dimanche, septembre 8

En dépit des contrats qu’ils signent avec des industriels, ces intermédiaires entre les producteurs et la grande distribution, les agriculteurs ne sont pas assurés de pouvoir vendre leurs produits au prix convenu.

Le courrier aboutit dans la boite aux lettres des agriculteurs une fois par an, au mois de janvier. Le prix d’achat de la tonne de pommes de terre qui y figure n’est pas négociable: c’est à prendre ou à laisser. « Nous avons juste la possibilité de signer ce contrat – ou non – et de le renvoyer pour telle date limite », raconte François, cultivateur de pommes de terre hainuyer.

Mais à vrai dire, même ce prix n’est pas garanti. « Il s’agit plutôt d’une intention d’achat », précise ce quadra. Car, en cours de route, c’est-à-dire le temps que les plants de pommes de terre grandissent et prospèrent, la donne aura peut-être changé. « Si l’on fixe un prix de vente de 200 euros la tonne en janvier mais qu’entretemps, le prix sur le marché a diminué, il arrive que l’usine acheteuse refuse tout un camion en trouvant un prétexte ou l’autre pour se justifier: trop de germes ou trop de cailloux, par exemple. Ou alors, elle propose de garder la marchandise sans rien payer. Et si nous refusons ? On rentre chez nous avec nos patates pour lesquelles il n’est quasi plus possible de trouver, à ce moment-là, un amateur. On a parfois dû jeter 3000 tonnes en 2017. On nous a même présenté un contrat sur lequel il était stipulé que « la pomme de terre devait être au goût de l’acheteur » ! Ce qui ouvre la porte à toutes les interprétations possibles au moment de la livraison, si on n’en veut plus ».

Le contrat annuel que signe l’agriculteur peut ne compter que deux pages. Mais au bas de ce courrier figure une petite clause en vertu de laquelle le signataire assure qu’il accepte les conditions générales de vente, un épais cahier que… personne ne lit dans les exploitations agricoles.

« Les industriels avec lesquels nous faisons affaire disposent de juristes et d’avocats qui rédigent ces contrats dans le moindre détail, précise François. Nous n’avons pas ces moyens ».  Il n’empêche. A trois reprises, François a attaqué des industriels en justice pour non-respect des accords conclus. Et à trois reprises, il a emporté le morceau.

Chez ces cultivateurs, spécialisés dans la culture de pommes de terre, on joue la prudence: père et fils prennent le soin de négocier le produit de leurs cultures avec plusieurs intermédiaires pour ne pas se retrouver pieds et poings liés avec un seul, à l’heure où les pommes de terre sont récoltées et cherchent preneurs. « Il s’agit d’être prudent dans les engagements que nous prenons vis-à-vis de nos acheteurs, poursuit François. Si nous signons un contrat en tablant sur un rendement de 40 tonnes/hectare mais qu’en raison d’une météo défavorable, on n’en récolte que 30 tonnes/hectare, notre acheteur sera sans pitié. Il achètera les tonnes qui lui manquent à d’autres, au prix du marché, et nous facturera la différence ! »

Si, en revanche, les cultures de François sont plus prospères que ce sur quoi il avait misé avant de signer ses contrats, il vendra les tonnes de pommes de terre dont il dispose en plus sur le marché libre, c’est-à-dire hors contrats. « Sur ce marché-là, on dispose d’une marge de négociation un tout petit peu plus large, en comparant les prix que plusieurs acheteurs potentiels différents nous proposent ».

La pomme de terre, produit hautement spéculatif, n’est sans doute pas représentative de l’ensemble des produits agricoles. Michel, le père de François, se souvient d’une année où le prix de la tonne est passé de 10 à 300 euros en quelques mois. Sur un jour, leur valeur peut gagner ou perdre 10 à 20%. Les prix des autres produits, comme le blé ou les betteraves, sont moins volatils.

« Le marché libre se rétrécit, observe François. Les industriels aimeraient que toute la production fasse l’objet de contrats. Mais pour nous, le marché libre, c’est notre respiration. C’est ce qui nous permet, parfois, de réaliser des opérations financières intéressantes, en fonction de l’évolution des prix au cours des mois ».

François, qui participe aux mouvements lancés par les agriculteurs à travers le pays, rêverait de contrats de vente pour le produit de ses cultures qui soient le fruit d’une véritable négociation. Actuellement, le rapport de forces entre les géants de l’agro-alimentaire d’un côté, et les cultivateurs de l’autre, est trop déséquilibré. « Par le passé, nous avons essayé de lancer un contrat-type, qui s’appliquerait à tous les producteurs et aux industriels. Il aurait garanti des droits de base aux producteurs. Mais ça n’a pas marché », déplore-t-il. 

Autre piste: la création d’un syndicat pour les seuls producteurs de pommes de terre, à l’image de ce qui existe en France avec le GAPPI, le groupement d’agriculteurs producteurs de pommes de terre pour l’industrie. Ce dernier regroupe, défend et représente quelque 900 cultivateurs fournisseurs de matières premières à leur unique acheteur: le groupe McCain. Notamment lors de la négociation des contrats de livraison annuels. Une manière de changer en douce le rapport de forces…

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