Retardée, l’annonce du parcours du Giro fait beaucoup parler en Italie. L’influence de Giorgia Meloni, la cheffe du gouvernement italien, sur le lieu du grand départ aurait pesé lourd dans le tracé de la course au maillot rose.
On dirait l’une de ces journées où l’actualité se bouscule, comme si les infos jouaient des coudes pour franchir la ligne d’arrivée avant la fin de l’année. Ce lundi 23 décembre, quand Giorgia Meloni sort du conseil des ministres italiens, ce n’est ainsi pas la première fois de la journée qu’on entend parler d’Albanie dans la presse de la Botte.
Une poignée d’heures plus tôt, les canaux officiels du Tour d’Italie annoncent que la course cycliste au maillot rose s’élancera sur le sol albanais au mois de mai 2025. Trois étapes tracées sur le territoire de 28.000 kilomètres carrés, prestige payé environ sept millions d’euros par Tirana. En coulisses, il se dit alors que l’annonce aurait dû survenir bien plus tôt.
Finalement, elle a donc lieu le 23 décembre. Le même jour que ces mots de Giorgia Meloni: «Nous avons réitéré notre ferme intention de continuer à travailler […] sur ces solutions innovantes au phénomène migratoire.»
Les solutions en question, ce sont deux centres de rétention destinés aux migrants sur le sol albanais, à la suite d’un accord passé à la fin de l’année 2023 entre Giorgia Meloni et le Premier ministre local, Edi Rama. Le pacte entre Rome et Tirana est alors acté pour une durée de cinq ans, financé entre 800 millions et un milliard d’euros par l’Italie, et destiné à héberger les hommes adultes interceptés par la marine ou les garde-côtes italiens dans leur zone de recherche et de sauvetage dans les eaux internationales, dans l’attente du traitement de leur demande d’asile.
Le timing a les airs d’une étrange coïncidence. Peut-être que parce que si les deux évènements jouent des coudes dans le sprint final, c’est avant tout la conséquence de leur étroite collaboration en chemin vers la ligne d’arrivée.
Le Giro en Albanie: de surprenants «problèmes techniques»
Initialement, il était question d’un départ dans le nord-est de l’Italie. Peut-être à Trieste, raconte le spécialiste du Giro Pierre Carrey dans un article du journal suisse Le Temps. Au cœur de l’année 2024, toutefois, les plans du départ 2025 de la course au maillot rose se bousculent. Le dossier albanais est sur la table, et le rapprochement entre RCS Sport – la société organisatrice du Tour d’Italie – et le gouvernement Meloni est un secret de Polichinelle.
La révélation est prévue à l’automne, précisément au début du mois de novembre. Elle sera finalement repoussée en raisons de «problèmes techniques» et n’aura lieu qu’en janvier. Très tard pour attirer les cadors du peloton, qui attendent souvent le tracé du parcours pour jeter leur dévolu sur une grande course à étapes mais aiment planifier leur saison avant le début de l’année civile. Ce report, alors présenté pour «une date qui reste à déterminer», fait désordre, et fait naître dans la presse italienne des rumeurs que RCS Sport doit publiquement démentir: «Non, on n’a pas changé nos plans. Il n’y a pas de problème avec l’Albanie. La conférence de presse du 12 novembre a seulement été reportée à cause d’un problème technique», se défend Paolo Bellino, le CEO de la société, sur Tuttobiciweb. En parallèle, il se dit pourtant qu’un plan B partant de Sicile, pour ne pas devoir modifier le reste du parcours (la première étape prévue sur le sol italien s’élançant de Lecce) après les trois étapes initiales, est préparé en coulisses.
Dans tous les cas, le report coïncide étrangement avec des déconvenues du plan albanais de Giorgia Meloni.
Des centres et des contretemps
Ouverts en octobre avec un retard important sur le timing initial, les centres de rétention placés en Albanie n’hébergeaient alors qu’une poignée de demandeurs d’asile. Les douze premiers arrivés avaient vu leur rétention annulée par des juges de la section des affaires migratoires du tribunal de Rome, la cour se basant sur un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne au sujet des pays considérés «sûrs».
A Rome, on a bien tenté de contourner le problème en faisant adopter dans l’urgence par le gouvernement un décret inscrivant dans la loi 19 pays jugés «sûrs» par le gouvernement italien. Le tout dans l’espoir de traiter les demandes d’asile de migrants originaires de ces 19 pays à toute vitesse depuis l’Albanie, facilitant de la sorte un retour au point de départ. Le conflit avec les juges romains, qui a alimenté copieusement la presse italienne, a porté un coup à la politique de Meloni. Ainsi qu’aux habitants des communes voisines des centres de rétention albanais, à qui on promettait un renouveau économique avec le personnel nécessaire pour gérer ces centres.
Le lundi 23 décembre, Giorgia Meloni affirme que tout ça ne ralentira pas ses plans. La main reste tendue à l’Albanie, qui sera reliée à l’Italie en mai 2025 par la grâce de la course au maillot rose.
RCS Sport, ami politique ou économique?
Dans la Botte, on raconte que ces liens entre la course et le gouvernement ne sont pas inédits. C’est ainsi pour plaire aux autorités que le Giro aurait localisé son arrivée finale à Rome, alors que l’habitude était de la juger à Milan. En Lombardie, l’épreuve n’était pas seulement conclue dans la ville du siège de la Gazzetta dello Sport, journal à l’origine de sa création (d’où le maillot rose, comme les pages). Elle permettait aussi de disputer le début du week-end final dans les Alpes, là où le suspense peut durer jusqu’à la fin.
En déplaçant l’apothéose à Rome, RCS Sport a ignoré les plaintes des équipes et des défenseurs de l’environnement au sujet d’un long transfert entre le samedi et le dimanche (déjà monnaie courante sur le Tour de France et la Vuelta espagnole). Un geste politique envers le pouvoir italien, mais aussi un avantage économique certain: la Ville Éternelle paie plus d’un million d’euros par an pour accueillir la dernière étape et prend en charge une bonne partie des frais d’organisation du jour, alors que l’office du tourisme italien paierait à RCS Sport la somme de 3,3 millions d’euros dans le cadre d’un sponsoring visant à promouvoir l’Italie.
Quoi de mieux, pour vanter les charmes de la Botte à travers la Petite Reine, qu’une photo de l’iconique Tadej Pogacar en maillot rose, avec le Colisée en fond. Et puisque la mode est visiblement au coude-à-coude, juste à côté du Slovène lors de la dernière célébration du Giro à Rome, on trouvait Giorgia Meloni.