dimanche, septembre 8

Les élections législatives qui se tiendront au Portugal le 10 mars consacreront-elles la victoire de Chega? Derrière le programme de ce parti de droite radicale, un héritage fasciste assumé et un certain culte de la personnalité.

Le leader du parti Chega, André Ventura, 41 ans, défie les députés portugais à quelques dizaines de mètres… de la sortie du Parlement. Enfin presque. Le clone en carton du dirigeant d’extrême droite sur l’affiche pointe du doigt le panneau électoral de Chega, «C’est assez», du nom du parti.

Une grosse croix rouge barre les photos des politiciens des autres formations avec ce slogan: «Honte! Le Portugal a besoin d’un nettoyage.» Partout dans Lisbonne, ces panneaux frappent les esprits : «Mettons fin à la corruption et aux casseroles au Portugal. Votez Chega!» le 10 mars.

«L’un des grands problèmes du Portugal, c’est la corruption. Il y a eu les pots-de-vin versés pour les concessions de lithium. Chega fait sa campagne électorale là-dessus», déplore Jose, restaurateur. Ancien professeur de droit et ex-commentateur sportif-star de la très sensationnaliste télévision CMTV, André Ventura y couvrait aussi les faits divers. Ancien du Parti social-démocrate de centre-droit, il s’est servi pendant des années de CMTV comme d’une tribune pour véhiculer ses idées.

Elections au Portugal: Chega, un parti anti-LGBT et anti-immigration

Contrairement aux partis d’extrême droite européens qui, à l’instar du Rassemblement national en France, jurent leurs grands dieux qu’ils n’ont plus de liens avec le nazisme ou ses déclinaisons nationales, Chega assume totalement son positionnement fasciste. Le chef s’affiche aux côtés de tous les leaders les plus radicaux de la planète avec le slogan: «Dieu, famille, patrie et travail». Le même que celui du dictateur Antonio de Oliveira Salazar, qui dirigea le pays de 1932 à 1968: «Deus, patria, familia.»

Le programme de Chega est un classique de l’extrême droite: anti-avortement, anti-LGBT et surtout anti-immigration. A une députée noire qui demandait que le Portugal restitue des œuvres d’art datant du temps des colonies à la Guinée-Bissau, André Ventura a répliqué: «Je propose que la députée Joacine soit elle-même rendue à son pays d’origine

Les gitans sont accusés de tous les maux par Chega: vols, viols, etc. Au moment de la pandémie de Covid-19, il ose: «Il est nécessaire d’avoir un plan de confinement spécifique pour la communauté Rom

Objectif, le pouvoir

Au siège du parti, à quelques centaines de mètres du Parlement, les visiteurs sont accueillis dans l’entrée par une pancarte d’1,70 mètre, représentant André Ventura en pied. Une militante confie: «La troisième place aux élections du 10 mars? Cela ne nous intéresse pas. Nous l’avons déjà. Nous voulons et nous aurons le pouvoir», clame-t-elle. Dans le bureau de la quinquagénaire, sur un tableau coloré, voici un André Ventura de profil, menton relevé à la Mussolini.

Amelia, chauffeuse de taxi, se défend: «Chega est un parti de droite modérée, pas d’extrême droite. Nous faisons face à une invasion d’étrangers. Ils nous volent. Qu’ils restent chez eux!», assène-t-elle, tout en tentant d’augmenter le prix d’une course.

Marta, une étudiante en lettres, elle, s’offusque: «Chega est le parti de l’hypocrisie.» Jusqu’il y a quelques années, le Portugal était l’un des rares pays européens à bouder l’extrême droite, tellement il avait été marqué par près d’un demi-siècle de dictature de Salazar. Les choses ont bien changé.

Elections au Portugal: le poids de l’ancien empire

Etudiant en lettres à l’université de Lisbonne, Rafael tente d’analyser le phénomène: «L’électorat du parti est composé de vieux messieurs plutôt aisés nostalgiques de Salazar. Les Portugais ont oublié cette époque ou ils sont morts. Tout cela alors que l’on va fêter le 50e anniversaire de la révolution des Oeillets», en avril.

Chega n’est pourtant pas traité avec complaisance par les médias et la population. «C’est un parti fasciste. Il bâtit son score sur la haine des immigrants. Nous avons beaucoup de migrants indiens et pakistanais. Et comme nous avions un grand empire, beaucoup viennent de nos ex-colonies. André Ventura dit aux Portugais qu’ils viennent voler nos jobs», éclaire Rafael.

A Lisbonne, les serveurs aux terrasses des cafés et des restaurants sont presque tous noirs, originaires de ces ex-colonies, et se contentent des emplois que ne veulent plus exercer les Portugais.

Les jeunes contre Chega

Elizabet, 45 ans, est originaire du Cap-Vert. Arrivée il y a un an avec sa fille de 15 ans, elle travaille illégalement comme femme de ménage. Elle refuse de parler de Chega, assure que son employeur la paie bien.

Tout comme ce serveur angolais d’un luxueux restaurant de la place du Commerce. Lui possède un permis de travail. Il parle couramment le français, l’anglais, l’espagnol, le portugais, l’arabe et apprend le russe et le mandarin. «Chega est une hérésie. Un pays ne se développe qu’en s’ouvrant sur le monde, pas en se refermant. Je pense apporter beaucoup au Portugal.»

Victoriana, étudiante en droit, ajoute: «Ce parti parle beaucoup, mais ils ne feront rien pour améliorer les choses. Chega n’est qu’un parti fasciste qui fait de la com.»

Rafael, dont le père a déserté pour échapper aux guerres coloniales de Salazar, conclut: «Tous les jeunes sont contre Chega. Je ne pense pas que ces fascistes parviendront au pouvoir cette fois-ci. Ils veulent un gouvernement de coalition avec la droite, mais pas à n’importe quel prix. A condition d’avoir des portefeuilles clés.»

La démission du Premier ministre Antonio Costa sur une affaire de corruption: tout profit pour l’extrême droite? © getty images
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