Alors que la pilule jouait un rôle central dans l’émancipation des femmes dans les années 1960, un nouveau mouvement se dessine aujourd’hui pour s’en libérer. La raison: cette contraception aurait des effets négatifs à la fois sur le corps et l’esprit. Qu’en pensent les gynécologues? Nous leur avons soumis sept questions de jeunes femmes.
«Sur TikTok, je vois beaucoup de personnes expliquer qu’elles arrêtent la pilule parce qu’elles remarquent un effet négatif des hormones sur leur corps, déclare Linde, une étudiante de 19 ans qui ne prend pour l’instant aucun moyen de contraception. Quand je lis ces messages négatifs, je me demande parfois pourquoi je commencerais à en prendre…»
Linde est loin d’être la seule à s’interroger sur la contraception hormonale. En Belgique, l’utilisation de la pilule, de l’anneau vaginal et du patch est en baisse depuis plus de dix ans. En 2013, 59,6% des femmes âgées de 18 à 20 ans bénéficiaient d’un remboursement par une mutualité pour ces méthodes contraceptives. En 2023, le chiffre a chuté à 43,1%. La baisse s’est surtout accentuée depuis 2019. En revanche, l’usage du stérilet est en hausse dans cette tranche d’âge: 4,9% bénéficiaient d’un remboursement en 2023, contre 1% seulement en 2013.
«Nous remarquons qu’au cours des dernières années, une certaine méfiance s’est développée à l’égard de la pilule, surtout chez les plus jeunes femmes, abonde Susanne Housmans, gynécologue à l’UZ Leuven. Elles veulent ingérer le moins d’hormones possible et conserver un cycle aussi naturel que possible. En soi, ce n’est pas une mauvaise chose que les femmes deviennent plus critiques. Il est normal que les gens posent des questions et expriment clairement leurs attentes à l’égard d’un traitement. Toutefois, ça devient plus problématique pour les femmes qui souffrent aussi de troubles médicaux. Si elles ferment la porte à la contraception hormonale, il existe parfois peu d’autres solutions capables de soulager leurs symptômes.»
La pilule n’a pas qu’un effet contraceptif: elle entraîne également une série d’«effets secondaires» que de nombreuses femmes jugent plutôt utiles. Par exemple, elle leur permet de planifier leurs règles (voire de les éviter), elle réduit l’intensité des saignements, atténue les douleurs menstruelles, et les fluctuations hormonales propres à un cycle naturel sont moins marquées.
«Aujourd’hui, l’éventail de contraceptifs hormonaux est si vaste qu’il est presque toujours possible de trouver une pilule, un implant ou un stérilet qui convienne à la patiente, déclare le professeur Stefan Cosyns, chef du service de gynécologie à l’UZ Brussel. Je suis convaincu que nous pouvons proposer aux femmes une contraception hormonale de manière sûre. Mais ce n’est en aucun cas une obligation. Celles qui préfèrent conserver un cycle naturel peuvent opter pour d’autres moyens, comme le préservatif. C’est un choix personnel.»
43,1%
des femmes âgées de 18 à 20 ans bénéficiaient d’un remboursement par une mutualité pour une pilule contraceptive contre 59,6% en 2013.
1. La contraception hormonale a-t-elle un effet sur le bien-être mental?
Les études qui se sont penchées sur cette question livrent des résultats contradictoires. «Certaines recherches montrent une augmentation des troubles de l’humeur, d’autres pas, admet le professeur Yves Jacquemyn, chef du service de gynécologie à l’UZA. Des troubles dépressifs ou des variations de l’humeur apparaissent chez 1% à 10% des utilisatrices, mais on les retrouve tout autant dans le groupe de contrôle. Il est donc difficile de tirer une conclusion définitive.»
«On peut également se demander si les variations d’humeur rapportées sont toujours liées à la pilule, observe Steffi Van Wessel, gynécologue à l’UZ Gent. De nombreux facteurs peuvent influencer l’état émotionnel d’une personne. De plus, les troubles émotionnels sont difficiles à mesurer de manière objective.»
Bien que la majorité des femmes se sentent bien sous contraception hormonale, certaines patientes peuvent, selon Stefan Cosyns, réagir plus fortement aux hormones synthétiques contenues dans la pilule. Celles-là pourraient tirer bénéfice d’une pilule contenant des hormones bio-identiques, à savoir des hormones de synthèse mais «identiques» à ce que le corps de la femme produit.
La question de savoir si la contraception hormonale influence la libido demeure également incertaine dans la littérature scientifique. «Les résultats sont ici aussi contradictoires, et la qualité des études est moyenne», précise Yves Jacquemyn.
Une baisse de libido peut néanmoins s’expliquer, selon Stefan Cosyns: «Lorsqu’une femme prend la pilule, elle reçoit une dose constante d’hormones, ce qui n’est pas le cas lors d’un cycle naturel. D’un point de vue évolutif, la nature fait en sorte que la libido atteigne un pic au moment de l’ovulation, car c’est à ce moment-là que la femme peut concevoir. On observe un maintien du désir sexuel chez les femmes qui utilisent un stérilet au cuivre, ainsi que chez certaines utilisatrices de dispositifs hormonaux. Celles qui ont l’impression que leur libido diminue sous pilule peuvent envisager ces alternatives.»
