Le Canada a négligé la défense de ses territoires nordiques. Avec l’invasion de l’Ukraine par les Russes, il devient urgent de remédier à ce manquement. Les moyens suivront-ils?
«La sécurité de l’Arctique menacée», tel est le diagnostic que pose, dès son titre, un rapport d’un groupe de sénateurs du Canada, fruit d’un an d’enquête. Pour mener à bien leur projet, ils ont interrogé des militaires canadiens, américains et des experts des mondes polaires.
Leur constat, relayé par le Comité sénatorial de la sécurité nationale, est inquiétant: «Le Nord du Canada est militairement vulnérable, économiquement sous-développé, menacé par le changement climatique, tout en étant convoité par les puissances mondiales pour ses riches ressources et ses voies navigables arctiques.»
Tentatives d’incursion
Si l’Arctique a longtemps été considéré comme une exception sécuritaire à l’abri des risques de guerre, l’invasion de l’Ukraine par la Russie change la donne et amplifie les craintes d’un conflit polaire. Avec 75% de son littoral et 40% de son territoire dans le Grand Nord pour moins de 1% de sa population, l’Arctique est un casse-tête pour Ottawa.
Le Canada fait face régulièrement à des tentatives d’incursions aériennes et sous-marines russes, auxquelles il n’a guère les moyens de s’opposer. La capitaine Elinor Sloan, professeure de relations internationales à l’université Carleton d’Ottawa, est on ne peut plus claire: «La capacité du Canada à assurer la surveillance et le contrôle de sa région arctique est très limitée et constitue en ce sens un point faible.»
La capacité du Canada à assurer la surveillance et le contrôle de sa région arctique est très limitée.
Des radars canadiens vieux de 50 ans
Les Forces armées canadien- nes (FAC) y disposent de 340 membres du personnel civil et militaire, principalement au Nunavut. Ces bases ne sont pas permanentes comme au temps de la guerre froide. Les FAC peuvent déployer des chasseurs CF-18, vieux de plus de quarante ans et stationnés sur des bases situées parfois à des milliers de kilomètres de l’Arctique.
La marine n’est pas mieux lotie. Elle ne compte que peu de navires polaires et pas de sous-marins nucléaires, indispensables pour se rendre sous la banquise. La surveillance de l’Arctique est actuellement assurée par cinq mille rangers inuits, connaissant très bien le terrain, mais sous- équipés. Les stations radars sont, elles, âgées de plus de 50 ans.
Budgets compressés
Le président de l’Institut canadien des affaires mondiales, David Perry, explique que «le processus canadien d’approvisionnement en défense est systématiquement incapable d’acquérir des équipements de défense majeurs dans les délais prévus».
L’armée est affaiblie par des décennies d’austérité budgétaire. Si le Premier ministre, Justin Trudeau, a promis depuis des années de consacrer 2% du PIB à la défense pour respecter les critères de l’Otan, le gouvernement, en réalité, n’y consacre que 1,3%. Ottawa a annoncé à l’automne des compressions d’un milliard de dollars pour l’armée.
Le passage du Nord-Ouest appartient-il au Canada?
Si le rapport sénatorial canadien est très lucide sur les dangers potentiels en Arctique, bien des experts canadiens influents sont persuadés que tous les pays, même les dictatures, respecteront l’interprétation canadienne du droit, notamment celle qui considère le passage du Nord-Ouest comme appartenant au Canada, ce que conteste la communauté internationale.
Directrice du Centre d’études de défense et de sécurité de Winnipeg, Andrea Charron nous confiait quelques mois après l’invasion de l’Ukraine ce raisonnement stupéfiant: «Le passage du Nord-Ouest est constitué d’eaux intérieures canadiennes. Un Etat européen possède-t-il des sous-marins dans le Danube, le Rhin, l’Elbe, la Loire? Non. Avec la fonte des glaces qui se poursuit, un brise-glace nucléaire n’est pas nécessaire, sans parler des conséquences écologiques. Pourquoi le monde pense-t-il que le Canada a besoin de beaucoup de forces militaires pour protéger son Arctique?»
Le parapluie américain
Ottawa s’abrite sous le parapluie militaire des Etats-unis, dont les intérêts différent pourtant de son voisin. Professeur à l’université Carleton, Philippe Lagassé met en garde: «Le fait de compter sur les Etats-Unis pour défendre l’Arctique canadien ne fera que tendre les relations avec notre partenaire et allié le plus proche et réduira la capacité du Canada à prendre ses propres décisions et à faire ses propres choix en ce qui concerne la défense de son territoire et de ses eaux.»
Pour l’heure, le Canada n’est pas prêt à intervenir en Arctique en cas de marée noire, pour des opérations de sauvetage maritime, et encore moins s’il y a une attaque de Moscou.