Dans un avis que Le Vif s’est procuré, le Conseil d’Etat critique plusieurs aspects de l’avant-projet de loi sur la fusion des zones de police, voulue par l’Arizona. Sur le plan démocratique, le Conseil d’Etat relève même certains points anticonstitutionnels.
Le ministre de l’Intérieur, Bernard Quintin (MR), a soumis au Conseil d’Etat son avant-projet de loi sur la fusion des zones de police, et l’avis de la haute juridiction est plutôt critique, bien qu’il ne contraigne pas le ministre à abandonner le projet. Il faudra néanmoins l’adapter, le compléter ou abandonner quelques points. Le Vif s’est procuré le document de 33 pages et l’a soumis à la constitutionnaliste de l’UMons Anne-Emmanuelle Bourgaux, alors que le cabinet Quintin se rassemblait pour savoir quelles réponses donner à l’avis. «Quand on additionne les remarques de la sections législative du Conseil d’Etat, on se rend compte qu’il y a un vrai problème de contrôle démocratique dans le projet de loi.»
La suppression des conseils de police face à la constitution
S’il y a une grosse contre-indication prononcée par le Conseil d’Etat, elle porte sur la suppression du conseil de police, qui est en quelque sorte le pouvoir législatif d’une zone de police, chargé de contrôler son gouvernement. Dans son observation générale, le Conseil d’Etat rappelle que la Constitution, via ses articles 10 et 11, garantit un contrôle par une assemblée démocratiquement élue. «Or dans une démocratie communale, le contrôle démocratique est exercé par le conseil et c’est pareil pour la police communale, qui est contrôlée par le conseil de police, confirme Anne-Emmanuelle Bourgaux. Etant donné que la remarque du Conseil d’Etat liée aux articles de la Constitution, le cabinet Quintin n’estime pas que cette remarque s’applique sur des articles particuliers, y compris la suppression des conseils de police, et confirme donc leur disparition prochaine.
Par ailleurs, le Conseil d’Etat pointe également un flou sur l’articulation entre conseils communaux et l’accès réservé à ceux-ci aux documents de police. Le rôle du chef de corps et du bureau du collège de police sera également à définir. Il est assez certain que cette question se posera, au minimum à Bruxelles où la désignation du chef de corps pour la zone de police unifiée dans la capitale fera (et fait déjà) l’objet de tractations en hauts lieux de pouvoir.
Bruxelles pas claire
A Bruxelles, la situation est encore plus complexe. L’avant-projet de loi du ministre de l’Intérieur contraint uniquement les six zones de police de la capitale à fusionner. Il prévoit pour ce faire un budget de 55 millions d’euros et un délai d’un an. Le Conseil d’Etat s’interroge toutefois sur les conséquences si les conditions pour qu’une fusion aboutisse ne sont pas réunies au terme dudit délai d’un an. «En clair, le Conseil d’Etat dit que le projet n’est pas mûr, vulgarise Anne-Emmanuelle Bourgaux. A plusieurs reprises, le projet manque de précisions et habilite le gouvernement à faire certains choix lui-même.»
Aller vite, c’est un peu la signature de l’Arizona et le Conseil d’Etat le déplore d’ailleurs dans ses observations préalables, la Haute juridiction regrettant d’avoir eu à analyser un texte qui ne prend pas encore en compte les avis d’observations formulées durant des consultations. «Dans un Etat de droit, ce n’est pas parce que l’on a une bonne idée qu’on peut faire les choses à la hussarde, critique la constitutionnaliste. Des réformes si fondamentales ne peuvent pas bousculer le temps juridique, qui est toujours plus lent que le temps politique.» Sur ce point, le cabinet Quintin estime que le Conseil d’Etat ne «remet pas en cause ni la fusion des zones de police à Bruxelles ni les principes structurants du texte légal».
La digitalisation à l’épreuve de l’accessibilité
Enfin, le Conseil d’Etat comme Anne-Emmanuel Bourgaux s’inquiètent du dispositif de digitalisation de la police locale que l’avant-projet de loi entend mettre en œuvre. Le texte, adopté mi-juillet en première lecture par l’Arizona, indique que les postes de police pourraient prévoir des «assistants numériques virtuels», joignables à distance par les habitants. A cela, le Conseil d’Etat répond que l’avant-projet de loi de Bernard Quintin ne prévoit pas que l’accessibilité sera assurée aux personnes concernées par la fracture numérique une fois la les assistants numériques virtuels mis en place.
«Cette digitalisation viendrait compléter soudainement les postes de police locale, mais il est évident que ça ne garantit pas la présence de policiers au commissariat ou sur le terrain.»
«C’est un vrai remballage de la Cour des comptes, assure la professeur de l’UMons. Je nourris de grandes craintes quand on parle de digitalisation des services publics, et plus encore des services de police qui doivent assurer la sécurité des citoyens, et la Cour constitutionnelle l’a également rappelé récemment. Cette digitalisation viendrait compléter soudainement les postes de police locale, mais il est évident que ça ne garantit pas la présence de policiers au commissariat ou sur le terrain. L’enjeu des polices locales est pourtant d’avoir un contrôle plus préventif que répressif et il faudra m’expliquer comment un assistant numérique virtuel peut faire cela.» Le cabinet Quintin ne l’entend pas de cette oreille, mais dit «prendre en compte les remarques du Conseil d’Etat» et continuer dans leur trajectoire actuelle
Toutes ces critiques du Conseil d’Etat n’enterrent pas encore tout à fait l’avant-projet de loi du ministre de l’Intérieur, mais il y a du boulot. Le cabinet Quintin va devoir turbiner, car il y a près d’une trentaine d’articles, d’alinéas ou de mécanismes à revoir. «Nous confirmons la volonté d’aboutir à la fusion des six zones bruxelloises à Bruxelles durant l’année 2027», précise le porte-parole du libéral.




