lundi, janvier 6

Obligatoire pour obtenir la nationalité belge, le parcours d’intégration pour personnes étrangères se dispense le plus souvent dans des associations subsidiées par les Régions. Devant un financement qui s’amenuise ou qui n’arrive plus, les formateurs doivent ruser pour espérer tendre vers leur objectif d’insertion sociale.

«Ninove n’a plus besoin de vous.» Tel était le message de rupture lancé par l’échevine Ilse Malfroot (Forza Ninove, liste apparentée au Vlaams Belang) à l’ASBL Babbelonië, qui organise des cours de langue destinés aux non-néerlandophones résidant dans la ville flamande. 11.000 euros de financement publics aux oubliettes.

La mesure, prise mi-décembre 2024, faisait alors craindre pour la survie de cette association locale active dans l’intégration des personnes issues de l’immigration. Mais en quelques jours, un financement participatif nourri par plus de 200 donateurs levait le montant nécessaire au maintien des activités d’échanges linguistiques et culturels organisées par Babbelonië, pour un an. 

La nécessité des échanges informels pour apprendre une langue

Pour obtenir la nationalité belge, une personne étrangère doit suivre un parcours d’intégration. Cadré par des règles, une philosophie et des dispositions variables selon les régions, ce parcours vise des objectifs communs: donner des clés de compréhension et d’implication au primo-arrivant pour lui permettre de s’intégrer à la société belge. Si les domaines de formations sont multiples (citoyenneté, fonctionnement du pays, monde du travail…), celui de la langue apparaît primordial. Il conditionne la bonne transmission de tous les autres. En organisant des discussions multilingues, Babbelonië en fait le centre de son programme.

Pour justifier la fin de son financement, Forza Ninove avait brandi l’argument de l’inutilité, affirmant en substance que se familiariser avec le néerlandais est primordial mais «automatique» au gré de la vie quotidienne. Une considération démontée par une étude de la KU Leuven, qui démontre que les chances de s’exposer à une langue de façon informelle sont très limitées pour les réfugiés, le contact linguistique se cantonnant plutôt à de laborieux échanges avec l’administration. Devant cet obstacle désarmant, des ateliers de discussion tels qu’organisés par Babbelonië se révèlent vitaux pour bien des primo-arrivants. Même s’ils sont assurés pour 2025, leur existence structurelle est menacée par la posture adoptée par le pouvoir en place à Ninove. La suppression pure et simple des subsides représente un cas extrême, effet concret d’une situation inédite où une commune belge est gouvernée par l’extrême droite. Pour autant, s’en sortir avec des bouts de ficelle et composer avec des manques de moyens semble relever d’une situation subie par tout le secteur de l’intégration des personnes étrangères

Parcours d’intégration des personnes étrangères: écouter, c’est bien; comprendre, c’est mieux

En Région wallonne, le parcours d’intégration est obligatoire depuis 2016 pour toute personne étrangère non européenne qui séjourne légalement en Belgique depuis moins de trois ans et dispose d’un titre de séjour de plus de trois mois. Un délai de 18 mois à dater de la commande du titre de séjour est appliqué, sauf prorogation accordée par le ministre compétent. Au programme notamment, 400 heures de français, des formations à la citoyenneté. «Ces formations se donnent presque toujours en français, contextualise Anne-Sophie Delcoigne, formatrice en citoyenneté à l’ASBL Génération Espoir, qui travaille à l’intégration de personnes étrangères à Ottignies-Louvain-la-Neuve. Cet aspect est mieux pensé en Flandre, où la citoyenneté s’enseigne dans la langue de la personne. Chez nous, un risque existe que devant une matière qui mobilise davantage que des rudiments de langage, la personne perde son temps en écoutant sans comprendre. Et la Région wallonne n’en a que faire: tant que la personne a suivi ses heures, qu’elle ait compris le contenu ou pas, ça lui convient.» Face à ce manque d’efficacité, Génération Espoir collabore deux fois par an avec des traducteurs -en arabe et en ukrainien-, pour que l’information atteigne vraiment son public. «C’est notre choix, et nous devons l’assumer en cherchant des bénévoles car la Région nous impose déjà d’économiser chaque centime. Cela conduit à du boulot largement sous-payé au regard de l’ampleur de la tâche», regrette la formatrice. 

