Les Européens s’affairent avec le secrétaire d’Etat américain Marco Rubio pour rééquilibrer en faveur des Ukrainiens un «plan de paix» trumpien scandaleusement prorusse. Espoir.
Commentant, en janvier, dans Le Vif, l’accession de Donald Trump à la Maison-Blanche pour un deuxième mandat, Romuald Sciora, directeur de l’Observatoire politique et géostratégique des Etats-Unis à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), affirmait ceci: «Le président américain élu sait très bien que s’il met un terme à la guerre en Ukraine rapidement, il sera considéré comme l’homme qui a sauvé le monde d’une guerre thermonucléaire […]. En revanche, si le conflit devait traîner jusqu’à la fin de l’année, la défaite pourrait être portée à sa responsabilité.» Qu’il ait ou non intégré cette donne dans l’optique notamment des élections américaines de mi-mandat dans un an, Donald Trump, sur le conflit en Ukraine, est un homme pressé. C’est aussi un homme brouillon et versatile.
Le président des Etats-Unis est ainsi capable de négocier un «plan de paix» avec les Russes par l’entremise de son envoyé spécial Steve Witkoff à l’insu des Ukrainiens et des Européens, et de l’amender ensuite avec les Ukrainiens et les Européens en l’absence des Russes, sous la houlette de son secrétaire d’Etat Marco Rubio. Est-ce la meilleure formule pour arriver à un point d’équilibre acceptable par les deux belligérants afin de mettre fin à la première guerre en Europe depuis les conflits dans les Balkans? Mystère et scepticisme, quoique…
«Depuis près de quatre ans, l’Ukraine absorbe un choc qu’aucune démocratie européenne n’a eu à affronter au XXIe siècle.»
Du déséquilibre mais du mouvement
Quelle que soit in fine la qualité de la méthode, les lignes bougent. Mais quand les négociations sourient aux uns, il est probable qu’elles déplaisent aux autres. Le chemin pour atteindre le point d’équilibre peut s’avérer très long et ne se marie pas naturellement avec un ultimatum rapproché comme celui qu’a fixé le président américain au 27 novembre. Les Russes ont salué le «plan de paix» trumpien en 28 points révélé le 20 novembre. Et pour cause. Il prévoyait la reconnaissance de la souveraineté russe sur la Crimée et sur les provinces de Louhansk et de Donetsk, moyennant de surcroît l’instauration d’une zone tampon offerte à l’agresseur sur la partie de cette dernière toujours sous le contrôle de l’Ukraine. Il figeait les positions actuelles dans les oblasts de Zaporijia et de Kherson, occupés à environ 75% par l’armée de Moscou. Il privait l’Ukraine de toute adhésion à l’Otan tout en restant imprécis sur les garanties de sécurité qui lui étaient accordées. Et il imposait une «amnistie totale» pour les actions des Russes pendant le conflit et un renoncement à toute plainte en justice. Rideau, donc, sur les massacres de Boutcha, les enlèvements d’enfants, les dévastations… Bref, une perspective inacceptable pour les Ukrainiens après trois ans et demi de guerre, de souffrances et de pertes humaines. Tous ces sacrifices auraient été consentis pour rien si ce n’est un arrêt des combats et la promesse hypothétique qu’ils ne reprendraient pas.
Cependant, l’Ukraine n’est pas seule et peut compter, même imparfaitement, sur ses alliés européens. Comme ils l’avaient fait après le sommet d’Anchorage, en août, entre Donald Trump et Vladimir Poutine qui avait consacré la coopération entre les deux puissances au détriment de la «petite» Ukraine, les Européens sont revenus dans l’équation et, à côté des Ukrainiens, ont forcé des discussions avec les Américains emmenés par le modéré Marco Rubio. De pièce quasi à prendre ou à laisser parce qu’«il faudra bien que cette initiative convienne à Volodymyr Zelensky», dixit Trump, le «plan de paix» est devenu à Genève, lieu des pourparlers tripartites, «un document de travail» y compris pour le secrétaire d’Etat américain.

Un rééquilibrage mais des doutes
Le plan a donc été retravaillé. Selon les premières informations divulguées en milieu de semaine, il ne comptait plus que 19 points. La nouvelle version soumettrait l’avenir des territoires à des négociations ultérieures après l’instauration d’un cessez-le-feu. Elle offrirait des garanties crédibles de sécurité à l’Ukraine pour une période minimale de dix ans. Elle n’écarterait pas l’éventualité du déploiement de troupes européennes sur son sol pour assurer le respect du cessez-le-feu. Et elle renoncerait à l’intention de réduire les effectifs de l’armée ukrainienne à 600.000 membres comme prévu dans le texte originel. La sécurité globale du pays en serait donc sensiblement renforcée.
Dès lors, un certain optimisme resurgissait dans les rangs ukraino-européens et atténuait le choc du parti pris prorusse du plan révélé le 20 novembre. Au discours inquiet du président ukrainien invoquant dans la foulée de cette divulgation «l’un des moments les plus difficiles de notre histoire» et l’alternative tragique entre «perdre sa dignité ou risquer de perdre un partenaire majeur», les Etats-Unis, succédait donc une prise de parole plus apaisée conformément aux progrès des discussions de Genève: «Les résultats sont solides, mais […] il reste encore beaucoup à faire», assurait Volodymyr Zelensky. Plus positif encore, le 25 novembre à l’ouverture d’une réunion de la coalition des volontaires soutenant Kiev, le président français Emmanuel Macron évoquait «enfin une chance de vrais progrès vers une bonne paix». «Mais la condition absolue pour une bonne paix, c’est une série de garanties de sécurité très robustes, et pas des garanties uniquement sur le papier», complétait-il.
Forcément, les propositions du «plan de paix» révisées par le triumvirat Etats-Unis-Ukraine-Europe, même si elles ne répondent pas à toutes les revendications de Kiev, sont susceptibles de ne plus satisfaire les attentes élevées de Moscou et ce, d’autant plus qu’elles étaient un temps rencontrées. Prélude à une rupture avec la Russie ou étape logique d’une vraie négociation? L’incertitude prévalait en milieu de semaine. L’annonce de la tenue, à Abou Dhabi, de négociations «secrètes» entre Américains et Russes semblait du moins indiquer le souci des premiers de tenir informés quasi en direct l’autre partie au conflit.
Après la révélation de la proposition américaine, le vice-président J.D. Vance avait pronostiqué que «la paix ne sera pas construite par des diplomates ou des politiciens en échec, vivant dans un pays imaginaire. Elle pourrait être faite par des gens futés vivant dans le monde réel». Des diplomates et des politiciens futés pourraient cependant être ceux qui l’ont forgée, cette paix. «Il est possible, pour les Européens, de ne pas subir la politique de Donald Trump sur l’Ukraine», exhortent des académiques européens dans une tribune publiée dans Le Monde, le 26 novembre. Car «si nul ne nie la difficulté de la période (NDLR: marquée par des pertes territoriales et une affaire de corruption au sommet de l’Etat), l’Ukraine est bien loin de la défaite. Depuis près de quatre ans, elle absorbe un choc qu’aucune démocratie européenne n’a eu à affronter au XXIe siècle. Et pourtant, elle tient.» Mais elle tiendra plus longtemps avec les Américains que sans eux.




