Royaume-Uni
Le fait de parler de cancer dans la famille royale britannique est déjà une avancée, estime l’historien Philippe Chassaigne. Avec les maladies du roi Charles III et de la princesse Kate à « gérer », la monarchie est face à une situation inédite.
Par Gérald Papy
Professeur d’histoire contemporaine à l’université de Bordeaux-Montaigne et spécialiste du Royaume-Uni, Philippe Chassaigne analyse les enjeux de la communication de la monarchie britannique sur les cancers de Charles III et de la princesse de Galles.
Dans l’histoire contemporaine de la famille royale britannique, existe-t-il des précédents de situation où des maladies graves touchent deux membres importants de la famille royale?
Deux maladies en même temps, non. Il y a eu, au début des années 1950, le cancer du poumon de George VI (NDLR: monarque de 1936 à 1952). Sa mère, la reine Marie, était âgée, mais n’avait pas de pathologie particulière. Sous Elisabeth II, ses problèmes de santé au cours des derniers mois de sa vie ont été tus. On n’a su que bien plus tard qu’elle n’était pas morte uniquement de son grand âge. Le roi et la princesse de Galles souffrant d’un même type de maladie, c’est inédit.
Cette situation est-elle difficile à gérer ? Les Britanniques peuvent-ils le comprendre face à des “affres de la vie”?
Statistiquement, l’indication que l’on donne toujours est qu’un Britannique sur deux est confronté au cancer au moins une fois dans sa vie. Donc, des citoyens atteints d’un cancer, il y en a beaucoup. Cela montre bien que même quand on est une tête couronnée, on n’est pas au-dessus du lot. Mais il est bien évident aussi que le Britannique moyen n’affrontera pas la maladie dans les mêmes conditions que le roi ou la princesse de Galles. Elle a été opérée dans une clinique privée, la London Clinic. Ce n’est pas le système national de santé britannique…
Quelles conséquences ces traitements peuvent-ils avoir sur le fonctionnement de la monarchie?
Le roi, le prince de Galles ou la princesse de Galles ont des fonctions officielles à accomplir. Charles III accorde toujours ses audiences au Premier ministre, il reçoit et supervise tous les documents de l’Etat, il travaille depuis chez lui. La princesse de Galles a fait savoir qu’elle continuait de s’occuper des organisations caritatives qu’elle parraine depuis chez elle. Ensuite, il y a la question des apparitions publiques. Dans un premier temps, c’est assez compromis. Donc, un poids accru va reposer sur les épaules de la reine, du prince de Galles, et sur celles d’autres membres de la famille royale. La princesse Anne, notamment, assure un nombre d’engagements extrêmement élevé. Elle n’est pas particulièrement sympathique. Elle a, paraît-il, des idées assez réactionnaires. Mais les Britanniques s’accordent pour dire qu’elle accomplit ses obligations sans aucun faux pas.
Est-ce un apprentissage anticipé et précipité du métier de roi pour le prince de Galles?
Oui et non. Charles III étant devenu souverain à 74 ans, il était bien évident que ce serait un roi de transition. Je dresse toujours la comparaison avec Edouard VII qui a régné neuf ans, de 1901 à 1910, après le long règne de la reine Victoria, sa mère. Par ailleurs, William a été formé à ses fonctions de futur souverain très jeune. C’est Elisabeth II qui a vraiment parié sur lui. Elle a longtemps eu un certain nombre de doutes concernant la capacité de Charles à être un « bon roi », ou un « roi efficace ». Sauter une génération n’était pas possible. Mais pour Elisabeth II, l’avenir de la monarchie reposait incontestablement sur les épaules de William. En remplaçant son père dans une série d’obligations publiques, il se rapproche un peu plus des activités royales. Cependant, ce n’est pas du tout la même chose d’être le monarque et d’être le prince héritier. Mais c’est effectivement un apprentissage accéléré.
Par rapport aux annonces des cancers du roi Charles III et de la princesse Kate, peut-on observer des nuances liées à leur gestion par deux équipes de communicants différentes?
Apparemment, un certain nombre de changements sont en cours dans les équipes de communication du prince et de la princesse de Galles, ce qui peut expliquer le raté de la photo de Kate Middleton à l’occasion de la journée de la fête des Mères en Grande-Bretagne. L’équipe de communicants de Charles III est à son service depuis plus longtemps et maîtrise bien les choses. Cela étant, le choix de la transparence minimale, le choix de ne pas nier la réalité des faits me paraît tout à fait positif, parce qu’avant l’annonce de sa maladie, une série de rumeurs tournait autour d’elle. Du reste, on avait bien eu aussi la rumeur de la mort de Charles III… Maintenant, il n’est plus possible de nier, de ne pas anticiper les problèmes de santé des membres de la famille royale.
Une transparence qui a des limites. On ne connaît pas la nature des cancers.
Oui. Mais le fait de parler de cancer est déjà une avancée. Pour le reste, je ne suis pas absolument persuadé qu’il soit indispensable de révéler la nature du cancer. Le roi et la princesse de Galles ont aussi droit au respect de leur vie privée et au secret de leur dossier médical.
Comment analysez-vous la vidéo d’annonce de sa maladie par la princesse de Galles?
C’est une communication sobre et minimaliste mais qui, à mon sens, est infiniment meilleure que le déni ou des initiatives peu heureuses comme la photographie du jour de la fête des Mères.
Hormis l’erreur de la photo de Kate Middleton lors de la fête des mères, ces annonces ont-elles été globalement bien gérées?
Oui, cela a été bien géré. Peut-être y a-t-il eu un temps trop long entre l’annonce de son opération et l’annonce de la nature cancéreuse de la maladie. Mais j’imagine qu’il a fallu faire des examens et des contre-examens pour en être absolument sûr comme on le fait pour toute personne atteinte d’un cancer. Ce long silence a nourri toutes les rumeurs, toutes les théories du complot possibles et imaginables. L’attente a donc peut-être été un peu trop longue parce que la nature de la maladie devait être connue depuis plus longtemps que quelques jours.
“Elle a été opérée dans une clinique privée, la London Clinic. Ce n’est pas le système national de santé britannique…”