Un événement sportif international où les athlètes sont autorisés – pour ne pas dire encouragés – à se doper. L’idée n’est pas neuve, mais elle a rarement semblé si proche de se concrétiser. Avec les Enhanced Games, des hommes d’affaires veulent célébrer la science et rétribuer les sportifs plus justement. Au sein des institutions belges, on crie haro.
Le sport peut être plus sûr sans test antidopage ». Le slogan affiché en page d’accueil du site des Enhanced Games donne le ton. L’objectif ? Organiser une première édition de ces Jeux olympiques pro-dopage en 2025. Aron D’Souza, businessman australien à l’origine de l’initiative, est déjà parvenu à obtenir le soutien de plusieurs capital-risqueurs de renom. Parmi eux, notamment, le milliardaire Peter Thiel, cofondateur de PayPal.
Aux Enhanced Games, les participants pourront prendre tous les médicaments susceptibles d’améliorer leurs performances. Ce qui devrait leur permettre de repousser les limites du corps humain et – les organisateurs l’espèrent – de battre des records du monde.
Dans une interview accordée à Reuters, Aron D’Souza a assuré que « des milliers » d’athlètes l’avaient déjà contacté en vue de participer à la première édition. Pour l’heure, un seul médaillé olympique a publiquement annoncé son intention d’y prendre part : le nageur australien James Magnussen, retraité depuis 2019.
Un événement prétendument bien encadré sur le plan médical
En Belgique, les Enhanced Games effraient la Dr Anne Daloze, directrice de l’Organisation Nationale Antidopage (ONAD). « Je ne cautionne pas ça au vu de mon poste, et encore moins en tant que médecin », réagit-elle.
Pourtant, Aron D’Souza et ses associés promettent que le projet sera bien encadré. Une équipe de médecins et de scientifiques est déjà prête à coordonner l’événement afin de s’assurer que la santé des participants n’est pas mise en danger. Des examens médicaux sont même prévus avant le début de la compétition. « Les tests antidopage classiques sont là pour une question d’équité et non de sécurité », avance Aron D’Souza. Les Enhanced Games seraient selon lui carrément plus sûrs que les Jeux olympiques.
« Il y aura des examens médicaux pré-compétition ? Cela ne sert à rien. »
La Dr Anne Daloze, directrice de l’Organisation Nationale Antidopage (ONAD)
« Quoi qu’on en dise, les produits dopants ont un effet sur la santé, rétorque la Dr Daloze. Certes, certains produits peuvent améliorer les performances à court terme. Mais le danger se situe à moyen et long termes. Ces examens médicaux pré-compétition ne serviront à rien. Ils permettront simplement de démontrer que l’athlète va bien le jour J, mais il n’y aura aucun suivi. Or, c’est ça qui est important. »
La directrice de l’ONAD craint aussi l’image renvoyée vers les non-professionnels. « Des jeunes et des sportifs du dimanche risquent d’être tentés d’imiter ce qu’ils voient à ces Jeux. C’est déjà très dangereux avec une équipe médicale autour de soi. Mais pour eux, sans encadrement, ça va faire des ravages. »
Du côté de l’organisation, on se pare pourtant d’une aura « pro-science ». Sur le site, on trouve même un tableau « mythes-réalités » autour des stéroïdes. Loin d’être « mauvais pour la santé », leur utilisation aurait, « selon plusieurs études, généralement des effets positifs sur la santé des athlètes, notamment en termes de masse musculaire, de force et d’endurance ». La Dr Daloze confirme : les stéroïdes peuvent effectivement aider à développer certains muscles. Sauf que les Enhanced Games « omettent une partie de la réponse », s’indigne-t-elle. « Cela agit sur les muscles… et le cœur en est un aussi ! Mais il n’est pas du tout fait pour être soumis à des stéroïdes. Les risques de problèmes cardiaques sont réels ».
Pactole à la clé de ces Jeux olympiques pro-dopage
Si le dopage est une première face assumée des Enhanced Games, une autre l’est tout autant : l’argent. « Les athlètes éligibles recevront un salaire de base et concourront pour des gains qui seront plus importants que ceux de tout autre événement comparable dans l’histoire », lit-on sur le site.
