lundi, décembre 22

La ministre de l’Enseignement supérieur, Elisabeth Degryse, planche sur une réforme des rythmes académiques. Les longues périodes de blocus et d’examens pourraient être remises en question, au profit d’évaluations continues. Mais les universités appellent à ne pas confondre vitesse et précipitation.

Vacances ou blocus? Alors que ce lundi 22 décembre marque officiellement le début des congés d’hiver dans l’enseignement obligatoire, les étudiants du supérieur entament, eux, un épuisant marathon de révisions. Au menu de Noël, fluos, syllabi et autres post-its détrôneront les traditionnelles dindes et bûches glacées. La faute à une session d’examens programmée début janvier, plombant sérieusement les festivités de fin d’année.

Mais ce fameux «blocus de décembre» pourrait bientôt appartenir au passé. La ministre de l’Enseignement supérieur, Elisabeth Degryse (Les Engagés), planche en effet sur une réforme des rythmes académiques, qui pourraient à l’avenir davantage correspondre au calendrier scolaire des niveaux inférieurs. Ce souhait, déjà formulé dans la Déclaration de politique communautaire (DPC) du gouvernement MR-Engagés, a déjà fait l’objet de premières discussions politiques, dont l’atterrissage est prévu «dans le courant du 1er trimestre 2026», confirme le cabinet Degryse. Pour l’heure, «toutes les pistes sont ouvertes», parmi lesquelles «la remise en question des grands blocus/sessions d’examens». Une façon de mieux prendre en compte «le bien-être étudiant» et «l’efficacité de l’évaluation dans une optique de lutte contre les échecs», complète le cabinet centriste.

Liberté académique

Le dossier n’est en réalité pas neuf. En juin 2021, l’ARES (Académie de recherche et d’enseignement supérieur), remettait déjà un premier avis sur la question, suite à l’annonce de la modification des rythmes scolaires dans l’enseignement obligatoire. Avant un second, en février 2022. Dans la foulée, et à la demande de la ministre de l’époque, Valérie Glatigny (MR), un groupe de travail est mis en place pour évaluer les possibilités d’alignement dans le supérieur. Plusieurs pistes sont évoquées: une rentrée académique fin août, de vraies périodes de repos durant les vacances d’hiver, etc. Les discussions intègrent les universités, les hautes écoles, les écoles supérieures des arts, mais également les organisations étudiantes et syndicales. En dépit d’un enthousiasme initial, les discussions débouchent, en février 2023, sur une absence de consensus.

«Les acteurs ont été incapables de s’entendre sur une position commune, pour des raisons qui répondaient à des objectifs différents, se remémore Laurent Despy, administrateur-général de l’ARES. Alors que les syndicats et certaines hautes écoles trouvaient qu’il était important de coller davantage au calendrier de l’obligatoire, les étudiants et les recteurs des universités souhaitaient d’abord revoir les pratiques d’enseignement et d’évaluation avant de s’attaquer à une réforme du calendrier.»

Des réticences qui persistent aujourd’hui. Les universités, très attachées à leur liberté académique, appellent à prendre en compte les spécificités de chaque filière. Un système d’évaluation continue ou d’apprentissages par «projets» comme à Maastricht (six ou sept semaines de cours ponctuées par un test) est difficilement envisageable partout. «Tout dépend des cohortes d’étudiants, pointe Laurent Despy. Quand on en a 200 ou 300, c’est jouable. Mais en première année de psycho, qui comporte parfois plus de 1.000 étudiants, ce n’est pas si simple. Ce sont de grosses machineries à mettre en place.»

«Un plus pour tout le monde»

Du côté des hautes écoles ou des écoles supérieures des arts, certaines évaluations doivent en outre systématiquement avoir lieu durant l’été (par exemple en photographie, pour s’assurer d’une lumière estivale adéquate), compliquant de facto l’adoption du calendrier scolaire en vigueur dans l’obligatoire.

Un calendrier académique aligné sur celui de l’obligatoire fait également craindre un rognement des activités d’apprentissage. «On risque de devoir raboter le nombre de semaines de cours, ce qui pourrait nous faire perdre l’équivalent de dix à quinze crédits d’enseignement, estime Frédéric Schoenaerts, vice-recteur à l’Enseignement à l’ULiège. Or, maintenir nos standards de qualité d’apprentissage est capital.»

Le vice-recteur à l’ULiège appelle en outre à conserver des plages horaires pour la recherche universitaire, qui doit pouvoir s’étaler sur l’ensemble de l’année et pas uniquement durant l’été. «Le rythme actuel permet de faire concorder les deux, mais des semaines intensives de cours entrecoupées d’évaluation nous font craindre un délaissement des activités de recherche, or ce sont elles qui font la force de l’enseignement universitaire.»

Malgré ces réticences, certains établissements se montrent plus enclins au changement que d’autres. C’est notamment le cas de l’UCLouvain. «On reconnaît que le calendrier actuel n’est pas idéal, insiste Françoise Smets, rectrice de l’université néolouvaniste. Certes, il faut prendre tous les profils en compte pour ne pénaliser personne. Mais la volonté pédagogique sous-jacente, à savoir celle d’un apprentissage en profondeur plutôt que basée sur ce système de blocus intensif, pourrait être un plus pour tout le monde si on fait les choses intelligemment.»

Une année de transition

Un positionnement déjà assumé par le précédent recteur, Vincent Blondel, aujourd’hui membre… des Engagés. «Il y a trois ans, je m’étais déjà exprimé assez clairement sur le sujet, confirme l’actuel président du Sénat. Car je suis convaincu qu’une organisation plus douce du calendrier académique est possible, en évitant les à-coups que constituent actuellement les gros blocs d’examens. Un modèle qui permettrait de vraies plages de repos, tant à Noël qu’en été, en anticipant la seconde session de juin avant le congé estival.» Et qui permettrait en outre des semaines de congé communes aux familles dont les enfants sont scolarisés dans différents niveaux d’enseignement, ainsi qu’aux parents œuvrant dans le monde académique.

Une telle réforme dépasse toutefois le cadre strict de l’enseignement, et nécessite une concertation avec un tas d’acteurs, des mouvements de jeunesse aux organisations sportives, en passant par les associations de folklore estudiantin, insiste Vincent Blondel.

Face à ces nombreux défis, le CReF (Conseil des Recteurs et Rectrices francophones) plaide ainsi pour un maximum de flexibilité ainsi que pour des mesures transitoires. «Il faut nous laisser le temps de pouvoir instaurer tous ces changements, insiste Anne-Sophie Nyssen, rectrice de l’ULiège et présidente du CReF. Si on nous impose cette réforme dès l’année prochaine, ce sera tout bonnement impossible.»

En coulisses, il nous revient qu’une note d’orientation politique devrait être transmise aux établissements d’enseignement supérieur au mois de janvier, qui devrait précéder une concertation plus large avec l’ensemble des acteurs. L’année académique 2027-2028 pourrait servir d’année transitoire entre les deux calendriers, avant une entrée en vigueur définitive de la réforme à la rentrée 2028-2029. Juste à point pour la fin de la législature.  

Share.
Exit mobile version