Désastreuses, les récoltes mondiales d’oranges augurent de nouvelles hausses dans les prochains mois.
Les amateurs d’agrumes l’auront remarqué: depuis plusieurs mois, le prix de la brique de jus d’orange ne cesse de grimper. Mauvaise nouvelle: la hausse devrait se poursuivre. Le mouvement reflète les soubresauts d’un marché mondialisé, rendu aujourd’hui hautement spéculatif par son exposition aux aléas climatiques.
Le dragon jaune à l’attaque
Ainsi le Brésil, premier producteur mondial d’oranges, enchaîne les mauvaises récoltes. Déjà frappées en 2023 par d’importantes sècheresses, les fermes y sont depuis peu victimes de la prolifération «du dragon jaune», une maladie bactérienne qui entraîne le jaunissement des feuilles, rend les fruits difformes et amers pour finalement provoquer la mort de l’arbre. Au mois de septembre, Fundecitrus, le représentant sectoriel situé à São Paulo, annonçait une chute de rendement de 30% des orangeraies brésiliennes par rapport à l’année dernière. Cité par The Financial Times quelques semaines plus tôt, l’organisme avait déjà annoncé la pire récolte depuis 35 ans. Le point a d’ailleurs été abordé lors de la mission économique belge au Brésil, qui a eu lieu du 22 novembre au 1er décembre. On le sait peu, mais la quasi-totalité du jus brésilien à destination de l’Europe est transbordé dans le port de Gand, où deux des trois plus grands acteurs mondiaux –Louis Dreyfus Company et Citrosuco– disposent d’un terminal. De quoi faire de la Belgique le sixième exportateur de jus d’orange au monde.
Les difficultés du Brésil s’ajoutent à celles de la Floride, deuxième producteur mondial. Là, le dragon jaune sévit déjà depuis une vingtaine d’années sans qu’aucune parade n’ait été trouvée. Et depuis 2003, les récoltes sont aussi minées par les ouragans et gelées qui s’y succèdent. Conséquence, les stocks n’y ont jamais été aussi bas en 50 ans, d’après les chiffres officiels américains. Dévastateur, l’ouragan Milton, qui a soufflé sur les Etats-Unis en octobre, a encore assombri les perspectives pour les récoltes à venir.
Cours quintuplé et changement de goût
La réaction des marchés est à l’avenant. On a assisté ces dernières semaines à une véritable flambée des cours à la Bourse de Chicago, où se négocie à l’échelle mondiale le jus d’orange concentré et congelé pour livraison. Les contrats à terme y ont quintuplé depuis février 2020, passant de 95 à 480 dollars aujourd’hui. En revanche, les récentes inondations dans la région de Valence ne devraient pas avoir de conséquences majeures. Si la province espagnole est, elle aussi, une importante terre d’agrumes, la grande part de sa production est destinée à la consommation courante plutôt qu’à la transformation en jus. Pour autant, l’avenir n’incite pas à la réjouissance dans un marché tendu par la présence hyperdominante du Brésil. A lui seul, le géant sud-américain est à l’origine des trois quarts du jus exporté dans le monde. Lorsqu’il est à la peine, c’est donc l’ensemble des consommateurs de la planète qui en ressentent les effets. Autre conséquence des mauvaises récoltes successives, les stocks de jus d’orange congelés sont aujourd’hui au plus bas. Privés de leurs réserves –le jus congelé peut être conservé deux ans maximum– les producteurs ne peuvent plus opérer de mélanges de jus récoltés sur deux années. Or, c’est ce procédé qui leur permettait jusqu’ici de garantir un goût uniforme d’une année à l’autre.
La situation est telle que les marques envisagent d’autres options au jus d’orange 100%. Pour l’Association internationale des jus de fruits et légumes, une alternative pourrait être le recours à des jus mixant orange et mandarine, dont les plants sont moins vulnérables aux changements climatiques. Certains industriels cherchent la parade, comme Suntory Holdings, un des leaders mondiaux du secteur des boissons, qui a annoncé cet été un partenariat avec le Cirad, un centre français de recherche agronomique, afin d’expérimenter au Brésil des «innovations variétales prometteuses» plus résistantes à la maladie du dragon jaune. Des efforts dont les résultats ne sont toutefois attendus que dans quelques années.
A l’automne 2022, un litre de jus coûtait en moyenne 1,82 euro, il s’affiche aujourd’hui à 2,39 euros.
Rare donc cher?
D’ici là, les amateurs de jus d’orange semblent condamnés à ouvrir plus largement leur portefeuille, comme l’indiquent les derniers relevés de testachats. Dans son rapport sur l’inflation dans les supermarchés belges, l’association de consommateurs pointait une nouvelle augmentation des prix de 22% au mois d’octobre. Une hausse qui en suit beaucoup d’autres. Ainsi, quand une brique d’un litre de jus coûtait en moyenne 1,82 euro à l’automne 2022, elle s’affiche à 2,39 euros aujourd’hui. Où cela s’arrêtera-t-il? Avec sa marque Minute Maid, le groupe Coca-Cola est l’un des plus grands vendeurs de jus d’orange au monde. Contactée, l’antenne belge n’a pas réagi. Il y a quelques semaines, le CFO John Murphy déclarait toutefois « s’attendre à de nouvelles hausses de coûts sur cette gamme de produits ». Au-delà, il faudra attendre l’été prochain pour savoir si le breuvage poursuivra sa folle trajectoire, les récoltes d’oranges au Brésil s’étalant entre mai et décembre.
Pour l’heure, la fièvre des prix du jus d’orange ne s’est pas traduite en désaffection. «Nous n’avons pas observé d’évolution négative dans la consommation des jus de longue conservation ni les jus frais, relève l’enseigne Delhaize. Mais nous constatons tout de même un changement de comportement. Nos clients ont désormais plus tendance à acheter notre marque propre que les marques nationales.» Si le jus d’orange de marque n’est pas encore considéré comme un bien de luxe, il en prend progressivement la direction.