Le remboursement des séances de kinésithérapie pèsera pour plus d’1,4 milliard d’euros l’an prochain en Belgique. Un budget colossal, qui répond aux besoins croissants d’une population vieillissante. Alors que certains soins ne seront bientôt plus soumis à prescription médicale, la demande pourrait bien encore s’amplifier.
C’est une enveloppe qui gonfle d’année en année. En 2026, l’Inami a décidé de consacrer 1,42 milliard d’euros au remboursement des soins de kinésithérapie en Belgique. Un chiffre en nette augmentation: en 2024, il avoisinait «seulement» les 1,2 milliard, alors qu’il ne dépassait pas la barre des 900 millions d’euros en 2020.
Evidemment, cette courbe ascendante suit celle de l’inflation. Mais elle progresse proportionnellement davantage que les autres catégories de soins. Alors qu’en six ans, le budget total de l’assurance santé a augmenté de 27% (passant de 30 milliards en 2020 à 40,9 milliards en 2026), celui consacré à la kiné a, lui, connu une hausse de 37% sur la même période.
Une augmentation que le secteur appelle à relativiser. «Chaque année, l’Inami ponctionne dans la kiné pour financer d’autres catégories de soins, rappelle Julie Warnij, présidente de l’Association de soutien aux kinésithérapeutes (ASK). L’année 2026 ne fait pas exception, avec 8,4 millions d’économie demandés au secteur.» L’effort budgétaire passera notamment par des rémunérations revues à la baisse pour les vidéo-consultations et le télé-monitoring. Une tuile supplémentaire alors que de nombreux kinés, notamment ceux qui pratiquent des visites à domicile, déplorent déjà des honoraires légaux trop faibles pour rentrer dans leurs frais. Ce qui a d’ailleurs débouché sur un déconventionnement massif ces dernières années.
De plus en plus formés
Bref, le secteur serait loin d’être financièrement privilégié par l’Inami. L’augmentation proportionnelle du budget ne serait que la conséquence logique d’une demande croissante des Belges, qui sont de plus en plus nombreux à se rendre chez le kiné. Le vieillissement de la population n’est pas étranger à cette tendance. Rééducation après une chute, travail de mobilité, soulagement des douleurs liées à l’arthrose: les besoins en kiné croissent avec l’âge. En 2019, plus d’une prestation kiné sur trois (18 sur 44 millions de prestations annuelles) concernait un patient âgé de 65 ans ou plus, révèlent des données de l’Agence intermutualiste.
Le recours accru aux soins de kinésithérapie témoignerait aussi d’une évolution du métier. Longtemps erronément considérés comme des «masseurs», les kinés se sont peu à peu imposés comme des acteurs incontournables de première ligne. «La kiné d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celle d’il y a 20 ans, insiste Thibault Mathieu, kinésithérapeute à Bruxelles. Les kinés se forment de plus en plus, et sont capables de prendre en charge de nombreuses pathologies différentes. Ceux qui sont formés à la thérapie manuelle, par exemple, sont aujourd’hui presque des cousins des ostéopathes.»
Bref, le recours à la kiné s’est aujourd’hui largement diversifié, offrant une alternative à la médication systématique. «Par le passé, en cas d’incontinence, la patiente achetait des protections urinaires sans se poser de question, illustre Julie Warnij. Aujourd’hui, la kiné du périnée est largement prescrite pour régler ces fuites via une gymnastique ciblée sur le pelvis.» La kiné peut également se révéler efficace en cas de migraines, qui sont souvent liées à de fortes tensions musculaires, rappelle Thibault Mathieu, qui insiste: «Le Belge ne va pas trop chez kiné, il commence seulement à y aller suffisamment.»
Accès (partiellement) direct en 2026
Cette tendance va de pair avec l’évolution de mentalité des généralistes, estime la présidente de l’ASK. «La nouvelle génération de médecins est beaucoup plus encline à prescrire de la kiné en cas de douleurs de dos, par exemple. Alors qu’un médecin plus âgé va plutôt recommander des antidouleurs, conseiller d’attendre que ça passe et préconiser du repos. Or, resté allongé pendant une semaine est souvent contre-productif pour lutter contre ces maux.»
La demande en soins kinésithérapeutiques risque encore de s’amplifier dans les mois à venir, alors que la prescription d’un généraliste ne sera bientôt plus obligatoire pour certains traitements. Le 20 septembre, le ministre de la Santé Frank Vandenbroucke (Vooruit) a en effet confirmé cet accès direct aux soins «dès 2026». pour les patients souffrant de symptômes légers. Une réforme accueillie à bras ouvert par le secteur. «C’est une demande pour laquelle on se bat depuis des années», confirme Fabienne Vandooren, directrice générale d’Axxon, l’association de défense professionnelle de la kinésithérapie en Belgique. Si le calendrier et les critères précis de cette prise en charge directe doivent encore être définis, ils devraient a priori cibler les douleurs musculo-squelettiques et lombaires, précise la directrice.
Une manière d’alléger la charge des généralistes et de fluidifier la prise en charge des patients. «Aujourd’hui, des patients se présentent au cabinet avec des douleurs qu’on peut traiter, mais on doit les renvoyer chez leur généraliste, observe Thibault Mathieu. C’est assez frustrant, car le patient est en souffrance, mais on ne peut pas l’aider directement, simplement car il n’a pas le papier adéquat.»
Responsabilisation
Un non-sens que déplore également Julie Warnij, qui estime que la réforme sera bénéfique pour tous. Y compris pour le budget des soins de santé. «Un accès direct au kiné, c’est une réduction des consultations chez le généraliste, mais aussi une réduction de la charge pharmaceutique et des soins de chirurgie plus lourds, qu’on avait tendance à prescrire à tout-va par le passé», rappelle la président de l’ASK.
Bien qu’unanimement saluée par le secteur, la réforme pourrait conduire, à terme, à une saturation des cabinets kinésithérapeutiques. Comment éviter l’engorgement et garantir l’accessibilité –financière et géographique– des soins à tous les Belges? Pour Fabienne Vandooren, il est impératif de responsabiliser les patients autant ques les professionnels. «La kiné de demain doit absolument (et uniquement) répondre aux déficits fonctionnels du patient, insiste la directrice d’Axxon. Aller chez le kiné « juste parce que ça fait du bien », ce n’est plus envisageable. Pour ça, il existe des centres d’esthétique qui proposent des massages.»
Si la majorité des consultations sont justifiées, certaines pourraient être évitées ou dispensées différemment, estime Fabienne Vandooren. «Certains médecins prescrivent 18 séances de kiné, et dans certains cas, la pathologie est traitée après neuf ou dix séances, mais le patient veut aller au bout de sa prescription, observe la directrice d’Axxon. Le kiné ne devrait pas accepter de continuer, or, on sait que certains le font. C’est un comportement que l’on doit contrer si l’on veut conserver une kinésithérapie de qualité.»
















