Dans les cinq provinces wallonnes, les présidents Georges-Louis Bouchez, Maxime Prévot et Paul Magnette ont joué des coudes dans tous les sens pour entrer dans le plus de collèges provinciaux possibles. Surtout dans le Hainaut et en Brabant wallon.
Les provinces wallonnes plaisent peu. Ceux qui les connaissent, qui y travaillent, qui les dirigent les aiment plutôt, mais les électeurs n’en veulent plus. Le nouveau gouvernement wallon a promis de les supprimer, en s’appuyant sur la collaboration des Provinces. Celles-ci proposeraient elles-mêmes les compétences qu’elles voudraient abandonner, excepté la plus importante, l’enseignement. Ces promesses ont fait de l’après-élections provinciales un enjeu important du débat public. Les négociations pour désigner les majorités dans les conseils et les députés provinciaux ont été, pour les trois présidents des trois premiers partis de Belgique francophone l’occasion de mesurer leur puissance mutuelle. Et donc de se livrer à des petits jeux d’ampleur nationale, qui ont presque affecté les discussions fédérales.
Paul Magnette, il faut dire, est déjà affaibli comme président du Parti socialiste, et son objectif aura été de sauver de son fort fictionnel «mur rouge» ce qui n’avait pas été complètement abattu par la vague bleue, c’est-à-dire, au fond, très peu de choses.
Georges-Louis Bouchez, il faut le rappeler, avait pour intention de sortir le PS de tous les collèges provinciaux, et c’était possible, y compris dans le Hainaut où le MR et Les Engagés occupent 29 sièges sur les 56 du conseil et où sa compagne, Lucie Demaret, était candidate à la députation. Maxime Prévot, il faut le signaler, avait pour intention d’entrer dans tous les collèges provinciaux, parfois avec le premier, parfois avec le second, parfois avec les deux.
Prévot a préservé son axe en gérant la force de Bouchez et la faiblesse de Magnette.
Le judoka des cinq provinces
Le président des Engagés croyait passer des semaines tranquilles, à savourer son triomphe municipal namurois et à travailler à la formation d’un gouvernement fédéral. Il a d’abord passé quelques lourdes minutes, au soir du 13 octobre, à subir les assauts provinciaux, spécialement centrés sur le Hainaut, de ses deux homologues, le socialiste et le libéral. Et il a ensuite traversé de longues journées à veiller à ne pas froisser éternellement le potentiel partenaire socialiste et ne pas détruire pour toujours son axe tout frais avec son allié libéral.
«Je ne vais pas sacrifier le gouvernement wallon pour un échevinat avec le PS à Mons», a-t-il dit des discussions communales montoises, où une coalition PS-PTB-Ecolo a relégué le MR et Les Engagés dans l’opposition, et il avait raison. Il a préservé son axe en gérant la force de Georges-Louis Bouchez et la faiblesse de Paul Magnette, en judoka des cinq provinces.
Canalisant les forts en se conciliant des partenaires, Maxime Prévot avait, avant les élections du 13 octobre, signé ou fait signer par les responsables de son mouvement horizontal et participatif, des accords avec le PS en Hainaut, le MR en Brabant wallon, le PS et le MR à Liège. A Namur, où le fort c’est lui, il savait qu’il prolongerait avec le MR. Et dans le Luxembourg, il était prévu que l’alliance vingtenaire de son parti –quand il n’était pas encore horizontal et participatif– avec le PS se poursuive.
Appuyant sur les points faibles sans écrabouiller les partenaires, Maxime Prévot a, après les élections, permis au MR d’entrer dans la majorité au Luxembourg d’abord, ce ne fut pas très difficile car le PS n’avait plus que quatre sièges au conseil provincial, et forcé le PS à accepter le MR dans la majorité dans le Hainaut, ensuite. Ce fut très fastidieux, d’abord, car le PS restait le premier parti au conseil provincial. Et ce fut très compliqué, ensuite, parce que, pour entrer dans la majorité hainuyère, Georges-Louis Bouchez a offert à Maxime Prévot un deuxième député provincial dans le Brabant wallon, alors que l’accord préélectoral prévoyait que le MR en aurait trois et Les Engagés, un seul.
