Le programme sur la compétitivité de l’ancien président de la Banque centrale européenne (BCE) a le mérite d’exister mais ne garantit pas que l’Europe puisse éviter un décrochage.
Le 9 septembre, Mario Draghi a remis son rapport sur la compétitivité. Son constat est alarmant: l’Europe apparaît largement distancée non seulement par la Chine mais aussi par les Etats-Unis. La seule évolution de la productivité du travail, qui, depuis l’an 2000, a crû en moyenne deux fois moins vite en Europe qu’aux Etats-Unis, a abouti à un écart de 25%. Ce décrochage est si important que les conséquences s’observent désormais à l’œil nu. Par exemple, durant la crise du Covid, on s’est rendu compte que les masques et les antiviraux étaient principalement produits en Chine ou en Inde. De même, les vaccins ont été développés sur le sol américain par des chercheurs européens. La désindustrialisation s’accélère également en Europe, où le secteur industriel ne représente plus qu’à peine 20% du PIB en 2024 contre 25% en 2000.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce décrochage. Tout d’abord, les crises successives depuis 2000 ont frappé les pays développés, mais alors que les Etats-Unis ont su rebondir grâce à une économie plus flexible, l’Europe, trop rigide, n’a pas réussi à retrouver un niveau de croissance adéquat. La crise énergétique de 2022 a également particulièrement affecté les pays européens, qui avaient placé leur indépendance énergétique entre les mains de la Russie. Cette erreur stratégique a entraîné le déclin des industries les plus énergivores. Ensuite, les investissements privés dans les innovations se sont révélés insuffisants, tandis que les investissements publics ont été inefficaces, et sont désormais contraints par la dette publique. L’Europe est ainsi en train de perdre la bataille des fintechs et de manquer la révolution de l’intelligence artificielle. Le poids de l’administration et de l’arsenal réglementaire a également limité l’entrepreneuriat ainsi que les gains de productivité liés aux nouvelles activités économiques. De plus, cela a accentué la rigidité du marché du travail, déjà orienté vers les services, un secteur où les gains de productivité sont faibles. Enfin, le vieillissement de la population et l’augmentation de l’âge de la retraite réduisent la productivité.
Le rapport Draghi propose un ensemble de mesures pour endiguer ce déclin. Il recommande, entre autres, d’augmenter les dépenses d’investissement de 800 milliards d’euros par an, en les finançant par l’émission de dette commune européenne. Il exhorte également les pays européens à limiter leur dépendance commerciale à l’égard de la Chine et à accélérer la transition numérique et énergétique pour garantir une indépendance européenne. Enfin, il insiste sur une simplification administrative indispensable pour favoriser l’innovation.
Ces propositions sont déjà bien connues et font clairement sens, sauf peut-être sur le rôle de l’investissement public, qui a montré ses limites avec le plan de relance NextGenerationEU. Mais même si elles sont appliquées, ces mesures seront-elles suffisantes pour endiguer le déclin européen et changer la culture économique du continent? De plus, ce programme n’arrive-t-il pas trop tard pour contrer un décrochage de la productivité potentiellement devenu inévitable? Le plan Draghi a donc le mérite d’exister, mais il ne garantit pas, malheureusement, que l’Europe quitte son statut de vieux continent à court terme.