lundi, mars 31

Les médicaments et produits pharmaceutiques représentent plus de la moitié des exportations belges aux Etats-Unis. Les droits de douane promis par Trump risquent d’entraîner des délocalisations et des pertes d’emploi dans le secteur, qui se dit toutefois défavorable à des mesures de rétorsion européennes.

La menace planait depuis mi-février. Elle semble désormais se concrétiser. Le secteur pharmaceutique ne devrait pas échapper aux droits de douane américains. Mercredi, alors qu’il annonçait de nouvelles taxations sur les automobiles, le président Donald Trump a également réitéré sa volonté de cibler les médicaments et produits pharmaceutiques importés aux Etats-Unis.

Si la nature et la date de l’entrée en vigueur de ces nouveaux impôts restent incertaines, ils font déjà trembler les groupes pharmaceutiques belges, véritables fleurons de l’économie du pays. Avec 45.000 employés en Belgique, le secteur représente près d’un quart de l’industrie manufacturière. «C’est d’ailleurs le seul secteur de cette industrie qui continue de croître en termes de productivité, d’emplois et de valeur ajoutée», insiste Geert Steurs, directeur économique de Pharma.be, représentant du secteur des médicaments innovants (par opposition aux médicaments génériques) en Belgique.

16,5 milliards d’euros d’exportation

Très active dans la recherche et le développement (5,7 milliards d’investissements annuels), la pharma belge jouit également d’une grande expertise sur l’ensemble de la chaîne de production, des essais cliniques à la commercialisation des produits, en passant par la fabrication. Reconnues à l’international, les industries belges entretiennent ainsi de nombreux partenariats avec des pays tiers. Au total, le secteur exporte pour 80 milliards d’euros annuellement… notamment outre-Atlantique.

Alors que, tous secteurs confondus, les Etats-Unis représentent à peine 7% des exportations belges, elles grimpent en effet à 24% pour les produits pharmaceutiques. Au total, les médicaments et autres vaccins pèsent pour plus de la moitié (56%) de la totalité des biens belges exportés annuellement au pays de l’Oncle Sam. «En 2024, ces exportations représentaient ainsi 16,5 milliards d’euros, précise Geert Steurs. C’est énorme. Et ce chiffre était encore plus élevé durant la pandémie de Covid-19, lorsque le centre de production de Pfizer envoyait énormément de vaccins vers les Etats-Unis.»

Des emplois menacés

Dans ce contexte, l’annonce des droits de douane américains pétrifie le secteur. «Nos exportations y sont si importantes qu’il est évident que ça peut avoir un impact substantiel sur nos activités», reconnaît Geert Steurs. Les craintes de délocalisation figurent en haut de la liste. D’autant qu’une partie des entreprises belges (18.000 employés sur 45.000) sont justement des filiales de sociétés américaines, comme Johnson&Johnson, Baxter ou encore Pfizer, qui pourraient être tentées de rapatrier une partie de leurs activités à la maison. Les effets pourraient ne se faire ressentir qu’après quelques années. «Mais si, du jour au lendemain, une entreprise décide de ne plus lancer aucun projet de recherche en Belgique car elle préfère les mener aux Etats-Unis, l’impact sera là quasi-immédiat», note le chief economist de Pharma.be, qui n’exclut pas des pertes d’emploi.

Outre leurs projets de recherche, les sociétés américaines pourraient également être tentées de relocaliser leurs usines. Avec un impact non-négligeable sur la compétitivité belge à moyen terme. «Dès que ces entreprises seront immatriculées aux Etats-Unis, ce sont elles qui vont attirer les investissements, craint Geert Steurs. Aujourd’hui, l’empreinte économique de la Belgique est vraiment très importante. Mais l’intérêt des investisseurs pourrait chuter dans le futur.»

Les menaces trumpiennes sont donc accueillies d’un très mauvais œil par la pharma belge. D’autant qu’elles violent un accord (signé par les Etats-Unis) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) de 1994, censé protéger les produits pharmaceutiques des droits de douane. L’Europe devrait-elle alors riposter? Pas si vite, plaide Geert Steurs. «Si Trump décide d’imposer ses tarifs, c’est son choix. Mais nous sommes défavorables à des mesures de rétorsion de la part de l’UE, car elles seraient contre-productives

Vers des ruptures de stock?

D’abord car les chaînes de production pharmaceutiques sont fortement globalisées. «Nos exportations vers les Etats-Unis concernent parfois des produits qui ne sont pas finalisés, expose le directeur économique. Ils doivent faire une étape aux Etats-Unis, avant de revenir chez nous puis d’être finalement ré-exportés outre-Atlantique.» Des tarifs douaniers européens représenteraient alors une double peine, avec des répercussions sur les prix affichés en pharmacie. «Les patients risquent donc de payer», s’inquiète Geert Steurs. Ces nouvelles taxes pourraient également briser des chaînes de production, si les Etats-Unis décident de s’en retirer. «Cela risque de poser des problèmes en termes de livraison et donc de disponibilité des médicaments sur le marché», note l’expert de Pharma.be. Dans tous les scénarios, ce seraient donc les patients qui seraient les «premières victimes» de cette guerre commerciale.

Face à ce chaos, les groupes belges pourraient tentés d’anticiper, à l’instar de certains brasseurs menacés par des droits de douane sur les produits alcoolisés, qui ont exporté une partie de leur stock outre-Atlantique avant l’entrée en vigueur des taxations. Mais les médicaments ne sont pas des bières. «Les produits pharmaceutiques sont soumis à des règles strictes de conservation, qui risquent d’être mises à mal en cas de transport massif, rappelle Geert Steurs. Les possibilités de stockage adéquat (aux bonnes températures, par exemple) ne seront pas illimitées non plus aux Etats-Unis. Anticiper n’est donc pas évident.»

Contactés, les principaux groupes pharmaceutiques belges ont d’ailleurs préféré ne pas commenter la situation. «Les sociétés envisagent sans doute plusieurs scénarios, en attendant que le contexte devienne plus clair, conclut l’économiste de Pharma.be. Aujourd’hui, on reste encore dans le flou complet

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