Alors Maxime Prévot a convaincu Paul Magnette de faire passer, devant les socialistes hainuyers, un pacte de majorité tripartite avec trois députés provinciaux pour le PS, un pour Les Engagés, ça serait David Lavaux, et un pour le MR, qui devrait donc être une femme, alors que l’accord préélectoral prévoyait que le PS en aurait trois et Les Engagés, deux.
Et puis, Georges-Louis Bouchez a tenté de convaincre Paul Magnette de faire passer, devant les socialistes hainuyers, un pacte de majorité tripartite avec deux députés provinciaux pour le PS, deux pour le MR, dont au moins une femme, et un pour Les Engagés, et cela aurait respecté la clé D’Hondt, et donc le vote des Hainuyers, mais le mur rouge n’a pas cédé.
Bagarre, bagarre, bagarre
Alors Maxime Prévot a convaincu Paul Magnette de faire passer, devant les socialistes hainuyers, un pacte de majorité tripartite avec deux députés provinciaux pour le PS, un pour Les Engagés, et un pour le MR , qui devrait donc être une femme, et ce fut difficile. En congrès provincial à Morlanwelz, c’est même le secrétaire général du parti, Laurent Pham, qui a mené les discussions. Il a expliqué qu’il fallait bien se rendre compte qu’à part dans les arrondissements de Charleroi et de Mons, la vague bleue avait vachement entamé le mur rouge, et que c’était pour ça que la tête de liste à Charleroi, Eric Massin, et la tête de liste à Mons, Pascal Lafosse, devaient à coup sûr être députés provinciaux. Et que la troisième devait être Fabienne Capot, de l’arrondissement du Centre où le score du PS était meilleur, plutôt que Lætitia Lienard, de Wallonie picarde, qui avait fait le meilleur résultat en voix de préférence, mais dont le taux de pénétration était moins bon que les trois autres. Mais les socialistes se sont beaucoup disputés, et on a proposé que Fabienne Capot et Lætitia Lienard se partagent le mandat de six ans, l’une trois et l’autre trois, mais ça n’a pas été possible à cause d’un problème d’indemnités de sortie à Fabienne Capot. Et puis, Laurent Pham a annoncé que Maxime Prévot lui avait envoyé un message pour préciser que c’était un pacte de majorité tripartite à quatre députés provinciaux ou rien, alors les socialistes hainuyers se sont encore beaucoup plus disputés, mais ils ont fini par valider à main levée la proposition horizontale et participative du président des Engagés, et Fabienne Capot a signalé qu’elle craignait pour l’avenir de l’arrondissement du Centre et Lætitia Liénard pour l’avenir du socialisme.
Et puis, la fédération MR du Brabant wallon fut très étonnée de lire dans un communiqué de presse des Engagés le nom des deux députés provinciaux que s’était choisi le parti participatif et horizontal de Maxime Prévot. Les bleus de la province la plus bleue de Belgique avaient pourtant averti leur président montois qu’ils ne voulaient pas de son troc avec son homologue namurois. Ils ont répété qu’ils n’en voulaient pas. Et ils ont dit que si c’était comme ça, ils feraient une majorité sans Les Engagés à la province du Brabant wallon.
Alors Maxime Prévot a dit à Georges-Louis Bouchez que si c’était comme ça il ferait une majorité sans le MR dans le Hainaut.
Puisque le député provincial MR devait être une femme, Georges-Louis Bouchez a proposé la sienne.
