Selon Jules Gheude, essayiste politique, le blocage actuel à Bruxelles démontre en fait l’ingouvernabilité du Royaume.
Alors que DéFi est exclu du jeu en raison de son échec cuisant aux dernières élections, Sophie Rohony, sa présidente, estime que le blocage actuel à Bruxelles «c’est que les partis néerlandophones s’obstinent à vouloir travailler avec la N-VA. Il faut permettre aux francophones de reprendre la main et de dire “Non, on ne veut pas de ministres N-VA”.»
Sophie Rohonyi rejoint ainsi le PS dans son veto à l’égard du parti nationaliste flamand qui, il faut tout de même le rappeler, est arrivé sur la première marche du podium le 9 juin dernier et dont le président, Bart De Wever, a été désigné par le Roi pour tenter de constituer une nouvelle coalition fédérale.
Non seulement Sophie Rohonyi se permet de contester le choix néerlandophone souverain d’une quadripartite Groen, Vooruit, Open VLD, N-VA à la Région bruxelloise, mais elle suggère de recourir à une disposition législative qui n’a jamais été utilisée et qui consiste à aller de l’avant avec un gouvernement qui bénéficie d’une majorité absolue au Parlement bruxellois sans attendre le soutien des partis néerlandophones, présents mais minoritaires au sein de ce parlement.
Voyons ce que stipule exactement cette disposition législative:
«Les membres du gouvernement sont élus au scrutin secret par autant de scrutins séparés qu’il y a de membres à élire, à la majorité absolue des membres du parlement ; les présentations de candidats doivent être signées par la majorité absolue des membres du groupe linguistique auquel ils appartiennent.»
Voilà qui revient en fait à offrir aux représentants francophones un droit de veto sur les candidatures néerlandophones qui ne leur conviendraient pas, en l’occurrence celle de la N-VA.
En s’écartant ainsi de la règle habituelle consistant à faire élire les membres de l’exécutif bruxellois par une majorité dans chaque groupe linguistique, Sophie Rohonyi remet le pied sur le sentier de la guerre communautaire.
On voit mal, en effet, la Flandre accepter cela sans réagir. Une Flandre qui a d’ailleurs fait de Bruxelles sa propre capitale, en y établissant le siège de son gouvernement, de son parlement et de ses administrations.
DéFi repose sur les trois adjectifs suivants : démocrate, fédéraliste, indépendant. Il dit aussi vouloir défendre « la volonté de vivre ensemble ».
La démocratie consiste à rester humble lorsqu’on a perdu et à ne pas jeter d’exclusive sur le parti flamand qui est arrivé en tête des élections après s’être clairement démarqué, durant la campagne, du Vlaams Belang.
Ce n’est certes pas en stigmatisant la N-VA que Sophie Rohonyi facilitera «la volonté de vivre ensemble» que sous-entend le fédéralisme. Elle ouvre, au contraire, la voie au confédéralisme où, comme le précisait l’ancien président du CD&V, Wouter Beke, en 2007, «chacun pourra agir comme il l’entend».
Un pouvoir central réduit à la portion congrue. Deux Etats, Flandre et Wallonie, avec une Région bruxelloise où, pour ce qui concerne les compétences dites personnalisables, chaque habitant devra choisir entre le paquet flamand (nettement plus avantageux) et le paquet wallon.
«Nous achèterons Bruxelles», avait un jour lâché le ministre-président flamand CVP Gaston Geens…
Il convient aussi de rappeler la responsabilité francophone dans les concessions qui ont été apportées à la Flandre. Les «demandeurs de rien» ont bien été contraints, en 2001, de marchander des principes contre de l’argent pour refinancer la Communauté française et ses écoles.
Ainsi que l’a écrit feu Paul-Henry Gendebien dans son essai «Belgique, le dernier quart?» (Editions Labor, 2006) : «Comme le PS et le MR, le FDF et le CDH trempèrent à leur tour dans la combinaison. La barricade francophone était en papier mâché. Furent ainsi concédés en finale des avantages profitables que l’on se refusait à envisager trois plus tôt : surreprésentation forfaitaire abusive pour la minorité flamande au Parlement régional bruxellois ; présence automatique d’au moins un échevin flamand dans les conseils communaux ; régionalisation de la loi communale en vue d’offrir à la Flandre des moyens plus vigoureux pour mettre au pas les Francophones de la périphérie.»
Comment ne pas donner raison aujourd’hui à Talleyrand, lorsqu’il déclarait en 1832 à la princesse de Lieven : «Deux cents protocoles n’en feront jamais une nation ; cette Belgique ne sera jamais un pays.»
Une Belgique dont François Perin disait, dans sa dernière interview au « Soir », en 2011 : «Finissons-en!».
Le blocage actuel à Bruxelles démontre en fait l’ingouvernabilité du Royaume.