Le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans perturbe l’approvisionnement en carburant de Bamako. Il n’est pas sûr que la junte, isolée, puisse lui opposer une réplique crédible.
Depuis l’offensive sur Bamako en 2012 des groupes djihadistes Ansar Dine, Al-Qaeda au Maghreb islamique et le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest qui avait poussé la France à intervenir l’année suivante, jamais le pouvoir des dirigeants du Mali n’a été aussi menacé qu’aujourd’hui. Du côté «rebelle», c’est le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM, Jama’a Nusrat ul-Islam wa al-Muslimin) qui a étendu ses actions depuis le nord du pays vers la capitale. Dans le camp «loyaliste», le pouvoir civil, emmené au début des années 2010 par le président Amadi Toumani Touré, a fait place à une junte militaire dirigée par le général Assimi Goïta, auteur d’un double putsch en 2020 et 2021. Comme intervenant extérieur, il est improbable qu’un Etat se porte, comme l’a fait il y a douze ans la France «chassée» du pays en 2022, au secours des dirigeants maliens.
La perspective de l’arrivée au pouvoir à Bamako d’un groupe djihadiste lié à Al-Qaeda, avec toutes les conséquences qu’elle entraînerait y compris pour l’Europe, est-elle dans le domaine du possible? Revue des cinq principales questions que pose la situation politico-sécuritaire au Mali.
1. Pourquoi cette menace accrue?
Maître d’une partie du nord du territoire malien, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) a lancé depuis l’été une série d’attaques à l’ouest et au sud du Mali. La plupart se sont concentrées dans la région de Kayes, sur la route entre Bamako et le Sénégal; d’autres ont visé l’axe entre la capitale et la Côte d’Ivoire au sud. C’est une «guerre économique» qu’a ainsi lancé le groupe djihadiste.
Elle s’est traduite par des attaques d’usines et des incendies de convois de camions-citernes. Deux cimenteries, à Karaga et à Gangontery, ont été visées le 1er juillet. Deux usines de production sucrière, à Dougabougou le 1er août et à Bewani dans la nuit du 6 au 7 août, ont également été la cible des djihadistes. Ces pratiques visent à perturber l’activité économique. Mais l’essentiel de l’opération a consisté à empêcher l’approvisionnement en carburant de la capitale depuis le Sénégal et la Côte d’Ivoire. Le 14 septembre, des dizaines de camions-citernes d’un convoi venant du Sénégal ont ainsi été incendiés par un commando du GSIM.
«Les récentes attaques témoignent de la montée en puissance du GSIM, analyse Mathias Khalfaoui, consultant indépendant sur les questions de développement et d’insécurité en Afrique de l’Ouest dans une note de la Fondation Jean Jaurès du 15 octobre intitulée «L’enlisement du Mali dans une double crise politique et sécuritaire». En septembre 2024, une attaque d’envergure avait déjà été menée au cœur de la capitale, Bamako, causant la mort de plusieurs dizaines de soldats maliens. En 2025, le GSIM a poursuivi son offensive en visant directement les grands centres urbains, illustrant notamment (…) sa capacité à mener des attaques simultanées dans plusieurs villes. Dernier événement majeur en date: depuis début septembre 2025, il a décrété un blocus sur la ville de Kayes, principal point d’entrée des marchandises en provenance du Sénégal, interdisant notamment l’approvisionnement en carburant du pays.»
Pour l’instant, que ce soit à l’ouest ou dans le sud, les islamistes ne s’en sont pas pris aux sites miniers, sans doute mieux protégés parce que propriétés de sociétés étrangères.

