dimanche, septembre 8

Il a été étudié de bien des façons mais reste difficilement objectivable. Il pose, en outre, la délicate question du consentement éclairé du patient.

Une dose de solution hydroalcoolique, un soupçon de glycérol, une pointe de colorant bleu: trois composants, pas un de plus, pour le plus puissant des faux médicaments. Commercialisé en 2001 par un psychiatre et pharmacologue de renom, Jean-Jacques Aulas, le Lobepac avait l’extraordinaire particularité de ne posséder aucune action pharmacologique mesurable.

Pourtant, à raison de quelques gouttes par jour, il devait produire un maximum de soulagement, voire la disparition complète des troubles constatés. De quelle manière? «En augmentant l’effet placebo, déjà important, induit par tout traitement à visée psychotrope», pouvait-on lire en toutes lettres sur la notice. C’est ainsi que fut mis sur le marché le premier placebo «sincère» de l’histoire du médicament.

L’effet placebo ne modifie pas la douleur, seulement ce que nous ressentons.

L’objectif du concepteur du Lobepac, anagramme de placebo, était de démontrer qu’un produit dont on affiche clairement la nature peut s’imposer comme un remède tout aussi efficace que les granules et gélules homéopathiques.

Il pensait également avoir trouvé une solution élégante à l’épineux problème du mensonge dans l’usage des placebos. Hélas pour lui, seuls cinq cents flacons de l’élixir qui disait la vérité furent vendus avant qu’il ne soit retiré du marché. En mentionnant clairement dans la posologie que le médicament ne contenait pas la moindre substance active, Jean-Jacques Aulas avait rendu rendu l’effet placebo inopérant. Une expérience éclairante à plusieurs égards, que le pharmacologue relate dans un ouvrage paru en 2003: Placebo: chronique d’une mise sur le marché (éd. Sciences Infuse).

Une histoire d’activation

L’effet placebo est pourtant aussi ancien que la médecine elle-même puisqu’il est ancré dans le fonctionnement de notre cerveau, capable de s’illusionner, comme il le fait d’ailleurs avec d’autres méthodes, telle l’hypnose. Le cerveau ne traite pas l’information, il ne fait «que» la représenter, expose Claude Touzet, spécialiste des sciences cognitives et maître de conférences en sciences cognitives à l’université d’Aix-Marseille, dans The Conversation, en novembre 2017.

Les travaux du chercheur portent sur la manière dont les neurones qui prennent en charge une idée particulière, comme celle de ne plus avoir de fièvre après avoir avalé une pilule, peuvent modifier l’état d’activation des neurones pilotant la régulation de la température corporelle. Il est parvenu à la conclusion que les connexions neuronales, dans le cerveau, sont tout aussi nombreuses depuis la périphérie vers les zones de haut niveau d’abstraction situées dans le cortex, que depuis le cortex vers la périphérie.

«De ce fait, expose-t-il, la seule idée d’une baisse de la fièvre active les neurones hypothalamiques, lesquels sont suffisants pour effectivement induire cette baisse de température. De manière symétrique, la seule activation des neurones hypothalamiques sera également suffisante pour activer les neurones corticaux qui nous permettront de dire que la fièvre baisse, avant même que nous ayons pris notre température.»

Un mécanisme qui explique également pourquoi le placebo s’avère régulièrement efficace sur des symptômes ayant pour origine les différents systèmes régulés par les neurones: hormonal, immunitaire, cardiovasculaire, digestif, etc. Et pourquoi ils sont de moindre efficacité sur les patients atteints de maladies neurodégénératives et sur les jeunes enfants, dont le cerveau est moins développé.

Néphrologue et spécialiste en médecine interne, Jean-Louis Vanherweghem s’est intéressé aux différentes formes de l’art de guérir. Ses recherches l’ont amené à étudier de plus près l’effet placebo. Notamment la différence entre les améliorations attribuables à la manipulation du cerveau et celles imputables à un processus de guérison naturelle.

«La plupart des symptômes présentés par les patients sont, certes, gênants mais relativement bénins. Dans la plupart des cas, ils se résorbent spontanément. Il suffit d’attendre. C’est le cas du mal de tête ou du rhumatisme, par exemple.» De nombreuses études ont été réalisées en vue d’objectiver, voire de quantifier, les effets d’un placebo sur des patients atteints d’une douleur. Mais la plupart se limitaient à comparer les effets après l’administration d’un médicament ou d’un placebo. Ces études avaient livré des résultats remarquables en faveur du placebo sans toutefois tenir compte du facteur guérison.

Médicaments et injections ne sont pas les seuls concernés, on parle aussi de «chirurgie placebo». © getty images

Pour être certain que la disparition des symptômes ne puisse être attribuée qu’à celle de la seule douleur, celle-ci devait être créée. D’autres expériences ont donc été menées sur des sujets ne souffrant d’aucuns maux mais ayant accepté d’être soumis à un stimulus douloureux, poursuit le professeur émérite à l’ULB.

