Peut-on un jour espérer prendre l’avion sans engendrer de pollution? Quatre technologies pourraient mener à ce miracle écologique. Mais de nombreux défauts subsistent.
Par Nicolo Tissier
Flygskam. En 2018, ce mot suédois déboulait – en même temps que Greta Thunberg – dans le paysage médiatique. Traduction : avion-honte. Un mot qui a commencé à remettre en question le fait de prendre l’avion. Il y a ceux qui affirment qu’il faudrait désormais s’en passer, voyager grâce à d’autres moyens. Puis ceux qui espèrent qu’un engin «écolo» volera un jour, sans qu’il faille changer les comportements pour faire diminuer les 2 à 2,5% d’émission de gaz à effet de serre (CO2) que représente le secteur aérien.
«Et encore, se focaliser sur ces 2,5%, c’est intellectuellement malhonnête, nuance Frédéric Dobruszkes, docteur et chercheur en géographie à l’ULB, spécialiste des transports. Car si on isole n’importe quel secteur, on obtient toujours de petits chiffres. Et à ce compte-là, plus personne ne devrait faire d’efforts.»
Selon les scientifiques, les émissions de CO2 ne représenteraient qu’un tiers de la pollution engendrée par le secteur aérien. Les trainées de condensation (les traces blanches laissées par les avions dans le ciel) sont elles aussi néfastes, par exemple: composées de dioxyde d’azote, elles entraînent des effets de serre directs et indirects, formant des nuages appelés cirrus. Qui filtrent les rayons du soleil et en retiennent la chaleur. Le poids climatique de l’aviation est un iceberg dont on ne perçoit que la surface.
Solution miracle, long parcours, ou voie sans issue ?
Quelles technologies pourront faire fondre la pollution qu’il engendre ? Quatre technologies sont aujourd’hui au centre des recherches.
La plus susceptible de se généraliser : les SAF (Sustainable Aviation Fuel). Soit des carburants durables, destinés à remplacer le plus possible le kérosène. Ces alternatives plus vertes s’obtiennent de deux manières différentes. Tout d’abord les biocarburants, produits à partir de biomasses telles que des huiles végétales usagées, des algues, des graisses, des résidus agricoles, voire de l’agriculture dédiée… Leur utilisation peut réduire considérablement la production de CO2 : jusqu’à 80% sur le cycle total, par rapport au kérosène. Ils peuvent être utilisés sans besoin de (trop) modifier ni les engins, ni les structures actuelles.
Le poids climatique de l’aviation est un iceberg dont on ne perçoit que la surface.
Le secteur aérien en fait déjà usage, mais doit les mélanger à 50% de kérosène minimum. L’ambition est d’atteindre les 100% de biocarburant d’ici 2030 pour se passer d’énergie fossile. Une mesure ambitieuse qui nécessiterait des évolutions techniques, notamment au niveau des moteurs.
Mais les biocarburants posent des problèmes de taille : les ressources premières sont limitées et leur prix est élevé en raison de la quantité d’énergie nécessaire à la production.
Autre piste technologique: le e-fuel, aussi nommé carburant de synthèse et généré via du renouvelable solaire ou éolien. Le processus énergétique transforme eau et CO2 en un carburant compatible, stockable facilement sous forme liquide. Son défaut majeur : «On perd, au fil du processus, 40 à 60% de l’énergie initialement injectée. L’avion consommera deux fois plus d’énergie électrique qu’auparavant», explique Axel Coussement, chercheur et professeur au service d’aéro-thermo-mécanique à l’Ecole Polytechnique de Bruxelles. Cette déperdition en fait une alternative particulièrement onéreuse.
La troisième technologie étudiée est celle des avions électriques, parfois présentés comme le futur de l’aviation et explorés notamment par Airbus et Boeing. Le plus célèbre d’entre eux est le Solar Impulse, petit monoplace équipé de panneaux solaires, qui a réussi l’exploit de faire le tour du monde en 2015 et 2016 en se basant uniquement sur sa propre énergie renouvelable. Mais ces petits appareils restent au stade de prototypes, avec une capacité de transport de passagers très limitée. L’avis d’Axel Coussement est catégorique: «Dès que l’on parle de grosses distances à franchir, les batteries sont out, clairement». À cause de leur manque d’autonomie et de puissance, et surtout de leur poids. Seules celles de petite taille sont ainsi utilisables. Elles servent comme apport de puissance au décollage, offrant un gain de consommation de 5 à 10%. Cette voie s’apparente aux voitures hybrides: «C’est-à-dire consommer moins de carburant, oui, mais continuer d’en consommer quand même», résume le chercheur.
La quatrième solution espérée est l’hydrogène, utilisé directement comme carburant, d’autant qu’il brûle très facilement. Voler avec cet élément est techniquement possible, mais présente un obstacle de taille, le stockage. Sous forme liquide, l’hydrogène doit être maintenu constamment à une température très basse et stable, idéalement à moins 240 degrés Celsius. Le défi technique est très élevé car il risque de s’évaporer dès qu’il est chauffé. Il nécessite d’être stocké dans une forme cylindrique, ce qui implique la conception de nouveaux avions.
Ces derniers risquent cependant de devenir plus gros et plus lourds. «Le problème principal est le poids», confirme Axel Coussement. Stocker l’hydrogène sous forme gazeuse est confronté aux mêmes obstacles.
Le projet le plus connu exploitant cette technologie est le ZEROe d’Airbus, qui en a fait la figure de proue de ses ambitions climatiques en annonçant son aboutissement pour 2035. Mais de nombreux experts craignent un simple effet d’annonce. La nouvelle flotte d’appareils à hydrogène nécessiterait par ailleurs la construction d’infrastructures adaptées dans les aéroports pour pouvoir les accueillir.
Avion écolo: «Il n’y a pas de game changer»
«Pour l’instant, on ne voit pas arriver de game changer», résume Axel Coussement. Même analyse chez Frédéric Dobruszkes: «A court et moyen terme, personne n’a de solution».
«A court et moyen terme, personne n’a de solution».
Les technologies en cours de développement pourraient insuffler quelques changements dans le secteur aérien, mais de façon lente et progressive. «On va d’abord faire du soft fuel[1], car c’est le plus simple, avant de passer aussi par l’hydrogène», prédit Axel Coussement.
D’où viendra la grande révolution du secteur aérien? D’une invention technologique majeure, comme l’espèrent ceux qui se définissent «techno-optimistes»? Ou des comportements des utilisateurs, qui renonceront à s’envoler? «On peut espérer une innovation majeure ces prochaines années, conclut Frédéric Dobruszkes. Mais on ne peut pas se baser uniquement sur un espoir.»
[1] Les carburants durables et l’intégration de batteries électriques