samedi, décembre 21

Douleur au dos, dans l’avant-bras, au coude, tensions dans la nuque… À force de verrouiller son corps dans des positions récurrentes, notamment en s’asseyant à un bureau, ces affections classiques peuvent ronger au quotidien, jusqu’à devenir chroniques. Dans la majeure partie des cas, le pouvoir d’y remédier se trouve moins dans les mains d’un kiné que dans celles du patient lui-même.

«J’ai mal partout.» Matthieu Davies, kinésithérapeute à Quiévrain, ne compte plus ces entrées en matière, lorsqu’un patient arrive en consultation à son cabinet. «Dans ma pratique professionnelle, je me retrouve plus souvent à orienter ma patientèle vers une meilleure hygiène de vie ou vers l’adoption de gestes simples qu’à administrer des soins très techniques», cadre le kiné. «Avoir mal partout», plus sensiblement au dos, constitue un mal d’époque, un état généralisé intimement lié à la sédentarité, considérablement accru par l’omniprésence des écrans. En Belgique, les troubles musculosquelettiques représentent la deuxième cause d’absentéisme en entreprise, après les risques psychosociaux, selon la CESI, la Commission des Examens de Santé des Industriels, un organe médical qui intervient dans le cadre de la médecine du travail.

Pour Matthieu Davies, bouger, varier et adapter ses positions structurent une marche à suivre applicable quasi tout le temps pour se défaire de quelque tensions ou inflammations persistantes, au contraire d’une séance de manipulations de kiné, qui agit plutôt de façon ponctuelle, pour soulager à court-terme. «Trop souvent, la séance de kiné est encore vue comme une sorte de médicament que l’on se fait prescrire et qui apportera le remède ultime afin de continuer à vivre comme avant. Dans le cas de douleurs chroniques classiques, je soutiens une vision inverse: mon but est d’indiquer au patient comment corriger de mauvaises habitudes de façon autonome et consciente, de manière à ce que l’on ne doive plus se voir ensuite», confie le praticien. Pour soulager trois pathologies répandues, toutes accentuées par un «mode de vie de bureau», le spécialiste cible quelques gestes apparemment innocents, mais à ne pas négliger. «Cela en gêne certains au bureau, mais c’est bien souvent là que l’on passe le plus de temps. Certains prennent le contre-pied de cette gêne en créant des rituels d’étirements entre collègues, c’est une excellente idée.»

Lutter contre les cervicalgies

Au sein de la population belge, la cervicalgie figure parmi les pathologies chroniques les plus répandues, notamment en raison des longues heures passées devant des écrans. «Le manque d’ergonomie au travail, le mauvais positionnement des ordinateurs ou l’utilisation excessive du smartphone aggravent la situation», observe Matthieu Davies. Les douleurs cervicales peuvent se propager en migraines et en céphalées.

Pour prévenir ces douleurs, il est essentiel de porter égard à l’ergonomie de son poste de travail. «Un simple ajustement, comme placer un ou deux bouquins sous son ordinateur pour avoir l’écran à hauteur des yeux, peut créer une grande différence», avise le kiné, qui encourage également à s’adresser à son employeur ou à des services de la médecine du travail pour demander des équipements adaptés. Depuis mars 2024, un nouvel Arrêté royal au sujet de la prévention des troubles musculosquelettiques au travail est d’application: il oblige l’employeur à tenir compte des principes d’ergonomie lors de la conception ou de l’adaptation des postes de travail.

Pour atténuer une cervicalgie déjà présente, étirer des muscles du cou et des trapèzes se révèle efficace et facilement exécutable au cours de la journée. Un geste simple consiste à amener doucement l’oreille droite vers l’épaule droite, en tirant légèrement sur la tête, et de répéter cette combinaison du côté gauche. «On peut aussi agir structurellement en renforçant les muscles profonds pour soulager la pression sur les cervicales, ajoute Matthieu Davies. Il suffit pour cela de se créer un double menton, en avançant puis en reculant la tête, maintenue bien droite.» Si la visualisation demeure difficile, penser à une poule peut aider à s’approprier le geste.

