La plus petite province belge a vu ses découpages internes évoluer avec l’histoire, bien avant sa création institutionnelle. Ce qui en fait une entité très riche, dans tous les sens du terme, mais très hétéroclite. Où le sentiment d’appartenance est assez flou et la population particulièrement âgée.
Luc, 68 ans, ex-Bruxellois atterri du côté d’Incourt puis de Chaumont-Gistoux depuis une vie, le dit sans fioriture: «Je me sens Wallon. Pas Brabançon wallon. Wallon, parce qu’on est plus proche d’un environnement comme on en trouve dans le Namurois.» Vanessa, 46 ans, qui a grandi dans la capitale avant de travailler à Londres pour rentrer au pays il y a dix ans et jeter l’ancre à La Hulpe puis à Rixensart, un crochet par Hoeilaart entre les deux, est plus hésitante: «Ces communes, c’est comme si elles faisaient partie du grand Bruxelles. D’ailleurs, elles sont dans la même zone téléphonique. C’est une sorte de banlieue calme, aisée, verte et boisée. Où on croise tant de fonctionnaires d’institutions internationales, qui viennent de partout, qu’on ne ressent pas d’identité locale spécifique. Je pense être toujours Bruxelloise, au fond.»
Ce n’est pas l’avis de Matteo, 27 ans, futur médecin, né à Genval: «J’ai fait ma scolarité à Ottignies, puis deux ans d’unif à Namur, cinq à Bruxelles, un stage d’un an à Soignies, puis six mois à La Louvière… Je ressens vraiment que je suis du Brabant wallon. Pour ses infrastructures, sportives notamment, auxquelles j’ai été habitué, ses paysages, son niveau de vie, les gens que j’y côtoie. Je suis du BW, point.» Discours opposé chez Gaétane, 54 ans, comptable à Bruxelles posée à Rebecq depuis 30 ans: «Autour de moi, au boulot notamment, tout le monde croit toujours que c’est le Hainaut. D’ailleurs, on en est si proche: je vais faire mes courses plus souvent à Mons, La Louvière ou Soignies qu’à Wavre, Nivelles ou Waterloo. Je ne me sens pas hainuyère pour autant, mais pas d’avantage brabançonne. Rebecquoise, oui. D’adoption.»
«Le sentiment d’attachement est plutôt à un terrain, résidentiel ou industriel.»
Temps 1: l’ouest industrialisé et l’est agraire
Quatre versions. Très représentatives des réalités de la plus jeune province du pays –avec le Brabant flamand, 30 ans le 1er janvier prochain– et la plus petite: 1.090 km2, où résidaient au 1er janvier dernier, selon le registre national, 413.960 âmes. Un mouchoir de poche aux motifs jacquard: Tubize n’a rien à voir avec Lasne, Jodoigne est complètement différente de Braine-l’Alleud, Grez-Doiceau n’est pas Braine-le-Château et trouver des points communs entre Ittre et Louvain-la-Neuve n’est pas une mince affaire. Une mosaïque, formée de 27 communes, dont certaines pourraient être des répliques de consœurs bruxelloises, liégeoises, namuroises, hainuyères et flamandes, selon les points cardinaux sur lesquels elles sont situées.
Yves Hanin, professeur d’urbanisme et de développement territorial à l’UCLouvain, en convient: «ll y a des communes où il y a eu jusqu’à 20% d’anglophones tout de même, comme à Waterloo… Le sentiment d’attachement est plutôt à un terrain, résidentiel –on constate très peu de déménagements– ou industriel: on a eu R-I-T. (NDLR: pionnière dans la production d’antibiotiques), GSK, UCB, la Brugeoise et Nivelles… Mais c’est un ancrage moins marqué que dans les grandes villes historiques de plus de 50.000 habitants. Et puis, les découpages ont évolué dans le temps. Il faut distinguer une première période, avant l’industrialisation: le Brabant wallon est alors organisé par rapport à ses vallées, celles de la Senne, de la Dyle et de la Gette, avec dans chacune des villes importantes, dont Nivelles, Wavre et Jodoigne. L’industrialisation et le canal Bruxelles-Charleroi permettent ensuite un découpage plus net: en gros, l’ouest industrialisé et l’est agraire. C’est l’utilisation de ressources du sous-sol, avec les carrières du côté de Rebecq, les sablières, des brasseries (Mont-Saint-Guibert), des papeteries (Genval et Mont-Saint-Guibert), la Brugeoise et Nivelles…»
Temps 2: l’envol du centre
La période industrielle se termine dans les années1980 et survient la périurbanisation. «Elle démarre en réalité au début du XXe siècle: avec le chemin de fer, la bourgeoisie bruxelloise sort de Bruxelles et Genval est la première grande opération immobilière, avec la création d’un lac, etc., pour l’attirer le long de la ligne. Après vient l’automobile, et on peut alors parler d’un centre: La Hulpe, Genval et Rixensart en forment le premier axe, dès l’entre-deux-guerres. Ce sera ensuite Waterloo et Braine-l’Alleud, ville industrielle qui opère sa reconversion. On a dès lors un découpage par couronnes: une tache d’huile descend de Bruxelles, avec le surplus d’Uccle et Saint-Gilles, le long de la Nationale 5, sur Waterloo et Braine-l’Alleud, qui se développent principalement autour de la logique du lotissement; les Bruxellois quittant des communes comme Watermael et Woluwe vont plutôt vers La Hulpe, Rixensart, Wavre et puis Louvain-la-Neuve; et avec le développement du réseau autoroutier, la partie ouest, dont Nivelles, recueille le trop plein d’Anderlecht.»
