La droite classique devrait rester la première force politique de l’assemblée après le 9 juin. Mais la progression annoncée de la droite radicale, symbolisée par Giorgia Meloni, redistribuera les cartes.
Le dimanche noir annoncé en Belgique aux élections fédérales et régionales est promis à s’étendre à une grande partie du continent à l’occasion du scrutin européen. Notre pays pourrait bien figurer parmi ceux qui placeront un parti d’extrême droite comme vainqueur des européennes au soir du 9 juin. La même issue semble inéluctable en Italie, avec la formation Fratelli d’Italia de la cheffe de gouvernement Giorgia Meloni, et en France, avec le Rassemblement national du candidat Premier ministre Jordan Bardella.
Elle est probable aux Pays-Bas, avec le Parti de la liberté de Geert Wilders. «Le PVV a remporté haut la main les élections législatives du 22 novembre 2023. Il participe au gouvernement nouvellement formé. Il espère poursuivre sur sa lancée. Les sondages vont dans ce sens», décrypte Benjamin Biard, chargé de recherches au Centre de recherche et d’information sociopolitiques (Crisp). Or, le PVV avait connu une défaite cinglante lors des élections européennes de 2019. Il avait été supplanté sur ce spectre politique par un autre parti d’extrême droite, le Forum pour la démocratie, et n’avait pu faire élire qu’un seul représentant, passé en cours de législature dans le camp de son adversaire. Cette fois, il pourrait en envoyer… neuf au Parlement européen.
De l’Autriche à la Roumanie
En réalité, «l’extrême droite se porte très bien dans la plupart des pays européens», analyse Benjamin Biard. Le chercheur épingle, dans un panorama non exhaustif, «l’Autriche où le Parti de la liberté (FPÖ) domine dans les sondages depuis la fin de 2022, l’Espagne où Vox pourrait consolider sa place de parti avec lequel il faut compter, la Finlande où le Parti des Finlandais a rejoint une coalition gouvernementale depuis un an, la Suède où les Démocrates de Suède soutiennent un gouvernement minoritaire et tentent de surfer sur cette dynamique, le Portugal où Chega pourrait réaliser une percée, et la Roumanie, où l’Alliance pour l’unité des Roumains (AUR), un parti créé après les élections européennes de 2019, connaît une croissance dans les urnes, observée lors des élections législatives de décembre 2020, et dans les études d’opinion…»
Le poids des formations de droite populiste et d’extrême droite pourrait donc passer de quelque 130 élus actuellement à un effectif dépassant les 160. Cette progression n’en fera pas la principale famille politique au sein du Parlement européen, qui restera celle du Parti populaire européen (PPE), de droite, mais pourrait la voir rivaliser avec celle des sociaux-démocrates. Encore faudrait-il que cet agrégat s’unisse majoritairement au sein d’un seul groupe politique, ce qui n’a pas été le cas lors de la législature précédente. Des formations d’extrême droite ou de droite radicale se retrouvaient en effet dans le groupe Identité et démocratie (Rassemblement national, la Ligue, le FPÖ, le Vlaams Belang…). D’autres dans le groupe des Conservateurs et réformistes européens (Fratelli d’Italia, Vox, Reconquête…). Et les derniers parmi les non-inscrits (Fidesz).
«L’extrême droite se porte très bien dans la plupart des pays européens.»
Stratégies contrecarrées
Pour expliquer cette éclatement de la galaxie d’extrême droite, la question de la stratégie propre aux différents partis occupe une place importante. «La politique de dédiabolisation engagée par certains d’entre eux, notamment le Rassemblement national, les amènent à prendre leurs distances avec des formations en raison de l’image qu’elles véhiculent afin d’éviter que leur stratégie soit contrecarrée, souligne Benjamin Biard. On l’a vu récemment avec Marine Le Pen et l’AfD (NDLR: dont le candidat tête de la liste aux européennes a tenu des propos controversés sur la responsabilité des membres des SS pendant la Seconde Guerre mondiale). C’est un élément essentiel dans l’équation.» Résultat: l’AfD a été exclue du groupe Identité et démocratie.
Dans ce contexte de possible recomposition des alliances, l’Italienne Georgia Meloni jouera un rôle central. «Elle n’est pas seulement la leader d’un parti d’extrême droite, et d’un groupe politique européen, les Conservateurs et réformistes, elle est aussi la seule Première ministre de cette famille politique à se présenter à cette élection, résume Benjamin Biard. Son objectif est de consolider son leadership en Italie –les sondages lui sont favorables– ce qui lui permettra d’asseoir celui qu’elle exerce déjà en partie au sein de l’extrême droite européenne.» Même si le RN enverra sans doute plus de députés à Bruxelles que Fratelli d’Italia (28 contre 23, selon un sondage Euronews publié le 2 juin).
«Giorgia Meloni est la seule Première ministre d’extrême droite à se présenter à cette élection.»
Par conséquent, Giorgia Meloni est très courtisée. Marine Le Pen tente de la convaincre de rallier son groupe politique au Parlement européen, ce qui n’est pas exclu tant «Fratelli d’Italia tout comme Vox collaborent très bien avec les partis d’extrême droite membres d’Identité et démocratie, le RN, le PVV, le Vlaams Belang…», selon le chercheur du Crisp. Et Ursula von der Leyen, candidate à sa succession à la présidence de la Commission au nom du Parti populaire européen, elle aussi, fait les yeux doux à Georgia Meloni en vue d’un éventuel rapprochement, une perspective qui ne plaît pas nécessairement aux partis de droite modérée membres du PPE. Au vu du recul annoncé des libéraux de Renew et de la progression mesurée des sociaux-démocrates, la question se posera en effet de savoir sur quelle majorité le PPE pourra tabler pour faire passer les lois et directives au Parlement après le 9 juin face à une opposition d’extrême droite confortée.