Et s’il existait un médicament dont les effets seraient identiques à ceux de l’exercice physique? Plus personne n’aurait alors plus besoin d’aller à la salle de sport…
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande de pratiquer au moins une demi-heure de sport ou d’activité physique modérée par jour. Oui mais… entre les obligations professionnelles et les enfants, pas facile de s’accorder ce petit moment sportif. Pas le temps. Pas le souffle. Pas l’envie. Conséquence: plus de 40 % des Belges ne sont pas suffisamment actifs pour en tirer des bénéfices pour la santé.
«Les avantages de l’exercice physique sont indéniables, confirme Bert Op ’t Eijnde, physiologiste à la faculté de médecine et des sciences de la vie de l’UHasselt. Il prévient, entre autres, diverses maladies chroniques désagréables. Mieux encore, il peut guérir, mieux que les meilleurs médicaments, certaines affections comme la résistance à l’insuline et le diabète de type 2 à un stade précoce. Nous comprenons de mieux en mieux quels substances et mécanismes sous-jacents jouent un rôle important à cet égard. Mais les gens n’arrivent tout simplement pas à maintenir un programme d’exercice sur le long terme.» En revanche, la fidélité des Belges aux traitements est plus grande lorsqu’une boîte de pilules trône sur la table de nuit…
«Si ses effets sont spectaculaires, cette pilule pourrait devenir le futur succès de l’industrie pharmaceutique.»
Depuis plusieurs années, les scientifiques cherchent des molécules qui imitent de manière pharmacologique les effets physiologiquement bénéfiques de l’exercice physique sans avoir à transpirer durant des heures. Même les amateurs de sport ne diraient pas non à la prise d’une pilule certains jours. Selon plusieurs chercheurs, nous serions d’ailleurs à l’aube d’une nouvelle classe de médicaments: les mimétiques de l’exercice.
«De la même manière que le sémaglutide présent dans le médicament amaigrissant Wegovy augmente la sensation de satiété, nous serons de plus en plus capables, à l’avenir, de traduire les effets de l’activité physique dans une pilule, assure Bert Op ’t Eijnde. Si elle produit les mêmes résultats spectaculaires que l’Ozempic, qui a complètement changé la donne à l’échelon mondial (NDLR: le détournement de l’Ozempic, initialement un antidiabétique, à des fins de perte de poids a provoqué une rupture de stock), elle pourrait être le nouveau succès phare de l’industrie pharmaceutique.»
Aussi contre la démence?
L’exercice physique influence de nombreux processus biologiques. La «pilule de mouvement» pourrait donc aussi rendre plusieurs organes et tissus plus sains. L’un de ces processus est la fonction cérébrale. «On a longtemps pensé que la communication provenant du cerveau se faisait à sens unique, détaille le physiologiste de l’UHasselt. Or, nous savons maintenant que ce n’est pas tout à fait exact. Les muscles peuvent également influencer le cerveau et le reste de notre corps grâce aux myokines (NDLR: produites lors de l’activité physique). Des études révolutionnaires ont ainsi montré que l’irisine, une substance libérée lors de la contraction des cellules musculaires appelée aussi l’«hormone de l’effort», atteint le cerveau et élimine les plaques amyloïdes toxiques impliquées dans la maladie d’Alzheimer. Pour déterminer si les effets combinés de l’activité physique peuvent également rajeunir le cerveau des personnes âgées, une étude intéressante est actuellement en cours en Norvège. Les chercheurs injectent du plasma sanguin de sportifs à des patients au stade précoce de la maladie d’Alzheimer. Nous attendons avec impatience les résultats de cette étude.» Qui pourrait mener à un traitement révolutionnaire contre la démence. Et devenir le Graal de l’industrie pharmaceutique.
«Les effets de l’exercice physique vont bien au-delà de la simple neurochimie du cerveau.»
La société de biotechnologie Aevum Therapeutics développe actuellement des médicaments à base d’irisine. Une possibilité thérapeutique consiste à imiter l’irisine dans une gélule ou à l’injecter directement dans le corps. Une autre option serait de produire un traitement qui ajuste les gènes dans le corps afin qu’ils produisent plus d’irisine.
«C’est une piste intéressante», avoue prudemment le neurologue Sebastiaan Engelborghs (UZ Brussel, VUB et UAntwerpen) lorsqu’on lui demande son avis sur les mimétiques de l’exercice comme traitement de la démence. «Mais prétendre que cela représente l’avenir est bien trop prématuré, tempère-t-il. Les gens présument que ces pilules seront disponibles sur le marché dans un avenir proche. Ce n’est évidemment pas le cas. De plus, les effets de l’exercice physique vont bien au-delà de la simple neurochimie du cerveau. Par exemple, administrer du plasma sanguin de sportifs à une personne sédentaire en surpoids et diabétique ne résoudra pas les risques vasculaires qu’elle présente. En tant que médecin, j’inciterai donc toujours mes patients à faire de l’exercice.»