Parmi les conséquences de cette reconfiguration, «des collèges, comme Cardinal Mercier, à Braine-l’Alleud, qui étaient plutôt de type internat, deviennent des écoles où le nombre d’élèves habitant à proximité augmente à partir des années 1970, relève l’urbaniste de l’UCLouvain. On quitte le chemin de fer pour la voiture, et la voiture c’est la maison individuelle aussi, pour la famille nucléaire. Le Brabant wallon s’y prête très bien: il offre les mêmes services qu’à Bruxelles –écoles, hôpitaux et transports en commun proches– sans être loin de la capitale et dans un cadre calme, vert, campagnard. Toute la périurbanisation a fonctionné comme ça dans la province.»
«La province qui était une terre exclusivement résidentielle est devenue une terre d’emploi.»
Temps 3: deux grands bassins et le vieillissement
Jusqu’au début des années 1990, situe Yves Hanin, et la période qu’on traverse toujours: la métropolisation. «Elle annule le découpage ouest industriel/est rural et celui par couronnes. Concrètement, le « BW », aujourd’hui, c’est 125.000 emplois, le premier PIB en Région wallonne et le premier en Belgique avec le Brabant flamand et Bruxelles. Il y a Louvain-la-Neuve, GSK et l’industrie pharmaceutique, plein de petites entreprises, entre 100 et 200 personnes, comme Odoo… Bref, la province qui était une terre exclusivement résidentielle est devenue une terre d’emploi (NDLR: la province est la seule de Wallonie à se placer dans le Top 5 des provinces belges affichant le meilleur taux d’emploi, 79,2%, selon une récente étude de l’UGent). On a des zonings, des parcs d’affaires, une modernisation des équipements de santé et des entreprises qui attirent: 40% des personnes qui y travaillent habitent en Brabant wallon, 40% viennent de Wallonie, 10% de Bruxelles et 10% de Flandre. Et des bassins se forment: celui de Nivelles-Braine-l’Alleud-Waterloo, avec une partie de Lasne, et celui de Rixensart-Wavre-Ottignies-Louvain-la-Neuve-Court-Saint-Etienne-Mont-Saint-Guibert, qui font chacun 100 .000 habitants. A côté de cela, il y a les villes qui cherchent leur reconversion, comme Tubize, avec son Outlet Mall, et Jodoigne, qui vit plutôt sur le repositionnement par rapport à son hinterland, où l’opérateur GAL Culturalité essaie de fédérer Beauvechain, Incourt, Ramillies et Hélécine.»
La métropolisation intervient en plein paradoxe: la plus jeune province de Belgique, institutionnellement, est celle où la population est parmi les plus âgées. Ainsi, selon Stabel, si l’âge régional moyen en 2023, s’élevait à 41,4 ans, il était de 42,4 ans dans le BW –42,7 ans même, au 1er janvier dernier, selon l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (Iweps). La part des plus de 65 ans (20,7% début de cette année) y est aussi la plus élevée de toute la Wallonie. «Toutes les personnes venues à 30 ans en ont aujourd’hui 80, résume le professeur de l’UCLouvain. La question des maisons de retraite et des alternatives se pose donc clairement. Celle du renouvellement au sein du parc immobilier aussi: la population la plus âgée ne va plus habiter là où elle s’était installée. Et comme les prix immobiliers sont hauts, même si le foncier reste moins cher à l’est, et que la maison est devenue un lieu de travail, on va assister à une transformation du mode d’habitat en Brabant wallon: subdivision des quatre façades, colocation, création d’annexes ou le rehaussement pour faire des logements, regroupement de parcelles… Outre que, ces dernières années, 60% des constructions dans la province sont des appartements et qu’on a créé sur des friches industrielles, notamment, comme à Genval, Court-Saint-Etienne ou Mont-Saint-Guibert, des cœurs où on peut habiter. Dans un contexte très spécifique: on veut un espace calme, on n’aime pas la congestion ni le bruit, on veut protéger le paysage –il y a peu d’éoliennes, sauf à Perwez–, garder des campagnes (le golf convient très bien pour ça) et cet aspect « cottage », trouver un modus vivendi avec le monde agricole et la forêt…»
Temps 4: BW 2030
De la même façon, «créer des zonings devient très compliqué, les gens n’en veulent plus près de chez eux et ces immenses surfaces demandent une grosse logistique. Peut-être qu’apparaîtront dès lors de petits pôles d’emploi, le long de réseaux alternatifs à la voiture, desservis par des camionnettes, etc.»
C’est l’un des grands enjeux du Brabant wallon de demain, et c’est en cours avec entre autres le projet «BW 2030», initié par la province, in BW (son partenaire économique et environnemental), l’UCLouvain et Invest BW, société d’investissement et de financement. Objectifs d’ici à six ans: «Accueillir 30.000 nouveaux habitants, rester la région d’Europe à la plus grande part de population diplômée de l’enseignement supérieur (65%), maintenir à 80% le taux d’emploi pour la population en âge de travailler, atteindre 17,5% d’énergie renouvelable dans la consommation finale brute, disposer de 215 kilomètres de corridor cyclable, créer 8.000 entreprises et 22.500 emplois directs, atteindre un PIB de 65.000 euros/habitant.»
Tout en restant cette province «où il fait bon vivre». Où qu’on y réside. Joli défi.
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