vendredi, décembre 27

Quand vient le premier « date » après un match sur une appli de rencontre, c’est souvent dans un bar que ça se passe. Un bon coup pour les restaurants et cafés ? Tour d’horizon dans quelques établissements bruxellois.

Brr-Brr. Une petite flamme s’affiche sur le smartphone. Un match, plusieurs messages et puis, un date. A 18 h 09 ce soir-là, la cour intérieure de ce bar branché du centre de la capitale est bondée. Que des tête-à-tête. Sur les tables exiguës, des verres de vin, des cocktails.

Il y a fort à parier qu’il y a là au moins huit de ces rendez-vous «en vrai» après un flirt plus ou moins abouti sur les applis dédiées. Il faut dire que l’ambiance feutrée – lumière tamisée, bougies et air de jazz – s’y prête bien. On opte pour une place au comptoir. Le contact passe bien. Après plusieurs consommations, la nuit se prolongera dans un bar dansant.

Un verre pour un date

Rencontrer quelqu’un sur une application est devenu banal. Tinder, la mère de toutes, compte 75 millions d’utilisateurs dans le monde, mais il y a également Bumble (58 millions), Hinge (23 millions), Fruitz, Happn, Grindr… Bref, l’offre est vaste et variée. Sur la plateforme à la flamme, 1,5 million d’utilisateurs sont en date chaque semaine. En Belgique, la moitié des utilisateurs de Tinder a déjà eu un rencard par ce biais, selon une étude de la KU Leuven.

Louise (1) fait partie des 23% de Belges ayant déjà eu recours à un service de rencontre en ligne. En «deux ou trois mois» de swipe, elle a eu «cinq ou six dates». «Ça se passe d’office dans un bar. C’est plus sûr parce qu’on est entouré d’autres gens, si jamais il y a un problème», justifie-t-elle. Pour Ludo aussi, qui utilise régulièrement Grindr et Tinder depuis un an et demi, «le premier rendez-vous se passe toujours dans un bar ou un café».

Moins dans les restaurants

Le personnel de l’Horeca en est le témoin privilégié. «Plusieurs soirs par semaine, ou certains dimanches, il y a exclusivement des dates dans la salle. Souvent, on remarque qu’ils se rencontrent pour la première fois, donc je me dis qu’ils se sont connus sur les applis. Et puis, il y ceux qui me disent: “Mon date Tinder se passe bien”», confie la barmaid du Bar du marché, place Flagey.

A Ixelles toujours, les serveuses du Café Tulipant sont unanimes: «On assiste tous les jours à plusieurs premiers rendez-vous.»

Du côté des restaurants, le phénomène semble moins prégnant. «Des dates, il y en a… Mais ça ne saute pas aux yeux, estime Rebecca du haut de ses dix années passées dans la restauration. Je pense qu’il y en a davantage autour d’un verre. Pour un premier rendez-vous, si ça ne se passe pas bien, au resto on se retrouve coincé

Et puis, dans un café, «l’alcool aide à être un peu moins gêné», admet Malou, qui va et vient sur Tinder depuis neuf ans, au gré de ses périodes de célibat.

« Plus de 75% des premières rencontres »

Pour d’autres, la «formule Horeca» n’est pas obligatoire. «Une de mes copines retrouve ses dates exclusivement dans des parcs», apprend-on au détour d’une conversation entre amis. «De plus en plus, dans certaines populations un peu bobo, issues d’un milieu assez élevé intellectuellement, on préfère faire connaissance au détour d’activités culturelles. Quelques fois, dans la drague, il y a un intérêt à avoir quelque chose d’un peu moins conventionnel», observe Sarah Galdiolo, professeure en psychologie clinique à l’UMons.

«Plus de 75% des premières rencontres après échanges sur une plateforme digitale ont lieu dans un café, avance tout de même Chris Paulis, docteure en anthropologie à l’ULiège. Dans un schéma classique, le restaurant arrive au deuxième date. C’est plus intime, plus engagé.» Pour autant, ces clients-là «ne sont pas significatifs pour l’Horeca, estime-t-elle. Il y a trop d’établissements pour que ça puisse avoir un impact. Et une fois que les couples se font, ils ne reviennent pas nécessairement.»

Dates et jeux

Ce public spécifique n’en reste pas moins une manne potentielle. «Ces consommateurs sont une cible, car on souhaite ratisser plus large que les geeks», confirme Juliette Walet, responsable de la communication de La Luck.

L’établissement, installé dans le quartier branché du Châtelain, toujours à Bruxelles, ne se contente pas d’offrir à boire et à manger mais propose également des jeux de société. «Ils permettent de briser la glace, c’est propice aux premiers rendez-vous.»

Sur le site, lors de la réservation, on trouve même l’option «It’s a date». «Les sommeliers y font attention et proposent alors un jeu spécifique.» Une fois par mois, se tient une soirée table ouverte, sorte de speed dating autour du jeu.

Un bar, c’est plus sûr parce qu’on est entouré d’autres gens, si jamais il y a un problème.

Pas forcément pour une rencontre

Pour autant, tous ne souhaitent pas creuser ce filon. «Si des gens font connaissance de cette façon, tant mieux, mais ce n’est pas forcément une clientèle que je recherche», concède le patron du Chez ta mère, à Ixelles. Du côté des utilisateurs de Tinder, tous ne sont pas non plus en quête d’une rencontre.

«Je l’ouvre quand je m’ennuie, en espérant avoir une conversation rigolote. Mais ça ne va pas plus loin. Me retrouver face à un inconnu me gêne», témoigne Angela. Et puis, il y a ceux qui souhaitent simplement flatter leur ego.

«L’être humain aime être récompensé émotionnellement, recevoir de l’attention. Je le vois dans mes thérapies: à un moment, l’un des deux partenaires perd confiance en lui et va sur Tinder parce que la passion des débuts s’est émoussée», décrypte Sarah Galdiolo.

En 2023, une étude américaine a révélé que 65,3% des personnes inscrites sur la plateforme sont déjà dans une relation. Seuls 50,3% des utilisateurs souhaitent vraiment rencontrer quelqu’un. D’autant qu’après plus de dix ans de Tinder, on observe un phénomène de «dating fatigue», qui pousse les célibataires à s’en détourner.

Pourvu que ça dure

Face au phénomène, les géants du secteur réagissent. Ainsi, l’onglet «Explore» de Tinder permet de proposer directement un rendez-vous, grâce à une annonce. Des posts comme «Un verre ce soir», «Café samedi soir», «Resto ce week-end» pullulent.

Créée aux Pays-Bas en 2022 et arrivée en Belgique l’an dernier, Breeze veut «faire en sorte que les rencontres en ligne se poursuivent dans la vraie vie» et se charge d’organiser directement le premier date dans ses bars partenaires. Plus de 130 000 rendez-vous ont déjà eu lieu, selon elle. L’Horeca peut tabler dessus.

(1) Les prénoms ont été modifiés.

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