lundi, mai 20

Manque d’énergie, déprime… Les médecins reçoivent de plus en plus de patients convaincus de souffrir d’une «fatigue surrénalienne». Une pathologie non validée par le corps médical.

Son nom circule. Exerçant à Bruxelles, le médecin, ORL de formation, s’est reconverti dans «l’hormonologie» et la «médecine fonctionnelle», une médecine alternative autrefois appelée «médecine antiâge». Au travers de livres, de vidéos diffusées sur Facebook, de posts sur son blog, de conférences, l’intéressé est un grand promoteur de la «fatigue surrénale», qui séduit de plus en plus un public en recherche d’un discours alternatif à celui d’une médecine technique jugée «froide». Il jure que «cette maladie demeure méconnue et incomprise» (NDLR: elle ne figure pas dans le classement international des maladies) et que de «nombreux médecins, se reposant sur des connaissances antédiluviennes, répondent souvent à côté de la plaque».

L’affection «méconnue et incomprise» connaît un essor certain sur les réseaux sociaux. Surveiller son taux de cortisol s’avère ainsi la tendance actuelle du vivre sain. La recette de l’adrenal cocktail («cocktail surrénalien»), composé de trois ingrédients censés préserver les glandes surrénaliennes, inonde les fils Instagram et TikTok.

Surveiller son taux de cortisol s’avère la tendance actuelle du vivre sain.

Issue du best-seller Adrenal fatigue: The 21st century stress syndrome, de James L. Wilson, chiropracteur et naturopathe, la thèse est très simple: le stress chronique et le mode de vie affectent la capacité de l’organisme à récupérer du stress physique, mental et émotionnel. Cette exposition intense et prolongée au stress engendre une production excessive de cortisol, l’«hormone du stress», qui, à terme, va épuiser les glandes surrénales. Celles-ci, à force d’être trop sollicitées, n’en produiraient plus assez et, par conséquent, altéreraient le corps. Ce que les praticiens de la médecine fonctionnelle, les naturopathes ou encore les «hormonologues» diagnostiquent comme une «fatigue surrénale» ou un «syndrome d’épuisement des glandes surrénales».

Selon eux, «le burnout surrénal favoriserait l’apparition de la soi-disant fibromyalgie et le syndrome de fatigue chronique». L’hyperactivité, puis l’hypoactivité des glandes surrénales, en réponse aux excès de stress, induiraient également une multitude d’autres symptômes: burnout, fatigue persistante, insomnies, coups de pompe inopinés, mauvaise humeur, anxiété, déprime, maux de tête, ballonnements, vertiges, baisse de libido, perte de cheveux, cycles menstruels irréguliers, hypoglycémie, intolérances alimentaires, allergies…

Le «vol de prégnénolone»

Les adeptes de la médecine fonctionnelle appuient bien souvent leur théorie sur un autre processus, tout aussi simple, appelé «vol de prégnénolone». La prégnénolone est une hormone, plus précisément un stéroïde, dont le rôle est celui d’être un précurseur, c’est-à-dire une molécule qui sert à en fabriquer d’autres. Véritable carrefour métabolique, elle se transforme ainsi en œstrogènes, testostérone, progestérone ou en DHEA et est notamment le précurseur du cortisol, la synthèse se déroulant dans les glandes surrénales.

Selon l’hypothèse du «vol de prégnénolone», l’organisme serait basé sur une hiérarchie de production hormonale. Face à des épisodes de stress récurrents, il donnerait la priorité au cortisol, au détriment des hormones «en bas de chaîne» qui ne seraient plus sécrétées. En résumé, le cortisol «pompe» la prégnénolone, conduisant à des carences multiples en hormones stéroïdiennes comme la testostérone, les œstrogènes et la DHEA. Les «hormonologues» préconisent alors des compléments de prégnénolone et de DHEA, ainsi que des nutriments. Mais malgré des taux qui remontent dans les analyses, les patients ne voient que peu d’amélioration. Parce que cela n’a «rien à voir avec un pool en prégnénolone, insiste Agnès Burniat, endocrinologue à l’hôpital universitaire de Bruxelles et professeure à la faculté de médecine de l’ULB. Il n’existe d’ailleurs pas qu’un seul pool de prégnénolone. Plusieurs cellules surrénaliennes sont capables de synthétiser différentes hormones stéroïdiennes. La recherche montre, en outre, que les glandes surrénales suivent très bien la cadence.»

«La recherche montre que les glandes surrénales suivent très bien la cadence.»

Les traitements proposés pour guérir le «rash surrénalien» reposent, eux, sur une combinaison d’hormones (à base de cortisol et de molécules apparentées), souvent associée à des vitamines. Un véritable dopant – la plupart des patients se sentent mieux et sont donc convaincus – mais… temporaire. Et un cercle vicieux: une accoutumance s’installe rapidement, obligeant à augmenter le dosage. Ce qui n’est pas sans danger. Consommer des préparations hormonales en l’absence de manque avéré peut réduire la production hormonale des glandes surrénales, puisqu’elles reçoivent le signal que le taux sanguin est suffisant. Même à faibles doses, les traitements à base d’hydrocortisone (du cortisol sous forme de médicament) comportent un risque de troubles psychiatriques, d’ostéoporose, de douleurs musculaires ou encore de maladies cardiovasculaires.