L’une des techniques consistait à gonfler un brassard de tensiomètre. La baisse brutale du flux sanguin provoquait la douleur recherchée. L’utilisation du tensiomètre a, en outre, permis d’objectiver la résistance à la douleur des volontaires. Les médecins appliquaient ensuite une perfusion en intraveineuse contenant soit un antidouleur, soit un placebo. Les résultats ont montré que le groupe qui avait reçu un placebo tenait trois minutes de plus que celui auquel on n’avait administré aucun produit. Ceux à qui on avait injecté un antidouleur résistaient un peu plus longtemps encore.

Le cerveau s’illusionne mieux lorsqu’il ne dispose pas de toutes les informations.

«Les stimuli douloureux ne sont pas modifiés par l’effet placebo. Ce qui évolue, c’est la sensation de douleur, ce que nous ressentons. Grâce aux techniques d’imagerie médicale par résonance magnétique fonctionnelle (NDLR: IRMf) ou par PET-scan, on peut voir la manière dont le placebo se manifeste dans le cerveau lorsque le patient ou le volontaire s’attend à ce qu’un certain effet se produise, ou pas. C’est comme si le cerveau s’activait par anticipation de ce qui devait arriver.» On observe, en outre, que l’effet s’accompagne d’une augmentation de la sécrétion des endorphines et de la dopamine, les hormones du plaisir.

Code couleur

D’autres expériences ont également démontré qu’annoncer à un patient qu’il sera pris en charge et qu’on lui prodiguera un remède, voire le seul fait de le placer dans un environnement médicalisé, peut déjà jouer sur la perception de la douleur. De même, si un malade témoigne d’une grande confiance en l’efficacité des cachets, une injection, probablement associée à un effet rapide et à un médicament plus fort, produira alors chez lui encore davantage d’effet. La voie par laquelle le remède est absorbé revêt donc une certaine importance.

Tout comme le code couleur. Le bleu, par exemple, est utilisé pour les calmants et les tranquillisants, le rouge et le rose pour les excitants et les produits stimulants, le jaune et l’orange pour les antidépresseurs. Le vert et le blanc renvoient à la neutralité. Quant au gris, il inspire surtout la confusion, raison pour laquelle il est rarement utilisé. Ces petites subtilités n’échappent évidemment pas à l’industrie pharmaceutique qui maîtrise parfaitement les clés d’un packaging attractif pour notre cerveau.

Les pouvoirs extraordinaires de l’effet placebo s’étendent même au-delà des cachets et des injections. Il est en effet capable de diminuer la sensation de douleur ou d’inconfort dans le cadre d’une opération chirurgicale courante. C’est ce qu’on appelle la «chirurgie placebo».

La littérature scientifique mentionne régulièrement les cas les plus spectaculaires. L’un d’eux concerne des patients ayant subi une opération de revascularisation cardiaque en vue de rétablir un flux sanguin satisfaisant dans les artères du cœur, de façon à restaurer l’apport en oxygène. Dans l’un des deux groupes, les médecins ont ouvert le thorax sans rien toucher. L’expérience a démontré que les effets de l’intervention furent aussi bénéfiques dans le groupe où une revascularisation avait été faite que dans celui où une simple incision, sans autre geste chirurgical, avait été réalisée.

Plus surprenant encore, ces effets bénéfiques ont perduré pendant plusieurs années, dans un groupe comme dans l’autre. Des résultats tout aussi intrigants ont été obtenus chez des patients atteints d’arthrose du genou et devant subir une arthroscopie. Chez deux des trois groupes observés, en plus d’une exploration de l’intérieur de l’articulation, le médecin a procédé à un lavage du cartilage ou à un débridement du genou (retrait de la partie endommagée du cartilage ou de l’os).

«Pour les trois groupes, on a non seulement constaté une diminution de même amplitude de la douleur au genou mais aussi un impact sur la mobilité objectivée. Ce qui ne pouvait résulter que de l’effet placebo», indique Jean-Louis Vanherweghem.

Plus encore que les médicaments, la chirurgie placebo suscite la controverse. Faire croire au patient qu’il a subi une opération alors qu’on l’a juste ouvert et refermé, sans poser d’actes thérapeutiques, suscite de sérieuses questions éthiques mais aussi sur le plan du consentement éclairé du patient. Même si, d’un autre côté, et comme l’a démontré l’expérience du Lobepac, le cerveau s’illusionne mieux lorsqu’il ne dispose pas de toutes les informations.

On a souvent pensé que révéler à une personne qu’elle avait reçu un placebo pouvait nuire à son efficacité. Raison pour laquelle la randomisation en double-aveugle (où ni le soignant ni le patient ne savent quelle molécule est administrée pour ne pas influencer les résultats) s’est imposée comme l’une des règles d’or des essais cliniques, se positionne l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).

Cependant, de récents travaux ont montré que ce n’est pas forcément le cas. Ainsi, il a été démontré que si l’on prévient un patient que ce qu’il recevra est un placebo, tout en soulignant que celui-ci déclenchera des réactions directement observables dans le cerveau, l’effet pourra tout de même être observé. Enfin, si l’effet placebo souffre encore d’idées reçues, il présente malgré tout d’importantes limites. Tromper le cerveau ne permet certainement pas de tout soigner. Le placebo doit s’envisager comme une option, parmi d’autres.

Partager.
Exit mobile version