Encore une pilule amaigrissante
L’irisine pourrait également être utilisée dans un traitement amaigrissant et s’ajouter à la longue liste de médicaments contre l’obésité en cours de développement. Cette hormone transforme en effet les cellules graisseuses blanches en graisse brune, qui est un excellent brûleur de calories. En imitant l’exercice physique, il serait donc possible de reprogrammer le métabolisme du corps.
Des chercheurs de l’université Stanford, en Californie, ont découvert l’enzyme Lac-Phe, libérée lors de sprints ou d’entraînements de résistance et qui réduit l’appétit après une séance d’exercice. Celle-ci a une explication historique: lorsque nos ancêtres fuyaient les prédateurs, la digestion et la sensation de faim étaient désactivées afin que tout le glucose puisse être dirigé vers les muscles afin d’augmenter leurs chances de survie. Ce mécanisme est toujours actif chez l’humain moderne lorsqu’il pratique un sport intensif.
Un médicament bien connu qui favorise la production de Lac-Phe est un traitement contre le diabète, la metformine. Développer une pilule qui aurait le même effet sur le poids que les sprints? La Nobel serait assuré.
Construction musculaire
Des muscles en forme et bien entraînés protègent contre le surpoids et le diabète, mais nous sommes encore loin des cachets miraculeux pour la construction musculaire. Les stéroïdes anabolisants, favoris des culturistes, ne sont en tout cas pas une option: ils sont dangereux pour la santé et leurs effets secondaires sont trop nombreux. De même, les produits enrichis en protéines que l’on trouve aujourd’hui dans tous les supermarchés ne feront pas de vous un Hercule sans exercices de musculation. Les protéines ne contribuent à la construction musculaire que si elles sont régulièrement dégradées dans les muscles.
Plusieurs études sur les souris sont néanmoins en cours, notamment avec la substance SLU-PP-332, qui améliore l’endurance et la fonction musculaire. Des chercheurs japonais ont également mis au jour la locamidazole, une molécule qui augmente la taille des fibres musculaires et améliore leur fonction contractile chez les souris, et serait donc capable de simuler les effets du sport sur les muscles. «Reste à voir si ceux observés chez les souris se traduiront de la même manière chez l’humain, souligne Bert Op ’t Eijnde. Les études sur les souris montrent souvent des effets spectaculaires, mais ils sont rarement reproductibles chez l’homme. En théorie, un tel médicament renforçant les muscles pourrait être intéressant pour les personnes souffrant de sarcopénie, où les muscles se dégradent plus rapidement qu’ils ne se régénèrent, ou pour les personnes âgées confinées à domicile ou alitées, ou encore pour les patients pour qui l’exercice physique n’est pas envisageable, par exemple après une fracture ou un traitement contre le cancer.»
En imitant l’exercice physique, il serait possible de reprogrammer le métabolisme du corps.
Suppléments de calcium
Autre réflexion du physiologiste: l’administration de molécules isolées imitant l’exercice peut générer des effets positifs dans certains domaines, mais entraîner des effets secondaires désagréables voire dangereux dans d’autres. Ainsi, par le passé, l’enzyme AMPK (protéine kinase activée par l’adénosine monophosphate), libérée pendant l’exercice et réduisant la glycémie, s’est avérée causer une cardiomyopathie dilatée chez les singes, une affection où le muscle cardiaque est trop faible pour pomper efficacement.
«L’activité physique déclenche une cascade de substances et de processus qui interagissent entre eux. Prenons à nouveau l’exemple de l’Ozempic, qui provoque clairement une perte de poids. Ce que peu de gens savent, par contre, c’est que ce médicament amaigrissant réduit non seulement la masse grasse, mais semble aussi diminuer la masse musculaire. En perdant de la masse musculaire, on consomme moins d’énergie au repos, par conséquent on reprend rapidement du poids.»
L’exercice physique reste donc incontestablement utile pour se maintenir en bonne santé. Selon Bert Op ’t Eijnde, par exemple, il ne sert à rien de donner de l’EPO, qui augmente le nombre de globules rouges et donc la quantité d’oxygène dans le corps, à Monsieur ou Madame Tout-le-Monde pour améliorer sa condition physique. «La population sédentaire manque des enzymes dans les muscles pour utiliser efficacement cet oxygène. C’est la même chose avec les suppléments de calcium pour lutter contre l’ostéoporose chez les femmes ménopausées. Pour que le calcium se fixe, les os doivent être maintenu en mouvement, en marchant ou en courant. Si on fait régulièrement du vélo, par exemple, ces suppléments de calcium n’ont pas beaucoup d’utilité.»
A ceux qui rêvent d’une pilule capable de faire d’eux le nouveau Kevin De Bruyne ou la nouvelle Lotte Kopecky, Bert Op ’t Eijnde fait passer un message: «Il n’y a pas de traitement pour le talent. Même avec une pilule parfaite, quelqu’un comme Kevin De Bruyne ne serait pas devenu le footballeur de haut niveau qu’il est aujourd’hui. Un athlète de haut niveau doit avoir une vision tactique du jeu et exceller techniquement. Ce genre de compétences ne sera jamais encapsulé.»