Intégration des personnes étrangères: coup de casquette en vue en Wallonie

Financée par le pouvoir régional, l’intégration s’organise sur le terrain par l’action de structures externes. Les derniers chiffres en Wallonie remontent au 31 décembre 2021. La Région comptait alors 193 «initiatives locales d’intégration» (ILI), soit 46 agréées et 147 non agréées bénéficiant d’un subventionnement facultatif. Ces ILI sont coordonnés par huit Centres régionaux d’intégration (CRI) répartis sur l’ensemble du territoire du sud du pays. Ils assurent le lien entre le pouvoir public subsidiant et le réseau associatif de terrain. 

2025 arrive avec une réforme majeure pour ces ILI: des appels à projets (pour obtenir des subsides pour une période limitée, à la différence de structures qui bénéficient d’un financement renouvelé chaque année grâce à un agrément) pourront encore avoir lieu, mais ceux-ci ne pourront «pas concerner un axe qui fait déjà l’objet d’un agrément en tant qu’initiative locale d’intégration». Pour Anne-Sophie Delcoigne, cette décision trahit la volonté d’éliminer toutes les petites associations en les empêchant de fonctionner. Génération Espoir bénéficie d’un agrément, mais cette caractéristique ne rime pas non plus avec une mise à l’abri des retombées qu’occasionne la volonté affichée d’économiser (268 millions d’euros en 2025 selon la coalition Azur) et «d’assainir les finances» de la Région. «Depuis l’année dernière déjà et avant les élections, on ressent une frilosité pour nous subsidier. On a vu notre allocation de subsides rabotée de 5.000 euros en 2024, dans un climat où le financement normal ne permet déjà pas d’appliquer par exemple des mécanismes salariaux d’ancienneté parmi les travailleurs. Et la réforme qui menace les appels à projets fragilise encore le secteur

Perte de qualité et risque accru de déshumanisation

Le contexte financier tendu au sein du secteur de l’intégration de personnes étrangères conduit à des dysfonctionnements dans le déroulement des formations. «On reçoit parfois des personnes qui arrivent chez nous en ayant entamé des modules et en les ayant quittés pour cause de mauvaise organisation de ceux-ci, témoigne Anne-Sophie Delcoigne. Je sais qu’en effet, certaines associations proposent des formations plus que bancales. Cela s’explique encore par un sous-financement, qui contraint plus d’une structure à faire appel à des personnes non-qualifiées pour dispenser les cours. Or, c’est tout un métier. Et avec une seule personne chargée d’inspecter les associations pour toute la Wallonie, on ne peut pas dire que la Région est regardante.»

Si la maîtrise effective d’un niveau de langue suffisant conditionne l’acquisition du reste des clés que se promettent de fournir les ILI aux personnes étrangères en vue de leur intégration au sein de la société belge, un autre paramètre préoccupe les acteurs de terrain. Il s’agit des conditions mentales dans lesquelles arrivent les personnes en situation d’immigration, souvent mises à une épreuve difficile à décrire et à affronter. «Vu les situations que ces personnes étrangères en demande d’intégration fuient, leur moral et leur disponibilité mentale font souvent défaut. Et sur le plan cognitif, il est reconnu, et je l’observe bien, qu’un esprit en proie à des traumatismes profonds ne peut pas se rendre disponible à des activités d’apprentissages. Je donnais récemment une formation, où un réfugié palestinien était en permanence absorbé par son téléphone, incapable de s’extraire du fil info des horreurs en cours chez lui. Il est très difficile de réagir face à cela.» Devant de telles situations, les professionnels du secteur ressentent un besoin évident de structures d’accompagnement psychologique, qu’ils tentent d’assurer tant bien que mal. Un «déficit d’humanité» que le manque vécu de financement n’est pas près de résoudre. 

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