L’ode au consumérisme s’est trouvée une nouvelle forme, sous les traits du «Black Friday », moment de frénésie d’achats, et de promotions, auquel le commerce belge a cédé depuis plusieurs années. Parfois contraint et forcé, notamment pour les plus petites enseignes de détails. Avec certaines nuances.
Le Black Friday 2024 se tiendra ce vendredi 29 novembre, même si la période a tendance à s’élargir au fil des ans. D’une journée unique dédiée aux promotions, lançant la période des achats et cadeaux de fin d’année, ce «vendredi noir», est devenu une semaine noire voire un mois entier pour certaines grosses enseignes. Celles-ci inondent leurs communications de ristournes et d’offres parfois prétendument alléchantes, parfois depuis le début du mois de novembre pour les plus pressées.
Si les enseignes aux épaules plus larges ont repris assez vite les codes de cette opération marketing venue des Etats-Unis, les petits indépendants l’abordent parfois différemment. Sans forcément être contre.
«Il faut être lucide et ne pas vouloir à tout prix décrier l’opération. Le petit commerce peut avoir sa place dans le Black Friday, même sans avoir les moyens d’une grosse chaîne, estime Isabelle Morgante, responsable de communication politique de l’Union des classes moyennes (UCM). Pour tous les commerces, le Black Friday représente une occasion supplémentaire de liquider du stock, d’attirer les clients et de refaire sa trésorerie, même si c’est de façon plus limitée à cause des ristournes proposées.»
Face à l’abondance de choix et à la lame de fond du commerce en ligne, les plus petites enseignes doivent ainsi jouer la carte de la spécialisation, de la proximité et du conseil, estime l’UCM. «Pour le petit indépendant, il s’agit avant tout de parvenir à occuper l’espace face aux grandes chaînes, mais pour cela il faut se démarquer, être créatif, mettre en avant ses atouts différenciants.»
Le Black Friday à reculons
Sur la surenchère qui s’observe parfois et les prix qu’il faut brader au maximum, l’organisation de défense des indépendants et des PME reconnaît un jeu inégal. «Les dés sont forcément pipés face à une grosse enseigne, qui dispose d’autres moyens et peut plus facilement se permettre de proposer des réductions, au Black Friday mais également à d’autres moments. Mais celles-ci sont aussi contraintes par d’autres choses, disposent de moins de marge de manœuvre, doivent suivre les consignes qui viennent d’ailleurs. J’en reviens à la créativité et à la différenciation qui peuvent aider le petit commerce.»
Le Syndicat neutre pour indépendants (SNI) rejoint l’UCM sur la difficulté pour les petits acteurs de trouver leur place dans cette opération et se montre très critique sur certains points, notamment l’allongement de la durée de l’opération. «Il faut être honnête, faire un mois de réduction comme le proposent les grandes marques, c’est intenable financièrement pour un petit magasin», dénonce Olivier Mauen, porte-parole.
Des retours de terrain du syndicat, il revient que certains affiliés se retrouvent pris dans l’engrenage, obligés de rejoindre le Black Friday pour suivre une tendance et ne pas se retrouver largués par la concurrence. Ils seraient un peu moins de la moitié des membres à prendre part à l’opération. Et ceux qui y vont le font parfois à reculons.
«Aujourd »hui, il faudrait presque faire des réductions toute l’année. Et même pour le consommateur cela devient confus: c’est quoi le vrai prix de cet article, quand il n’est pas en promotion pour telle ou telle action? Et surtout, c’est quoi le prix juste, celui qui permet de faire vivre le commerçant?», questionne Olivier Mauen.
Le prix avant tout
Derrière la frénésie de réductions, pointe en effet l’impression latente que ce sont désormais uniquement les étiquettes de prix qui dictent la majorité des achats. «Les gens font attention à leurs dépenses et c’est évidemment difficile d’aller contre ça, constate Isabelle Morgante. Nous essayons dans ce cadre de diversifier aussi les actions commerciales, par exemple avec le week-end du client (NDLR: qui s’est tenu en octobre dernier), qui est un moment de remerciement, où le commerçant donne un cadeau à ses clients fidèles. Mais nous constatons que même là, certaines enseignes transforment le message en proposant des réductions.»
Toujours sur cette guerre des prix, UCM et SNI se rejoignent sur la nécessité de s’attaquer à certaines plateformes en ligne plus spécifiques, comme Shein et Temu, temples chinois de la fast fashion et de la surconsommation. «Elles proposent tellement de réductions, tout le temps, qu’elles rendent obsolètes la notion de véritable prix», explique Olivier Mauen.
«Le consommateur doit se poser des questions sur ses achats, faire son examen de conscience. Acheter un t-shirt 1 ou 2 euros, qui finira à la poubelle dans peu de temps, et impossible à recycler tellement il est de mauvaise qualité, est-ce supportable ?», renchérit l’UCM.
Le SNI rappelle aussi aux pouvoirs publics leur rôle dans la situation du secteur. «Le commerce, ce n’est pas seulement l’achat en tant que tel, c’est un tout. Quand le parking est payant dans une commune et que cette dernière le rend gratuit une heure ou deux, forcément ça aide le commerce local. Il faut donner envie et travailler sur l’accessibilité des magasins de centre-ville, sous peine de voir des situations dramatiques et une désertification des cellules commerciales, comme c’est déjà le cas dans certaines communes wallonnes.»
Une chose reste certaine pour les deux organisations, la période de fin d’année représente toujours un moment à ne pas rater pour les commerçants, avec ou sans promotion. Car face aux difficultés profondes que traverse le secteur du commerce, celui-ci paye toujours plein pot.