dimanche, septembre 8

Des centaines de milliers d’électeurs ont voté blanc lors des primaires démocrates en signe d’opposition à la politique « pro-israélienne » de l’administration Biden. Un mouvement contestataire qui pourrait s’avérer fatal au président américain dans les Swing States, le 5 novembre prochain.

Dix-neuf pourcents dans le Minnesota. Treize dans le Michigan. Douze en Caroline du Nord. Un candidat surprise émerge, durant les primaires démocrates. Un rival potentiel sans visage et sans nom, mais dont l’ombre grandissante plane sur l’actuel locataire de la Maison Blanche : le vote blanc.

Le 27 février, dans le Michigan, ce sont plus de 100.000 démocrates qui se sont résignés à voter « uncommited » (littéralement « non-engagé ») dans l’isoloir, pour marquer leur opposition à la politique menée par Joe Biden dans le conflit israélo-palestinien. Une tendance contestataire qui a à nouveau agité le Super Tuesday : dans six des quinze Etats appelés à voter mardi, des dizaines de milliers de votes « sans préférence » ont ainsi été comptabilisés. Sans véritablement inquiéter le président américain, victorieux en tout lieu à l’exception des îles Samoa, cet acte de protestation a tout de même convaincu 9,4% des démocrates dans le Massachussetts et 12,7% en Caroline du Nord, jusqu’à frôler les 20% dans le Minnesota.

Un gouffre générationnel

Initié dans le Michigan, l’Etat qui abrite la plus grande communauté arabo-musulmane des Etats-Unis, cet appel au boycott vise à sanctionner l’administration Biden pour son soutien financier et matériel à Israël dans le conflit qui l’oppose au Hamas. « Le président américain ne représente plus la large majorité de démocrates qui plaident pour un cessez-le-feu et la fin du génocide israélien à Gaza », indiquent les instigateurs du mouvement.

Outre l’électorat d’origine arabo-musulmane, cette campagne récolte également le soutien des jeunes du parti. « La nouvelle génération de votants démocrates défend plutôt les droits des Palestiniens, observe Tanguy Struye, professeur en relations internationales à l’UCLouvain. Elle adopte une logique idéaliste et se détache ainsi de la vision de l’ancienne génération, qui a toujours considéré Israël comme un allié. » La gauche plus progressiste, voire radicale, se joint également aux revendications. « La majorité de l’électorat de Bernie Sanders en 2020 s’y retrouve, note Michel Liégeois, professeur de politique internationale à l’UCLouvain. Cette frange d’électeurs a naturellement des sympathies pour les peuples opprimés. C’est d’ailleurs un trait commun à l’ensemble des gauches dans le monde. »

Primaires: un signal d’alarme non-négligeable

Ce mouvement de contestation, s’il n’en est qu’à ses prémisses, pourrait bien mettre des bâtons dans les roues électorales de Biden. « Au niveau des primaires, les dés sont aujourd’hui joués. Sauf ennui de santé ou problème judiciaire, rien ne pourra plus empêcher Biden et Trump de s’affronter pour la présidence, concède Michel Liégeois. Si la capacité d’action de ce mouvement est désormais nulle, son poids peut être déterminant lors du scrutin présidentiel de novembre. » Notamment dans les Swing States, ces Etats qui virent du bleu au rouge tous les quatre ans, et inversement. « L’élection sera ultra-serrée, confirme Tanguy Struye. Joe Biden ne doit pas négliger ce signal d’alarme, car il ne peut pas se priver de cette frange importante d’électeurs. Ça pourrait lui couter sa présidence.» Pour rappel, en 2016, Donald Trump avait remporté le Michigan par environ 10.000 bulletins. En 2020, Joe Biden le lui avait arraché avec environ 150.000 voix. « Ces quelques milliers de votes blancs pourraient bien faire basculer l’élection. »

D’autant que Joe Biden dispose d’une marge de manœuvre limitée pour reconquérir ces indécis. Désavouer ouvertement l’administration Netanyahou, c’est perdre un allié historique tout en risquant de se mettre à dos la frange plus conservatrice de son électorat. Mettre un terme à la livraison d’armes, c’est également donner du grain à moudre aux Républicains, qui ne manqueraient pas d’exploiter politiquement cette décision. « La position de Biden est extrêmement complexe, tant sur la scène internationale que nationale, observe Tanguy Struye. Le président maintient donc une politique relativement ambiguë et cynique : il continue de livrer des armes aux Israéliens, tout en parachutant des vivres dans la bande de Gaza. »

« Une forme de suicide »

Pour l’expert de l’UCLouvain, seul un cessez-le-feu durable pourrait sauver Joe Biden. « Réussir à négocier une trêve des combats, qui pourrait se transformer en cessez-le-feu permanent, ce serait le scénario idéal. Il pourrait ensuite focaliser ses efforts sur une reconstruction de Gaza et œuvrer à une solution de paix durable. Mais on en est encore très loin. »

« Voter blanc serait une véritable erreur stratégique »

Déçus ou pas, reste à savoir si les abstentionnistes démocrates réitèreront le même schéma lors du scrutin présidentiel. « D’un point de vue rationnel, il est difficilement imaginable que cet électorat propalestinien s’abstienne à nouveau dans le cadre d’une élection bipartite, car cela renforcerait mécaniquement les chances de victoire de Trump », note Michel Liégeois. Un choix qui s’apparenterait à une « forme de suicide », eu égard aux accointances du Républicain avec les lobbys pro-israéliens. « Aucun président n’a eu des positions aussi tranchées que Trump lui-même lors de son mandat, notamment en déménageant l’ambassade américaine à Jérusalem, rappelle Michel Liégeois. Voter blanc serait une véritable erreur stratégique. Mais les comportements électoraux n’obéissent pas toujours à une stricte rationalité, surtout sur des thématiques aussi sensibles que le conflit israélo-palestinien. »

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