200 euros le test, 300 euros la consultation

«La fatigue surrénale ne veut rien dire. Ce n’est pas une notion médicalement validée. Cela s’appelle même de la pseudoscience», poursuit le Pr Agnès Burniat. Pour les endocrinologues hospitaliers, la thèse de la fatigue surrénalienne ne sert qu’à justifier des traitements douteux et onéreux. Ces médecins plébiscitent un prélèvement sanguin (quelque 200 euros) ou un test salivaire pour estimer que le taux de cortisol est bas et que l’individu est en burnout surrénalien. Pour poser leur diagnostic, ils se fondent également à des valeurs seuils de cortisol qui s’écartent du consensus scientifique international. «Il suffit de modifier légèrement la norme pour « découvrir » une kyrielle de carences imaginaires.»

Ce consensus scientifique est décrié par les adeptes de la médecine fonctionnelle, notamment par le médecin bruxellois à l’influence certaine, et qui facture 300 euros l’heure de consultation. Ceux-ci affirment que les endocrinologues se basent sur une marge trop large et privent dès lors des patients d’un traitement dont ils auraient besoin. Malgré leur aplomb, la science pointe pourtant à l’opposé de ce qu’ils disent. Rien n’indique dans la littérature scientifique la preuve de l’existence d’une fatigue surrénale. Ainsi, une méta-analyse, recensant près de 3.500 articles et publiée en 2016 dans le BMC Endocrine Disorders, conclut sommairement: «La fatigue surrénalienne reste un mythe.» A ce jour, les recherches n’établissent aucun lien entre une fatigue anormale et la production de cortisol par les glandes surrénales. Celui-ci n’est pas abaissé chez les patients qui se sentent épuisés.

Des signes non spécifiques

«La seule pathologie qui existe est l’insuffisance surrénale et c’est une maladie rare», souligne Agnès Burniat. Pour la diagnostiquer, il n’existe qu’un examen: la récolte des urines de 24 heures et un test au synacthène (injection de l’hormone corticotrope, ou ACTH, et mesure de la quantité de cortisol que les glandes surrénales sécrètent dans la circulation sanguine en réponse). Seul le lien entre le taux d’aldostérone et le taux de cortisol oriente le diagnostic vers une insuffisance surrénalienne.

L’examen permet de déceler une insuffisance surrénalienne primaire, dont les symptômes sont très violents (hypertension artérielle, amaigrissement, brunissement de la peau…). La maladie d’Addison, affection auto-immune, en fait ainsi partie et touche 30 personnes par million d’habitants. Elle est due à une atteinte des glandes surrénales et plus précisément la partie corticosurrénale, qui conduit à un arrêt de la sécrétion d’aldostérone et de cortisol. Cela se traduit par une baisse de la tension artérielle et une fatigue continue très gênante.

Parfois, la trop faible sécrétion de cortisol et d’aldostérone n’est pas due à une anomalie des glandes surrénales mais à un trouble de la glande hypophyse, au niveau du cerveau. Le fonctionnement de cette glande peut être altéré par la présence d’une tumeur, un acte chirurgical ou encore un trouble de la circulation du sang dans le cerveau. Dès lors, l’hypophyse ne produit plus assez de corticotrophine, une hormone qui stimule les glandes surrénales pour qu’elles produisent de l’aldostérone et du cortisol.

Des maladies rares et potentiellement graves sans traitement qui n’ont aucun rapport avec «la fameuse fatigue surrénalienne dont les signes généraux sont non spécifiques et dont les symptômes ne sont pas liés à un organe en particulier, conclut l’endocrinologue. Nous nous en tenons à la biologie de base et j’explique au patient les raisons pour lesquelles nous ne pouvons pas prendre en considération ces théories. Surtout, de notre côté, nous n’avons rien à vendre.»

Comment ça fonctionne

Lors de situations de stress, l’hypothalamus (dans le cerveau) ordonne aux glandes «surrénales» (coiffant les reins) d’émettre de l’adrénaline, de la noradrénaline et des glucocorticoïdes, principalement le cortisol. Ces hormones favorisent l’accélération des battements du cœur et du souffle, augmentent la tension artérielle, la production du sucre pour assurer les besoins énergétiques, la résistance à la douleur et permettent de ralentir tous les autres processus. Une fois le danger disparu, le corps revient à la normale.

Par ailleurs, le cortisol joue un rôle majeur dans la synthétisation des glucides et des lipides dans l’organisme, l’immunité, le métabolisme osseux, les reins, la fonction reproductrice ou encore le développement fœtal. Il suit généralement le cycle circadien et ainsi sécrété entre 6 heures et 8 heures, puis baisse progressivement jusqu’au soir.

L’aldostérone régule, elle, la capacité à maintenir une hydratation et un taux de sodium stable dans le sang. Son site d’action est le rein. Une carence en aldostérone entraîne une hypotension artérielle et des déshydratations avec perte de sel.

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