Douces, dodues et réconfortantes, les courges ont la cote dès le retour de l’automne. Même si leurs apports nutritionnels sont riches et indéniables, gare à ne pas se laisser aveugler par les discours qui en font un «légume miracle».
Les bienfaits uniques d’une citrouille. Les propriétés insoupçonnées d’un potimarron. Le butternut, un «superaliment» à consommer sans modération. Le pâtisson, cet «allié santé». A lire et à écouter ce qui circule à leur sujet, les courges semblent dotées de pouvoirs quasi magiques. Nombreux sont les sites Web qui vont jusqu’à les présenter comme «le meilleur moyen d’éviter les médicaments» quand reviennent les rhumes et autres maladies d’automne et d’hiver. Un brin exagéré? Si, comme tout fruit ou légume, la courge concentre de précieuses valeurs nutritionnelles, un potager garni de jolies cucurbitacées ne remplacera tout de même pas une pharmacie.
Reines des fibres
Heureux les mangeurs de courges, ils seront rassasiés… grâce à leurs fibres. En plus de favoriser le transit intestinal, la forte teneur en fibres alimentaires que présentent ces légumes-fruits permet d’atteindre efficacement la satiété, et de jouer un rôle préventif face à diverses pathologies parmi lesquelles les maladies cardiovasculaires ou le diabète. Les courges représentent aussi une source importante de vitamines et de minéraux (calcium, fer, potassium). Elles apparaissent particulièrement riches en bêta-carotène, un antioxydant puissant qui se transforme en vitamine A dans le corps. Une étude menée en 2022 souligne que les courges contiennent en outre divers composés bioactifs tels que les cucurbitacines, les acides phénoliques et les flavonoïdes aux propriétés antioxydantes et anti-inflammatoires, ce qui peut jouer un rôle clé dans la réduction des risques de maladies chroniques (maladies cardiovasculaires, cancer).
Un légume-fruit comme un autre
Riches de toutes ces caractéristiques, les courges constituent sans doute un excellent choix alimentaire… mais pas une solution miracle. «Prévenir une maladie ne signifie pas s’en protéger à coup sûr, avise Sara Kahack, diététicienne au CHC Montlégia, à Liège. La plupart des bienfaits évoqués sont valables pour tous les légumes, ou presque.»
Le discours autour des «superaliments» peut en effet parfois exagérer leurs vertus, alors que la clé d’une alimentation saine réside dans la diversité et l’équilibre. «Aucun aliment isolé, y compris les courges, ne peut à lui seul fournir une protection complète contre les maladies», insistent les chercheurs de l’étude de 2022 parue dans la revue scientifique Plants. Pour eux comme pour Sara Kahack, il demeure primordial que les courges soient consommées «dans le cadre d’une alimentation variée et équilibrée pour en maximiser les bienfaits pour la santé», affirmant que la consommation de grandes quantités de courges (ou même de tout «superaliment») ne peut à elle seule entraîner des effets positifs significatifs. «Plus vous mangez coloré, mieux ce sera», conclut la diététicienne.
Pour Nathalie Collet, médecin nutritionniste, parler des courges comme de «superaliments» induit de surestimer leurs apports nutritionnels: «Elles prodiguent des fibres, des vitamines, mais pas de quoi leur conférer un statut exceptionnel. Cela reste un légume parmi d’autres. Chacun présente ses points forts, mais je ne me risquerais pas à y construire une hiérarchie pour la santé.» Dans cette exagération ambiante, Sara Kahack décèle une tendance de fond, qui ne concerne pas que les courges: «Dès qu’on entame une nouvelle saison, on se braque sur les « aliments tendance du moment » en opérant une focalisation, réductrice et artificielle, sur leurs propriétés intéressantes. La courge est-elle pour autant plus vertueuse qu’une carotte? Non! Je pense que cycliquement, beaucoup de gens se réfugient dans des aliments pseudo-miraculeux qui, prétendument, les éloigneront à tout jamais des cabinets de consultation. Mon avis est qu’on aime exagérer parce que ça rassure. Mais aucun aliment ne garantira une économie de médicaments, encore moins s’il ne s’inscrit pas dans un panel varié et bien dosé.»
D’autres facteurs de popularité
La richesse nutritionnelle des courges, qu’elle soit dépeinte avec mesure ou avec excès, contribue largement à leur mise en avant dès la fin de l’été. Mais d’autres caractéristiques jouent aussi dans cette «citrouille mania», qui s’observe tant sur les marchés hebdomadaires de village que les vidéos TikTok, les émissions de cuisine ou les conseils potager. Ainsi, les nuances de couleurs chaudes «instagrammables», la relative facilité de culture dans le jardin, la douceur gustative consensuelle de la chair, la polyvalence en cuisine et la conservation qui peut durer cinq mois à température ambiante (en décoration d’intérieur) constituent autant d’éléments qui les rendent visiblement plus appréciées que les poireaux ou les chicons. Agrégés, ces divers avantages contribuent à véhiculer au sujet de la courge une représentation de «légume parfait».
«Leur principal atout: elles permettent de manger local et d’avoir un légume préservé des longs voyages»
Sur ses terres, la maraîchère Aurore Wilgaut y voit surtout une explication liée à la saison: «A cette période de l’année, la courge est effectivement la star. La raison réside surtout dans l’absence de concurrence à l’étalage: on ne vend pratiquement que ça, car peu d’autres légumes poussent chez nous à cette période. Mes clients viennent acheter des courges comme ils prennent des tomates en été: c’est par volonté de manger ce que notre terre peut fournir localement, davantage que par considération nutritionnelle.» «C’est là, selon moi, leur principal atout: ça permet de manger local et d’avoir ainsi un légume préservé des longs voyages», s’enthousiasme Sara Kahack.
Du point de vue nutritionnel et malgré des apports effectifs, s’il faut en faire tout un plat, c’est donc plutôt pour le mettre au four et se régaler que pour espérer le remède ultime.
Article écrit par Gaëtan Spinhayer