extrêmement allergène. Les patients qui développe une allergie à l’ambroisie sont susceptibles d’avoir une intolérance à la pomme.
«On commence à avoir du pollen d’ambroisie qui arrive chez nous. Pour l’instant, je n’ai pas eu de cas d’allergie chez les natifs belges. Uniquement pour ceux nés en France. Mais dans cinq ans, la situation peut être différente, voire sensiblement similaire à la France qui subit une véritable invasion», prévient Olivier Michel.
Certaines pratiques agricoles favorisent aussi la dispersion de cette plante. Des lots de graines contaminées, notamment de tournesol, peuvent contenir des semences d’ambroisie. Ces dernières s’introduisent alors dans les cultures, les zones urbaines, jusque dans les estomacs.