La politiste Vanessa Codaccioni met en garde contre les dangers de l’usage croissant des «instruments de véridiction».
Même si son usage est assez répandu dans certains pays dont les Etats-Unis et, au faîte du palmarès européen, la Belgique, le polygraphe, qui sert à confondre de potentiels criminels en dévoilant leurs mensonges, a montré ses limites. Dans la plupart des Etats, hormis la Russie, les résultats de son utilisation ne peuvent d’ailleurs servir de preuves devant les tribunaux. Pourquoi, dès lors, la politiste Vanessa Codaccioni, professeure à l’université Paris VII, a-t-elle décidé de lui consacrer un essai, au demeurant passionnant, intitulé Les Détecteurs de mensonge (1)? Parce que cet appareil aux vertus fantasmées fut l’aiguillon d’une série d’autres «instruments de véridiction» auxquels la société de surveillance actuelle donne l’occasion de prospérer, malgré les incertitudes qui entourent leur efficacité.
Ainsi, se dessine un nouveau régime de vérité qui réduit les citoyens à des corps dociles et muets.
Les détecteurs qui s’appuyaient traditionnellement sur l’analyse de manifestations physiques du mensonge (respiration, rythme cardiaque, voix, etc.) se fondent désormais sur le repérage visuel de microgestes et d’expressions faciales, voire sur l’observation de l’activité du cerveau. Un exemple: en Inde, en 2008, une jeune femme a été condamnée à la prison à perpétuité pour avoir tué son ex-fiancé par empoisonnement sur la base d’une seule preuve, l’observation de son activité cérébrale alors qu’était diffusé un enregistrement audio du modus operandi supposé du meurtre (la Haute Cour de Bombay a finalement annulé la sentence pour vice de procédure). Il ne s’agit plus de faire parler les présumés criminels mais de les faire taire, la parole de la défense étant vaine face à de telles «preuves».
Le recours à ces moyens nouveaux (capteurs biométriques et thermiques, scanners cérébraux…) sert aussi des fins sécuritaires et punitives: le suivi postcarcéral des criminels sexuels (au Royaume-Uni), la prévention de l’immigration illégale ou la lutte contre le terrorisme. Ainsi, le système Avatar, utilisé dans les aéroports, vise à déceler des «indicateurs de tromperie» parmi les personnes franchissant les frontières internationales, à l’aide de trackers oculaires, de caméras vidéo tridimensionnelles pour les mouvements ou de microphones d’analyse de voix. Cette robotisation comporte de sérieux dangers: biais discriminants, suspicion accrue envers des catégories de personnes, déshumanisation. «Ainsi, se dessine un nouveau régime de vérité qui réduit les citoyens à des corps dociles et muets», met en garde Vanessa Codaccioni.