2. Est-il important d’arrêter la pilule une semaine chaque mois?
«Pour tous les moyens de contraception combinant un œstrogène et un progestatif –comme la pilule, l’anneau vaginal ou le patch–, il est possible d’intégrer une semaine d’arrêt, mais ce n’est pas une obligation, assure Steffi Van Wessel. Les méthodes qui ne contiennent qu’un progestatif doivent en général être prises en continu – c’est le cas de la minipilule, de l’injection contraceptive, du stérilet hormonal et de l’implant.»
Susanne Housmans met en garde: il n’a pas été prouvé que les pilules à dose plus élevée, souvent prescrites pour traiter l’acné, peuvent être prises en continu en toute sécurité. Elle recommande donc de toujours discuter d’une prise continue de la pilule avec un médecin généraliste ou un gynécologue.
Pourquoi alors cette semaine d’arrêt s’est-elle imposée, alors qu’elle est le plus souvent inutile? «Parce qu’on était convaincu, dans les années 1960, que si l’on commercialisait une pilule qui empêchait totalement les saignements, personne ne voudrait la prendre, justifie Stefan Cosyns. Les femmes se seraient demandé ce qu’il advenait du sang –une interrogation que certaines se posent encore aujourd’hui.»
«Les femmes atteintes d’endométriose doivent éviter d’avoir leurs règles. On leur prescrit la pilule en continu, année après année.»
Les saignements qui surviennent sous contraception hormonale n’ont cependant rien à voir avec les règles. En l’absence d’apport hormonal durant la semaine d’arrêt, le corps réagit par ce qu’on appelle un «saignement de privation», principalement constitué de muqueuse utérine.
«Chez les femmes qui prennent la pilule ou portent un stérilet hormonal, cette muqueuse utérine s’épaissit beaucoup moins, ce qui diminue les pertes de sang, ajoute le médecin de l’UZ Brussel. Une prise prolongée de la pilule peut même aboutir à des pertes très légères, voire à l’absence totale de saignement durant la semaine d’arrêt.»
En cas de prise continue, l’unique inconvénient est que la muqueuse devient parfois si fine et fragile que des pertes de sang peuvent survenir entre les cycles. «Cela se manifeste par des pertes brunâtres ou un léger saignement rouge, décrit Stefan Cosyns. Il n’y a pas lieu de s’en inquiéter. Certaines femmes l’expérimenteront après avoir « sauté » une seule fois la semaine de pause; d’autres pourront prendre la pilule pendant un an sans perdre une seule goutte de sang.»
Il est donc généralement tout à fait acceptable de ne pas observer de semaine d’arrêt et ce, pendant plusieurs mois, voire plusieurs années d’affilée. «C’est particulièrement bénéfique pour les personnes souffrant de règles douloureuses, note Stefan Cosyns. Les femmes atteintes d’endométriose, par exemple, doivent éviter d’avoir leurs règles. On leur prescrit la pilule de manière continue, année après année.»
Par ailleurs, la prise continue de contraception hormonale offre, selon Yves Jacquemyn, une protection supplémentaire contre le cancer des ovaires, de l’utérus, et même, dans une certaine mesure, contre le cancer colorectal.
«Commencer et arrêter la pilule de manière répétée, déclenche à chaque fois un risque accru de thrombose.»
3. Prendre la pilule uniquement lors des périodes d’activité sexuelle est-il concevable?
En raison du risque de thrombose ou de formation de caillots sanguins, présent avec toutes les pilules combinées, cette pratique est déconseillée. «Lorsqu’on commence une pilule contenant un œstrogène et un progestatif, cela entraîne une augmentation de certaines protéines produites par le foie, ce qui élève le risque de formation de caillots sanguins, explique Susanne Housmans. Après un certain temps, ce risque se stabilise, mais si l’on commence et arrête la pilule de manière répétée, on déclenche chaque fois à nouveau ce risque accru de thrombose.»
L’ampleur de ce risque thrombotique dépend du type de pilule utilisée. Sur 100.000 femmes ne prenant pas la pilule, entre cinq et 100 développent une thrombose chaque année. Parmi les 100.000 femmes utilisant une pilule de deuxième génération, ce chiffre passe de 20 à 400 cas par an. Ce type de pilule présente donc un risque environ quatre fois plus élevé. Chez les femmes qui prennent une pilule de troisième génération, le risque de thrombose veineuse est six à huit fois plus élevé que chez celles qui n’utilisent pas la pilule. En revanche, les pilules ne contenant que du progestatif n’entraînent pas de risque accru de thrombose.
