jeudi, décembre 18

Les auteurs de la tuerie de la plage de Bondi à Sydney auraient suivi une «formation de type militaire» de la part d’un groupe djihadiste philippin. Le contexte d’hostilité aux Juifs pose aussi question.

La plage de Bondi à Sydney a-t-elle été le théâtre le 14 décembre de l’attaque la plus meurtrière de l’Etat islamique contre des membres de la communauté juive? La question a trouvé corps quand, deux jours après la tragédie qui visait un rassemblement organisé pour Hanoukka (la fête des lumières) et qui a fait quinze morts, la commissaire de la police fédérale australienne, Krissy Barrett, a expliqué que «les premiers éléments indiquent qu’il s’agirait d’une attaque terroriste inspirée par l’Etat islamique».

Voyage aux Philippines

Plusieurs indices ont accrédité cette hypothèse. Une allégeance présumée à l’organisation islamiste, la présence dans le véhicule des terroristes, Sajid Akram, 50 ans, tué lors de la réplique de la police, et son fils Naveed, 24 ans, de deux drapeaux caractéristiques, et un séjour, du 1er au 28 novembre, des deux hommes aux Philippines. Ce voyage intrigue particulièrement. La douane philippine a indiqué que la destination finale annoncée lors de leur entrée dans le pays était la ville de Davao, chef-lieu de l’île de Mindanao, connue comme un sanctuaire de quelques groupes djihadistes philippins.

C’est dans une autre ville de cette grande île méridionale des Philippines, à Marawi, qu’a eu lieu le dernier conflit d’ampleur en date entre le pouvoir de Manille et des éléments islamistes armés. Il avait fallu environ cinq mois, entre mai et octobre 2017, à l’armée pour déloger de la localité le groupe Abou Sayyaf, rallié à l’EI, et l’Etat islamique de Lanao. En mars 2024, le chef de l’armée philippine assurait que le premier avait été «entièrement démantelé». Les mouvements djihadistes radicaux philippins n’ont plus le poids qu’ils pouvaient avoir il y a dix ans. Certains restent néanmoins actifs. Est-ce sous la supervision de l’un d’entre eux que Sajid et Naveed Akram ont suivi ce qu’une source au sein des services antiterroristes australiens a décrit à la chaîne TV ABC comme «une formation de type militaire»? L’enquête devra le confirmer.

Le glissement du fils Akram dans l’islamisme a aussi été pointé après l’attaque de la plage de Bondi. En octobre 2019, il avait été interrogé dans le cadre d’une enquête sur une cellule djihadiste à Sydney. Mais au terme de celle-ci, six mois plus tard, «aucune preuve» de sa radicalisation n’avait été observée, a indiqué le Premier ministre travailliste Anthony Albanese. Mais, en un lustre, l’individu a pu évoluer. C’est ainsi qu’il aurait été un fidèle assidu du centre islamique Al Madina Dawah dans la localité de Bankstown au sud-ouest de Sydney. Y officie le prédicateur Wissam Haddad, condamné en juillet 2025 par la Cour fédérale pour infraction à la loi sur la discrimination raciale en raison de… prêches antisémites. Selon la plainte déposée par l’Executive Council of Australian Jewry, il avait tenu fin 2024 des discours visant à déshumaniser et à dénigrer le peuple juif.

L’implication de l’Iran

Depuis le massacre de près de 1.200 Israéliens le 7 octobre 2023 et l’offensive destructrice et meurtrière de l’armée israélienne dans la bande de Gaza, les actes antisémites ont connu une expansion considérable en Australie. Entre cette date et octobre 2024, le Conseil exécutif des juifs australiens en avait recensé 2.062, soit six fois plus que dix ans auparavant (312 en 2014). «La haine s’infiltre dans la société depuis de nombreuses années et nous ne nous sommes pas suffisamment opposés à elle», a reconnu Jillian Segal, nommée en juillet 2024 envoyée spéciale du gouvernement pour la lutte contre l’antisémitisme.

Deux types d’agressions contre les Juifs ont particulièrement marqué les esprits. En février 2024, une opération de doxxing, la révélation des données personnelles de personnalités connues, avait entraîné des faits de harcèlement et des entraves dans leur carrière. «La manière dont la communauté, qui est composée de manière disproportionnée par des descendants de survivants de la Shoah, appréhende dorénavant ce pays qu’elle aimait si profondément, a grandement changé», observait, en août 2024 dans un reportage, le Times of Israel.

Autres violences notables, les incendies, sans faire de victimes, d’un café casher à Sydney, déjà à Bondi, et d’une synagogue à Melbourne en octobre et décembre 2024. Ils avaient conduit à une action politique inédite depuis la Seconde Guerre mondiale dans le pays: l’expulsion de l’ambassadeur d’Iran, Ahmad Sadeghi, et de trois autres diplomates. Selon Mike Burgess, le directeur général des renseignements intérieurs australiens (ASIO, Australian Security Intelligence Organisation), les attaques «avaient été dirigées par le corps des Gardiens de la révolution islamique à travers une série d’intermédiaires à l’étranger, de facilitateurs et de coordinateurs, qui ont fini par donner des instructions à des Australiens».

Résurgence inquiétante

Un modus operandi qui rappelle l’attentat le plus meurtrier jamais perpétré contre des Juifs en dehors d’Israël à l’époque contemporaine, celui contre Amia, l’Association mutuelle israélite argentine, commis à Buenos Aires le 18 juillet 1994 (85 morts) dont la responsabilité a été attribuée par l’enquête judiciaire au Hezbollah, le mouvement chiite libanais, et à l’Iran. Les mêmes acteurs pourraient-ils être derrière les auteurs de l’attaque de Bondi dans le contexte des tensions au Proche-Orient? Ce n’est pas la piste privilégiée par les autorités australiennes vu la proximité de Naveed et Sajid Akram avec des zélateurs de l’Etat islamique, et parce qu’une alliance même de circonstances entre le groupe djihadiste sunnite et le duo libanais-iranien chiite est quasi impossible pour des raisons théologiques.

L’hypothèse Etat islamique prévaut donc, même si, dans la mouvance islamiste armée, Al-Qaïda (qui a revendiqué les attentats contre la synagogue de La Ghriba à Djerba en 2002 et contre des synagogues à Istanbul en 2003, ainsi que l’attaque de l’école Ozar Hatorah à Toulouse en 2012) a plus souvent ciblé des individus juifs que Daech (attaque du magasin Hyper Cacher à Paris en 2015). Et dans la galaxie de l’Etat islamique, c’est sa branche au Khorasan (Afghanistan, Ouzbékistan, Tadjikistan) qui s’est le plus manifestée ces dernières années, essentiellement à travers des attentats à Moscou (contre la salle de spectacle Crocus City) et dans la ville iranienne de Kerman. La confirmation de l’implication de Daech dans l’attaque de Bondi consacrerait donc une résurgence particulièrement inquiétante de l’Etat islamique en Asie du Sud-Est et en Océanie.

«La haine s’infiltre dans la société depuis de nombreuses années et nous ne nous sommes pas suffisamment opposés à elle.»

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