Les détails des prize money ne seront connus que dans quelques mois, mais Aron D’Souza a déjà promis 1 million de dollars à son égérie James Magnussen s’il bat un record du monde. Ce potentiel jackpot joue d’ailleurs beaucoup sur sa motivation. « Un tel prix est difficile à ignorer. Les athlètes à la retraite n’ont pas tous les jours des opportunités pareilles », a-t-il assumé auprès du Herald Sun.
« Aux JO, ce sont les athlètes qui font le spectacle, mais ce ne sont pas aux qui profitent des bénéfices. »
Charline Van Snick, ex-judokate belge
Charline Van Snick, médaillée de bronze aux JO de Londres en 2012, se dit totalement opposée au concept. Il faut dire qu’elle vient tout juste de quitter les tatamis et de s’engager en politique. « Selon moi, cela s’éloigne des fondements du sport. Quel que soit le montant mis en jeu, je ne suis pas prête à bousiller mon corps. »
En revanche, elle peut très bien imaginer que la ficelle financière fonctionne auprès de certains athlètes. « C’est justement l’appât du gain qui a toujours encouragé à se doper, rappelle-t-elle. Il ne faut pas oublier que le sport reste un ascenseur social très fort : on peut finir par très bien gagner sa vie en partant de rien ». Sur ce point, elle peut entendre l’argument des organisateurs des Enhanced Games : « Il est vrai que la rémunération des participants est un problème des JO. C’est une entreprise capitaliste géante où les organisateurs se font beaucoup d’argent mais où les athlètes ne sont rémunérés que par leur propre pays. C’est nous qui faisons le spectacle et qui ramenons les gens dans les stades et devant leur TV. Mais ce n’est pas nous qui profitons des bénéfices. »
Du sport « amélioré » reste-t-il du sport ?
Au Comité olympique et interfédéral belge (COIB), le mot d’ordre est clair : c’est non. « Cela va à l’encontre des valeurs de respect, d’amitié, de fair-play et d’excellence du sport », répond son président, Jean-Michel Saive.
Charline Van Snick partage ce point de vue, mais elle émet quelques nuances. « Le sport est inégalitaire par nature. En fonction de votre pays, vous ne disposez pas des mêmes infrastructures, des mêmes entrainements ni des mêmes moyens financiers. »
« Quand je vois que certains records homologués tiennent depuis 40 ans, je suis perplexe. »
Charline Van Snick
L’ancienne judokate s’indignerait-elle qu’un record homologué tombe aux Enhanced Games ? « Il y a déjà eu du dopage dans nos compétitions sans qu’il soit détecté. Quand je vois que certains records établis il y a 40 ans ne sont toujours pas battus aujourd’hui malgré tous les progrès dans les techniques d’entraînement… Je suis forcément perplexe. », confie-t-elle.
« Je pense aussi qu’il y a encore du dopage actuellement, ajoute Charline Van Snick. Dans certaines disciplines, on sait que certains pays sont beaucoup moins stricts. Qu’est-ce que des Enhanced Games pourraient y changer ? Cela renforcerait peut-être les inégalités, en favorisant les athlètes qui ont les meilleurs moyens à leur disposition, notamment ceux issus de pays où il y a du dopage d’État. Mais bien sûr, un record qui serait battu là-bas, où tout serait permis, n’aurait aucune valeur à mes yeux. Comparer les deux est aberrant. »
Pour l’heure, aucun athlète belge n’a publiquement émis un quelconque intérêt à l’égard des Enhanced Games. Nos intervenants disent ne pas en connaître non plus. Mais les instances préfèrent tout de même prévenir ceux qui y songeraient dans leur coin.
« Ils risqueront leur santé et se mettront de facto hors-jeu du circuit », avertit Jean-Michel Saive. « Car forcément, nous poursuivrons nos contrôles et ils seront alors suspendus pour les compétitions officielles, conclut la Dr Daloze. À l’approche des JO, je croise les doigts pour qu’aucune figure de proue du sport belge – pas même retraitée – n’annonce sa participation ».
par Olivier Daelen