La lombalgie : la sensation du bas du dos en feu

La lombalgie touche environ un quart de la population belge de plus de quinze ans et concerne davantage les femmes que les hommes, selon Sciensano. «J’entends souvent que l’arthrose est la cause des douleurs lombaires, et qu’elle condamne à l’immobilité. C’est tout le contraire», objecte Matthieu Davies. Tout le monde présente de l’arthrose, à des degrés divers. Il faut voir cela davantage comme une donnée à dépasser que comme une cause ou un facteur de douleur. La pire idée serait de s’arrêter de bouger à cause de cela.» Le rôle prétendument immobilisant d’une arthrose constitue en cela un «yellow flag», un facteur de risque de glisser vers une lombalgie chronique si on s’empêche de bouger.

Pour prévenir la lombalgie, le kinésithérapeute insiste sur la variation des positions, chez soi comme au travail, résumant son propos par cette idée: «La meilleure position, c’est la suivante.» Pour se débarrasser d’un bas du dos raide et noué, s’étirer au sol en bombant ou en creusant le dos, étendre sa colonne en position «cobra» (relever le buste en étant couché sur le ventre et en gardant les mains au sol) offrent des pistes adéquates. Le renforcement musculaire peut ici s’atteindre par du gainage au sol ou par la pratique de sports particulièrement indiqués comme la gym douce, le yoga ou le pilates. «Des séances en groupes peuvent être chères et difficiles à placer dans un emploi du temps, mais Internet regorge de cours en ligne sérieusement conçus», signale Matthieu Davies.

L’épicondylite et les douleurs liées à la sur-sollicitation des membres supérieurs

L’épicondylite est une pathologie qui affecte les tendons des muscles extenseurs du coude, souvent causée par une surcharge répétée des membres supérieurs. «Il s’agit d’une inflammation qui se déclenche lorsqu’on répète constamment les mêmes gestes, et qui peut se transformer en cercle vicieux si on ne l’interrompt pas à temps», prévient Matthieu Davies.

Pour traiter ce type de douleur, il est essentiel de diminuer la fréquence du geste répétitif. «Il ne s’agit pas de tout arrêter, mais de moduler son activité», précise-t-il. Par exemple, pour ceux qui passent beaucoup de temps à travailler sur un ordinateur, il recommande l’utilisation de souris verticales, qui permettent de réduire la tension exercée sur les muscles et les tendons de l’avant-bras. «Devant un ordinateur, la tension excessive des extenseurs, visibles quand on plie le poignet pour lever la main, est un fléau. Il s’agit ici de relâcher les muscles afin de libérer les canaux, sortes de tunnels dans lesquels les tissus musculo-ligamentaires doivent être les plus libres possible pour éviter les douleurs.»

Des souris ergonomiques peuvent soulager certaines douleurs. (Getty)

Les étirements des mains et des bras, bien que souvent négligés, apparaissent enfin comme des pratiques efficaces pour soulager les douleurs. Le praticien conseille des mouvements simples, comme poser la main à plat, sur la paume puis sur le dos de la main, en amenant le poids du corps vers l’avant pour étirer les muscles. Le résultat s’obtient aussi en joignant les mains et en exerçant une force de direction opposée à celle du bout des doigts.

Bouger sans s’en rendre compte

Si des consultations restent évidemment parfois nécessaires, notamment après une opération ou dans des situations spécifiques comme à la suite de troubles neurologiques, la majorité des patients trouvent chez Matthieu Davies une approche à long terme, qui privilégie l’autonomie et évite la dépendance aux séances récurrentes. «Le but n’est pas de se retrouver systématiquement sur la table du kiné, mais d’être acteur de sa propre rééducation», insiste-t-il. L’enjeu: rester mobile. «Quand je parle de marcher davantage et d’être attentif au nombre de pas effectués chaque jour, cela effraie plus d’un patient. Or, en complément d’une alimentation variée et d’une hydratation suffisante, c’est bien là qu’est la clé. Mais je tiens à rassurer: mon propos n’est pas d’obliger à devenir sportif. Cette injonction serait déplacée et génère bien trop de pression ou de rejet pour beaucoup. Je souhaite plutôt amener un maximum de monde à se mettre en mouvement sans le décider ou le formuler consciemment.»

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