La voiture électrique reste tenacement associée à un produit cher et difficilement accessible. «Une illusion» ? Certains modèles chinois abordables semblent changer la donne.
Plus du double. Entre les années précédentes et 2024, le taux de pénétration des voitures électriques fabriquées en Chine est passé de 2,3 à 5 sur le marché européen. «À politiques inchangées, on peut penser que le parc automobile européen sera majoritairement fabriqué en Chine en 2035», lance Bertrand Candelon, professeur à la Louvain School of Management de l’UCLouvain. «La Commission européenne a réagi en instaurant des frais de douane, relevés jusqu’à hauteur de 38 % le 4 juillet dernier, mais cette solution n’est pour moi que temporaire car les entreprises auront assez vite fait de les contourner. Il leur suffira d’acheter des terrains pour installer des usines chez nous.»
Une mauvaise nouvelle potentielle pour la compétitivité européenne. Mais peut-être un changement positif pour les usagers: la voiture électrique apparaît (enfin) bon marché. «Si elle est généralement perçue comme luxueuse, c’est avant tout la conséquence de choix posés par les constructeurs, expose Francesco Contino, professeur à l’École polytechnique de l’UCLouvain. C’est en raison de cette nature luxueuse des modèles émergeants que les prix atteignaient des valeurs si élevées, davantage qu’en raison de leur caractère électrique. Et si les constructeurs ont commencé par ces modèles premiums, c’est simplement parce que ces derniers leur offraient plus de marge bénéficiaire.» Selon lui, l’arrivée de modèles électriques neufs autour de 20.000 euros peut initier une nouvelle façon de se représenter l’achat d’une voiture électrique, et le coup de pied chinois n’y est pas étranger.
Le calcul se complexifie
Malgré ces mouvements de démocratisation, les prix qu’affichent les catalogues de concessionnaires restent globalement supérieurs dans les pages « électriques ». Mais pour comparer correctement les options thermique et électrique, un outil adapté est le coût total de propriété (dit aussi TCO – Total Cost of Ownership), qui établit combien coûte une voiture au kilomètre. Au critère du prix d’achat s’ajoutent alors celui de l’énergie, les taxes ainsi que les frais de maintenance. «Après examen du TCO, on s’aperçoit que rouler à l’électricité occasionne moins de coûts», affirme Francesco Contino, rejoint par une étude de VIAS parue en 2023. De son côté, Bertrand Candelon table sur l’optimisation des batteries pour que ces dernières deviennent moins cher. « À son entrée sur le marché, comme pour toute innovation, la batterie est onéreuse pour deux raisons majeures : il faut d’abord amortir le coût de la recherche et du développement, et attendre ensuite qu’un véritable réseau de concurrence se développe. Je suis convaincu que ces mécanismes classiques sont en train d’agir et agiront encore, de sorte que les moteurs électriques s’imposeront comme meilleur marché. »
Pour l’économiste, tout porte à croire qu’un second facteur baissier interviendra dans le prix moyen. Non seulement moins chères du fait de leur banalité croissante, les voitures électriques s’annonceraient également plus abordables à la faveur d’avancées technologiques qui permettront de créer de meilleures batteries avec moins de matières premières. « Nous avons observé cela avec les panneaux solaires. S’ils valaient très cher au début de leur déploiement sur les habitations, leurs prix ont pu baisser grâce à une production plus abondante doublée d’une conception moins onéreuse, pour des rendements meilleurs. » Et d’ajouter que le défi de l’Europe réside moins dans la réalisation effective des baisses de prix, que l’on observera quoi qu’il arrive, que dans sa prise de part active aux moyens pour y arriver. « On touche là au réel enjeu dont l’UE doit se saisir. La priorité doit être donnée à la recherche scientifique. Si la Chine présente un avantage sur la présence de matières premières grâce à son sous-sol, l’Europe doit occuper le terrain de l’innovation. Nous pouvons discuter d’extraction au sein de nos frontières, mais il faut surtout réfléchir à mieux utiliser ces ressources en vue de faire mieux avec moins », ponctue Bertrand Candelon.
«Le futur de la voiture est électrique, mais le futur de la mobilité n’est pas la voiture»
Francesco Contino est convaincu que revoir les usages de la voiture constitue une piste essentielle pour que son électrification reste accessible. L’intermodalité – le fait de combiner plusieurs façons de se déplacer pour un trajet – est son credo. Comme ce qui plombe le prix d’une batterie réside dans son autonomie et donc dans sa taille, il peut simplement être question de l’accepter modeste. « Vu les efforts de baisse d’émissions que nous devons consentir, la voiture, indépendamment de son moteur, doit être perçue différemment. Elle doit à mes yeux être partagée et servir à des courtes jonctions entre des gares, par exemple. Dans ce cadre, la course à l’autonomie perd de son sens et la voie vers des véhicules moins onéreux s’ouvre plus facilement. Il ne faut pas nécessairement dépasser les 50 kilowattheures pour proposer une voiture valable. »