La planète pulvérise par centaines ses records climatiques. Dans la péninsule ibérique, certains endroits connaissent en hiver les températures de l’été. Celle des océans monte en flèche. Enfin, le monde franchit le seuil dangereux de l’élévation de 1,5 °C. En synthèse, le dérèglement climatique dépasse les prévisions antérieures.
On pourrait croire que la Commission européenne va sonner l’alerte, provoquer un débat. Pas du tout. Ursula von der Leyen a annoncé que la Commission abandonnait l’obligation du monde agricole de réduire ses émissions de carbone. Pour ne pas faire petit, la Commission renonce aussi à la «loi sur la restauration de la nature» (les objectifs de réduction des pesticides) et supprime l’obligation de jachère pour les paysans. Il faut permettre à sa présidente de surfer sur une vague populiste pour cueillir un deuxième mandat. Pour synthétiser, selon Andy Bounds, journaliste au Financial Times, après avoir obtenu un premier mandat en vantant une réforme verte, elle veut obtenir le second en la sabordant.
On notera que ce bradage semble décidé en petit comité. Personne ne fait état d’un débat collectif sur le sujet (comme les traités l’imposent). Les autres commissaires sont inexistants. La pédagogie s’avère absente. Quelques experts académiques, et même des ténors du Groupe des Verts européens, vantent « l’efficacité » et « la vision » de von der Leyen.
Selon la pensée novatrice de ces cireurs de bottes, la meilleure façon de protéger l’environnement consiste à … moins le protéger. Ils vont même jusqu’à la comparer à Jacques Delors. Imaginent-ils un seul instant Delors affirmant la nécessité d’affaiblir le marché unique ou la monnaie unique pour obtenir un second mandat ? On aura compris que la reconduction de von der Leyen ouvrira des postes de conseillers extérieurs, et que la compétition en flagornerie est ouverte. Bruxelles, ton univers impitoyable!
Voici peu, tous reprochaient à Charles Michel, à juste titre, de brader l’intérêt général pour sa carrière. On voit qu’il ne s’agit nullement d’une exclusivité. On cherche vainement une vertébration parmi les dirigeants actuels (comme le montrent aussi les récentes virevoltes de Macron ou De Croo sur le climat : un mois il faut une pause, le mois suivant une accélération, selon le public visé).
Le plus important demeure les conséquences systémiques de ces palinodies. Elles accentuent la confusion du public comme des entreprises, et, surtout, la chute de confiance dans le personnel politique.
Ceux soucieux d’agriculture doivent revenir au problème central : le modèle actuel de production reste déséquilibré et destructeur, intenable à terme. On le sait depuis longtemps, mais il est soutenu par un lobby outrancier, facilité par l’absence de transparence, comme d’habitude. Les aides sont concentrées sur les gros agriculteurs. Ainsi, la pauvre famille royale britannique recevait naguère pas moins d’un million de livres sterling par an. Savoir ce qui survivra dans vingt ans si le dérèglement climatique continue de s’accélérer devrait être notre priorité fondamentale, et non les petits jeux de fauteuils actuels.
Franklin Dehousse est professeur à l’ULiège, ancien représentant de la Belgique dans les négociations européennes, ancien juge à la Cour de justice de l’UE.