Samedi, le Bélarus a libéré deux figures emblématiques de l’opposition : Ales Bialiatski, prix Nobel de la paix 2022, et Maria Kolesnikova. Deux militants qui incarnent les visages multiples de la résistance au régime autoritaire d’Alexandre Loukachenko.
Agé de 63 ans, Ales Bialiatski a fondé en 1996 et animé pendant des années Viasna (« Printemps »), le principal groupe de défense des droits humains et source essentielle d’informations sur les répressions dans ce pays d’Europe orientale.
S’engageant contre les persécutions politiques et la peine de mort, toujours appliquée au Bélarus, Viasna recense méticuleusement les arrestations, procès, peines de prison. Objectif: troubler l’opacité de la machine judiciaire.
Né en 1961, Ales Bialiatski s’était tout d’abord engagé, pendant ses études de philologie, dans la protection de la langue, de l’histoire et la culture bélarusses, effacées par la russification à l’oeuvre sous l’ère soviétique. Son travail pour la défense des droits, en dépit de la répression des autorités, lui a valu en 2022 le prix Nobel de la Paix, partagé avec l’ONG Memorial (Russie) et Centre pour les libertés civiles (Ukraine). « Tant dans les petites villes que dans les villes régionales et la capitale, il y a une véritable terreur », relevait-il dans une interview en août 2020, quelques jours après la réélection contestée de M. Loukachenko.
« L’objectif est très simple », poursuivait-il. « Conserver le pouvoir à tout prix et semer la peur dans la société. » M. Bialiatski avait été arrêté en 2021 et condamné en 2023 à 10 ans de prison dans une affaire de « trafic de devises », qualifiée de fictive par son organisation. Plusieurs autres responsables et collaborateurs de Viasna sont toujours emprisonnés. Son arrestation s’inscrivait dans la répression plus large d’un grand mouvement de contestation qui avait vu l’émergence d’une autre figure de la résistance anti-Loukachenko : Maria Kolesnikova.
Passeport déchiré
Musicienne de formation, Maria Kolesnikova a été l’une des meneuses des manifestations massives contre la réélection, jugée frauduleuse, d’Alexandre Loukachenko, en 2020.
Avec le soutien de Moscou, le gouvernement bélarusse a maté la contestation à coups de milliers d’arrestations, d’exils forcés et de sévères peines d’emprisonnement.
En septembre 2020, Maria Kolesnikova avait été enlevée par les services de sécurité bélarusses et conduite à la frontière ukrainienne avec un sac sur la tête. Le but des autorités: l’expulser pour la rendre moins audible au Bélarus. Mais l’opposante était parvenue à sauter d’une fenêtre de la voiture et à déchirer son passeport, ce qui avait rendu son expulsion légalement impossible.
« La prison est un endroit répugnant mais je m’y sens libre », dira-t-elle plus tard, dans une interview à la BBC depuis sa prison. En 2021, elle avait été condamnée à 11 ans de prison pour « complot » contre le pouvoir entre autres chefs d’accusation. Détenue à l’isolement, quasiment coupée du monde extérieur, ses proches se sont inquiétés à plusieurs reprises de la dégradation de son état de santé.
Trio de femmes
La vie de Maria Kolesnikova illustre la politisation d’une frange de la classe moyenne bélarusse à partir des années 2010.
Née en 1982 à Minsk, elle choisit, à la différence de parents ingénieurs, de devenir flûtiste professionnelle. Dès l’âge de 17 ans, elle donne des cours, puis part étudier et vivre en Allemagne. De retour au Bélarus, elle s’investit dans des projets artistiques et noue des liens au sein de l’élite culturelle. Elle travaille notamment pour une banque, la Belgazprombank, dirigée alors par un certain Viktor Babaryko.
Au printemps 2020, elle franchit le pas et dirige la campagne pour la présidentielle de Viktor Babariko, considéré alors comme le plus sérieux des rivaux d’Alexandre Loukachenko.
Viktor Babariko est finalement interdit de se présenter à l’élection et jeté en prison. Les maris de Svetlana Tikhanovskaïa et Veronika Tsepkalo, également opposants, sont eux aussi privés de candidature.
Les trois femmes présentent alors une candidature commune qui rassemblera, lors de leur campagne, des foules d’une ampleur inédite pour l’opposition depuis la chute de l’URSS. Maria Kolesnikova traçait un parallèle entre son engagement et sa frustration d’artiste confrontée à la censure et à « des salaires de misère ».