4. La pilule influence-t-elle le poids?
«Les recherches ne montrent pas de différence de prise de poids entre les personnes qui prennent la pilule et celles qui reçoivent un placebo, indique Yves Jacquemyn. Cela ne signifie évidemment pas qu’il est impossible de prendre du poids après avoir commencé la pilule, mais plutôt qu’il y a apparemment autant de personnes qui conservent leur poids, voire qui en perdent.»
La prise de poids éventuelle dépend surtout du type de progestatif contenu dans la pilule. «Si des personnes prennent du poids avec la pilule, c’est en général parce qu’elles y réagissent en retenant de l’eau, précise Stefan Cosyns. Cela entraîne en moyenne une prise de poids d’environ un kilo. Dès qu’elles arrêtent la pilule, les femmes perdent à nouveau ce poids. Certaines peuvent aussi présenter un léger œdème au niveau des jambes. Dans ce cas, elles peuvent passer à une pilule contenant un type de progestatif à effet diurétique.»
«La pilule du lendemain n’est certainement pas aussi fiable qu’une contraception hormonale classique.»
5. La pilule aide-t-elle contre l’acné?
Presque toutes les pilules combinées ont un effet positif sur l’acné. Selon Yves Jacquemyn, il n’est même pas nécessaire de prendre une pilule spécifique pour traiter l’acné: «Rien ne prouve qu’une pilule serait plus efficace que les autres.»
Certaines pilules de troisième ou de quatrième génération ont néanmoins été spécialement développées pour lutter contre l’acné. Elles contiennent du cyprotérone acétate ou de la drospirénone, des substances qui neutralisent les hormones androgènes responsables d’une peau grasse.
Susanne Housmans souligne qu’il est tout à fait normal d’observer, durant les premiers mois de prise d’une contraception hormonale, des effets sur la peau et les cheveux: «Ça se stabilise après quelques mois. C’est pourquoi nous conseillons aux femmes de faire preuve de patience.»
Yves Jacquemyn met cependant en garde: les contraceptifs hormonaux contenant uniquement du progestatif, comme la minipilule ou le stérilet hormonal, peuvent en revanche provoquer de l’acné.
6. Si l’on ne prend pas la pilule, peut-on recourir systématiquement à la pilule du lendemain après un rapport sexuel?
«C’est certainement une bonne réaction pour éviter une grossesse non désirée, déclare Susanne Housmans. Mais je ne la recommanderais pas comme méthode de contraception à long terme. Autrefois, on l’appelait la « pilule de contraception d’urgence », et elle doit le rester.»
Lorsqu’elle est prise correctement, la pilule du lendemain permet effectivement d’éviter les périodes à plus haut risque de conception. «Mais elle n’est certainement pas aussi fiable qu’une contraception hormonale classique, avertit la gynécologue. En outre, la pilule du lendemain perturbe à chaque fois le cycle naturel.»
7. Quelle contraception peut être prise en charge par les hommes?
A l’exception de la stérilisation masculine, qui est définitive, les hommes disposent de très peu d’options fiables en matière de contraception.
Depuis des années, la recherche s’intéresse à la contraception hormonale masculine, mais les avancées concrètes se font attendre. «Il existe bien des gels spermicides, mais leur protection reste nettement inférieure, tout comme des méthodes telles que le retrait», commente Susanne Housmans.
Stefan Cosyns craint en outre que, même si une pilule masculine voyait le jour, les femmes continueraient à vouloir garder le contrôle de la contraception: «Si la pilule masculine n’est pas prise correctement et devient inefficace, elles préféreront éviter tout risque.»
Par Elise Hulstaert
Quatre générations de pilule
Depuis la mise sur le marché de la première pilule combinée, celle-ci n’a cessé d’évoluer. Bien qu’elle ait toujours contenu les hormones sexuelles féminines œstrogène et progestatif, la dose d’œstrogène a diminué au fil du temps, et de nouveaux types de progestatifs, aux propriétés variées, y ont été intégrés. On parle désormais de différentes générations de pilules, selon le type de progestatif qu’elles contiennent.
La pilule de première génération contient une forte dose d’œstrogène associée à un progestatif. Quelques années après son introduction, on a constaté que cette concentration élevée en œstrogène augmentait le risque de thrombose chez les femmes.
Les pilules de deuxième génération, apparues dans les années 1980-1990, contiennent moins d’œstrogène mais souvent le même type de progestatif que celles de la première génération. Leur fiabilité reste inchangée. Grâce à leur bon rapport bénéfices/risques, elles constituent généralement le premier choix.
Les pilules de troisième génération, lancées dans les années 1990, contiennent de nouveaux types de progestatifs, comme le désogestrel ou le gestodène.
Les pilules de quatrième génération, apparues au début du XXIe siècle, incluent à leur tour de nouveaux progestatifs, tels que la drospirénone, le diénogest ou l’acétate de nomégestrol.
La pilule peut contenir des hormones synthétiques ou bio-identiques. Les hormones bio-identiques sont fabriquées en laboratoire mais ont, une fois dans le sang, une structure identique à celle des hormones naturellement produites par le corps féminin.