2. Quelles conséquences sur la vie quotidienne?
La mesure la plus spectaculaire induite par ce «blocus» économique a été annoncée par la junte au pouvoir le 27 octobre avec la fermeture des écoles et universités dans tout le pays à partir de cette date et jusqu’au 9 novembre. Elle s’explique par l’approvisionnement réduit de carburant et par son rationnement. Les militaires ont établi les domaines qui devaient en bénéficier prioritairement, «véhicules de secours, d’assistance et de transport en commun», et cela dans «des stations dédiées».
De manière plus générale, le contexte d’insécurité régnant dans certaines zones affecte la libre circulation et par corollaire l’activité économique. Outre les risques de violence sur des check-points éphémères ou lors de raids éclairs, les voyageurs sont soumis aux exigences «morales» des islamistes. Ainsi, les compagnies de car sont tenues, sous peine de représailles, de se plier à leurs injonctions, port du voile pour les femmes et séparation des femmes et des hommes à l’intérieur du véhicule. Ces dispositions donnent une petite idée de l’ordre que ferait régner le GSIM à Bamako s’il s’en emparait.
3. Quelle réplique de l’armée?
Face à cette tentative de blocus économique du centre névralgique du Mali, la réponse de l’armée n’apparaît pas à la hauteur de la menace. Celle-ci a fait état d’une contre-offensive opérée le 6 septembre dans l’ouest du pays qui aurait conduit à l’éradication de plusieurs bastions terroristes, à la «neutralisation» de plusieurs combattants, et à la destruction d’un arsenal conséquent d’armements. Les attaques des djihadistes n’en ont pas moins continué. Et d’autres contre-attaques de cette ampleur ne semblent pas avoir été menées.
Illustration du malaise au sein de l’appareil militaire, le leader de la junte Assimi Goïta a limogé le 21 octobre le général Keba Sangaré, chef d’état-major général adjoint des armées, le général Nouhoum Ouattara, directeur de la sécurité militaire, et le général de brigade Harouna Samaké, le chef d’état-major de l’armée de terre. Une décision «liée aux mauvais résultats des troupes sur le terrain, à l’incapacité des renseignements à prévenir et contrer les attaques», d’après un officier supérieur s’exprimant sous couvert de l’anonymat auprès de l’Agence France-Presse.
Plusieurs observateurs avancent que la junte militaire est plus préoccupée par la recherche des moyens pour se maintenir au pouvoir que par la lutte contre les groupes djihadistes. Cela exliquerait un changement de stratégie observé ces derniers temps. «Alors qu’elle cherchait initialement à intégrer et à partager les avantages du pouvoir avec un large éventail de composantes de l’armée malienne, cette approche est dépassée. Désormais, des purges ont lieu dans le but d’éliminer tout officier considéré comme une menace potentielle pour son autorité», diagnostique Mathias Khalfaoui.
4. Pourquoi la junte est si isolée?
A l’origine, la prise de pouvoir par les militaires en 2020 devait être un temps de transition jusqu’à la restauration, à échéance rapprochée, de la complète gouvernance par les civils. Président d’un Comité national de salut du peuple (CNSP) à la faveur du coup d’Etat de 2020 contre le président Ibrahim Boubacar Keita, Assimi Goïta est désigné chef de l’Etat quelques jours plus tard. La perspective du retour des civils aux commandes est encore ouverte, un gouvernement comprenant des militaires étant mis en place. Mais, mécontent du limogeage de celui-ci de deux hauts gradés membres du CNSP à l’occasion d’un remaniement, il procède à un deuxième putsch en mai 2021 et s’arroge tous les pouvoirs.
Depuis, l’espace politique n’a cessé d’être réduit. «Le paysage politique se vide. Les partis politiques maliens, cible favorite de la junte, ont été finalement dissous le 13 mai 2025, rappelle Mathias Khalfaoui pour le Fondation Jean Jaurès. Leur capacité à créer des rassemblements et des mouvements populaires était crainte. Les forces religieuses, notamment symbolisées par l’imam Dicko, qui ont été décisives dans la chute des présidents Amadou Toumani Touré en 2012 et Ibrahim Boubacar Keita en 2020, ont dû s’exiler. Souhaitant être associé au pouvoir, Mahamoud Dicko en a été écarté par la junte, ce qui l’a placé dans l’opposition dès 2021.»


5. Quels soutiens extérieurs possibles?
Prétendre qu’Assimi Goïta est complètement isolé et manque d’atouts pour contrer l’offensive djihadiste serait toutefois erroné. D’abord, sur le terrain, rien n’indique que le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans ait les moyens armés et humains pour s’opposer à l’armée malienne dans la conquête de Bamako et dans le contrôle de l’ensemble du territoire. Son action à l’ouest et au sud du pays tient davantage de missions de guérilla qui, certes, mettent sérieusement en difficulté le pouvoir, mais peut-être pas au point de le faire tomber. Assimi Goïta, s’il s’est retiré de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) après que ses membres ont infligé des sanctions au Mali à la suite du coup d’Etat, a néanmoins noué avec deux autres Etats «rebelles», théâtres eux aussi d’une prise de pouvoir par des militaires, le Niger et le Burkina Faso, une Alliance des Etats du Sahel censée permettre une mutualisation des forces pour combattre les menaces sécuritaires dans la région. Mais on n’en a pas encore vu les effets dans le renforcement de la stabilité sur le territoire du Mali. Car si ce dernier pays est le plus exposé à ce stade au danger djihadiste, les deux autres y sont également soumis et se doivent d’agir en conséquence.
Surtout, le Mali de 2025, ayant tourné la page de la coopération militaire avec la France après les opérations Serval, Epervier et Barkhane qui n’avaient pas été couronnées de succès mais avaient tout de même préservé le centre et le sud du pays de la menace islamiste, ne pourra vraisemblablement pas compter sur l’aide d’une grande puissance pour lui venir en aide. La dégradation actuelle de la situation sécuritaire consacre en effet l’échec du partenariat avec la société militaire privée Wagner, devenue Africa Corps après la mort de son chef Evgueni Prigojine. Celle-ci a certes contribué à la reprise en novembre 2023 par l’armée malienne de la ville de Kidal au nord du pays. Mais elle s’est surtout illustrée par ses exactions à l’encontre de la population.
Dans ces conditions, «la combinaison d’une telle crise nationale et d’un gouvernement autoritaire particulièrement impopulaire devrait entraîner un changement de régime, analyse Mathias Khalfaoui. (…) Pour autant, plusieurs signaux révèlent que la situation tend à s’enliser et qu’un nouveau régime ne serait pas une garantie de changements. (…) Même si la junte menée par Assimi Goïta venait à se retirer, cela ne signifierait pas pour autant la disparition de l’armée de la scène politique. Enfin, les acteurs sont conscients qu’une tentative de sortie de la crise politique doit être conjuguée avec des éléments de réponse à la crise sécuritaire qui mine le pays depuis 2012.»


«La combinaison d’une telle crise nationale et d’un gouvernement autoritaire impopulaire devrait entraîner un changement de régime.»