Dix rebelles contre Lucie
Alors Georges-Louis Bouchez est allé essayer de convaincre les Brabançons wallons. Ils les a vus trois fois et ils lui ont beaucoup crié dessus, et les conseillers provinciaux MR ont refusé sa proposition à l’unanimité moins une voix. Il a demandé à des ministres, par exemple à Jacqueline Galant, ministre des Infrastructures sportives, de l’aider à les convaincre parce qu’elle allait devoir arbitrer une série de dossiers d’infrastructures sportives dans les années à venir, mais les réformateurs brabançons ont définitivement refusé.
Alors Paul Magnette a fait savoir à Maxime Prévot que si c’était comme ça, le PS ferait une majorité sans le MR dans le Hainaut, et David Lavaux a ajouté que si ça ne tenait qu’à lui, il signerait, alors PS et Engagés sont allés dans le bureau du secrétaire général de la province, à Mons, pour déposer un pacte de majorité bipartite, le 15 novembre au soir. Il y avait aussi Laurent Pham, et David Lavaux a téléphoné à Maxime Prévot, et Maxime Prévot a dit à David Lavaux qu’il ne fallait pas signer tout de suite ce pacte de majorité, parce qu’il ne pouvait pas sacrifier le gouvernement wallon et le gouvernement fédéral pour un député provincial avec le PS dans le Hainaut. Alors le PS a déposé un pacte de majorité minoritaire, qui n’était pas valide, et il disait que c’était ça ou rien.
Et puis, le MR a dit au PS que si c’était comme ça, ils feraient ensemble une majorité sans Les Engagés dans le Hainaut, et le PS a refusé, et Georges-Louis Bouchez a redit à Maxime Prévot que si c’était comme ça, le MR et Les Engagés formeraient une majorité ensemble sans le PS, et Maxime Prévot a refusé.
Et puis, Georges-Louis Bouchez a proposé à Maxime Prévot plein de trucs qui n’étaient pas brabançons wallons en échange de cette députation provinciale du Brabant wallon, comme par exemple la présidence du Conseil d’administration de la RTBF, et de manière très horizontale et participative Maxime Prévot a accepté la transaction.
Alors il y aurait deux députés provinciaux socialistes, parce que les socialistes ont finalement dit que c’était mieux ça que rien, avec un député provincial des Engagés et un député provincial MR, qui devrait être une femme, donc.
Car de manière horizontale et participative, Les Engagés ont tout de suite désigné David Lavaux. Et, en congrès à Quaregnon, le PS a désigné Eric Massin et Pascal Lafosse. Les socialistes se sont beaucoup disputés mais comme il fallait mettre deux noms sur les bulletins de vote pour qu’ils soient valables, l’association de la fédération de Charleroi et de la fédération de Mons a suffi, de manière horizontale et participative, évidemment.
Alors, puisque le député provincial MR devait être une femme, Georges-Louis Bouchez a appelé tous les conseillers provinciaux du MR pour qu’ils choisissent la sienne, Lucie Demaret, cinquième du groupe MR en voix de préférence, et neuvième en taux de pénétration. Mais le soir du 25 novembre, dans les locaux du MR montois, rue de la Clé, une majorité des 18 conseillers provinciaux (dix contre sept, et une pour une tierce candidate) a choisi la Courcelloise Aurore Goossens, première de son groupe en voix de préférence, qui était venue avec un beau PowerPoint et qui avait rencontré les conseillers pendant les jours qui précédaient. Plutôt que Lucie Demaret, qui les jours précédents n’avait pas rencontré les conseillers car elle était en voyage dans le Golfe persique avec son compagnon, qui a travaillé quelques mois il y a une dizaine d’années au cabinet du député provincial MR Gérald Moortgat et qui a répété que cette longue expérience avec un «député fédéral» lui avait fait aimer la province.
Georges-Louis Bouchez n’était pas là, ce soir-là à la rue des Clés.
Mais il est possible que les dix rebelles le paient cher, un jour ou l’autre. De manière horizontale et participative, bien sûr.