L’Otan célèbre ses 75 ans d’existence ce jeudi. Resuscitée depuis la guerre en Ukraine, l’alliance transatlantique pourrait toutefois être confrontée à un défi de taille si Donald Trump reprenait les clés de la Maison Blanche.
C’est un record de longévité pour une alliance militaire. Ce jeudi, l’Otan souffle ses 75 bougies. Derrière cet anniversaire célébré en grande pompe dans les hautes sphères bruxelloises, plane une incertitude en coulisses: qu’adviendrait-il de l’organisation si Donald Trump sortait victorieux de la présidentielle américaine ?
Le scepticisme du Républicain sur les vertus de l’Otan ne date pas d’hier. En 2016, il jugeait déjà l’alliance «obsolète» et menaçait de s’en désengager. Rangée au placard durant son premier passage à la Maison Blanche, sa rhétorique dubitative refait surface depuis plusieurs mois, alors qu’il brigue un deuxième mandat. Début février, notamment, Donald Trump assurait qu’en cas de réélection, il ne garantirait plus la protection des Etats membres face à la Russie. Une sorte de chantage adressé aux Européens, qu’il accuse de ne pas suffisamment contribuer au financement de l’institution. Bien qu’il les ait tempérées dans un second temps, ses déclarations ont suscité de vives inquiétudes sur la scène européenne et semé le doute sur la fiabilité de l’allié américain.
Une vision «transactionnelle»
Dans les faits, l’Otan pourrait-elle réellement perdre son plus fidèle contributeur au lendemain du 5 novembre? Pour Tanguy de Wilde d’Estmael, professeur de relations internationales à l’UCLouvain, les menaces trumpiennes sont à prendre avec des pincettes et à replacer dans le contexte d’une campagne présidentielle, propice aux déclarations à l’emporte-pièce. «Le Trump en campagne ne sera pas le même que le Trump président, nuance l’expert. Il conservera toujours son caractère théâtral et persévérera dans ses rodomontades, mais de là à quitter l’Alliance, il y a un pas.»
Mais l’histoire a appris qu’avec Donald Trump, les scénarios imprévisibles ne sont jamais à exclure. D’autant que le milliardaire attache beaucoup d’importance à la solidarité financière de chacun des Etats membres, qui, malgré leurs investissements récents, n’ont pas encore tous encore franchi la barre fatidique des 2% de PIB alloués à la Défense, un objectif pourtant collectivement fixé en 2014. «En tant qu’homme d’affaires, Trump a une vision bien plus transactionnelle que politico-stratégique de l’Otan, recadre Julien Pomarède, professeur de politique internationale à l’ULiège. Pour lui, se défendre collectivement se résume avant à tout investir de l’argent.» Aussi, la vision géostratégique américaine tend aujourd’hui à moins regarder vers l’Europe, mais à sceller des alliances ailleurs, notamment dans l’Indopacifique (Nouvelle-Zélande, Australie…), complète Julien Pomarède.
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«Beaucoup à perdre»
Sur le plan pratique, quitter l’Otan ne se ferait toutefois pas en un claquement de doigt. Outre les lourdeurs administratives qu’impliquerait un tel retrait avec les Alliés, les Etats-Unis eux-mêmes ont instauré des garde-fous visant à compliquer les intentions isolationnistes de Trump. En décembre 2023, le Congrès américain a en effet voté une loi disposant qu’aucun président ne peut «suspendre, résilier, dénoncer ou se retirer» de l’Otan sans une loi du Congrès ou l’approbation des deux tiers du Sénat américain. Le texte oblige également le président des États-Unis à informer le Congrès 180 jours avant d’entreprendre un plan de retrait.
Outre les complexités procédurières, en quittant l’Otan, les Etats-Unis auraient «beaucoup à perdre», prédit Julien Pomarède. D’abord, ce désengagement affaiblirait considérablement le marché de l’armement américain. «Des tas de pays européens se fournissent en matériel américain, rappelle l’expert de l’ULiège. L’article 5 du traité de l’Otan, qui consacre l’assistance mutuelle des pays membres en cas d’agression, est la clé de cet échange. Implicitement, il signifie que les Etats-Unis protègent les Européens grâce à leurs grosses capacités de défense, et qu’en contrepartie, les Européens doivent acheter des armes chez eux.» En gros : ce que gagneraient les Etats-Unis à ne pas financer l’Otan, ils le perdraient en termes d’armement.
La bonne affaire des Russes et des Chinois
Quitter l’Alliance édulcorerait également l’influence américaine sur l’agenda de sécurité européenne et les priverait d’alliés de taille dans diverses opérations militaires. Surtout, sortir d’une organisation qui a prouvé son utilité et sa capacité de mutation au fil des ans serait une perte de crédibilité immense pour les Etats-Unis sur la scène internationale, ajoute Tanguy de Wilde d’Estmael. Sans parler des conséquences délétères sur l’équilibre géopolitique mondial. «Ce délitement transatlantique serait une immense victoire pour la Russie et la Chine», insiste le professeur de l’UCLouvain.
Le bouleversement serait majeur pour l’Otan elle-même. «Si un état membre fondateur quitte le bateau, l’alliance s’en trouverait évidemment fragilisée, craint Julien Pomarède. Surtout les Etats-Unis, qui sont un pourvoyeur important. Le budget de la Défense américaine s’évalue à plus de 700 milliards de dollars. A eux seuls, ils représentent environ les deux tiers des dépenses de l’ensemble des pays de l’Alliance. C’est monstrueux!» Les Etats européens seraient contraints de s’impliquer bien davantage dans le domaine militaire, tant en termes financiers que matériels. «Or, l’autonomie stratégique européenne, ce n’est pas pour demain, rappelle Tanguy de Wilde d’Estmael. Elle pourrait difficilement se bâtir sans les Etats-Unis.» Et Julien Pomarède de conclure : «Le retrait américain ne signifierait pas la mort de l’Otan, mais il impliquerait une reconfiguration colossale et inédite sur le plan de la défense européenne.»