Le débat autour des indemnités de logement rebondit, à Bruxelles, après avoir agité les autres niveaux de pouvoir. Voici combien les ministres perçoivent… même quand ils disposent déjà parfois d’un logement de fonction. Explications.
Mieux vaut tard que jamais. «Ce sont des privilèges qui n’ont plus lieu d’être». Il aura tout de même fallu plus de cinq ans à Nawal Ben Hamou (PS) pour s’en rendre compte: entre 2019 et 2025, la secrétaire d’Etat en charge du logement a perçu chaque mois des indemnités de logement (400 euros) et des frais de domesticité (1.250 euros pour le ménage, la garde d’enfants, etc.), en plus de son salaire. Salaire qui, pour les membres du gouvernement bruxellois, s’élève à environ 10.000 euros net par mois. En octobre dernier, la socialiste a décidé de renoncer à son indemnité de logement (l’enveloppe la moins élevée, donc). «J’estimais qu’il était temps pour moi d’y mettre un terme. J’ai même trop attendu», a précisé à la RTBF celle qui habite à Bruxelles-Ville.
Poussée par le PTB? Le parti d’extrême gauche a en effet fait de ces indemnités son cheval de bataille. Multipliant les questions parlementaires et rencardant les journalistes de toutes les rédactions. Un combat tant au fédéral qu’aux régions, puisque ces compléments de salaire sont versés partout. «A tous les niveaux de pouvoir, on parle d’austérité, on dit qu’on va couper dans les dépenses. Par contre, quand il s’agit de payer les ministres, il n’y a pas de problème, dénonçait la députée fédérale PTB Sofie Merckx au Vif en juin dernier. Avec leurs salaires élevés et leurs indemnités supplémentaires, comment les ministres peuvent-ils encore rester en contact avec la population?»
Petit tour d’horizon de ces indemnités (défiscalisées et pouvant être dépensées sans justificatif) qui commencent donc même à gêner certains des élus qui les perçoivent.
1. Gouvernement bruxellois: + 1.650 euros par mois d’indemnités de logement
A Bruxelles comme ailleurs, les indemnités de logement ont été prévues par le législateur (depuis 2002, dans la capitale) pour aider ministres et secrétaires d’Etat à se loger, eux qui résident parfois loin de leur lieu de travail. Mais à Bruxelles encore plus qu’ailleurs, ces montants semblent d’autant plus surprenants que le territoire bruxellois ne s’étend que sur 32,61 kilomètres carrés et qu’aucun édile ne doit souffrir de longs déplacements.
Nawal Ben Hamou n’est pas la seule à toucher ou à avoir touché ces montants au cours de la législature écoulée. Voici le détail, selon les données obtenues par le PTB à la suite de questions écrites.
Ceux qui touchent les 1.650 euros de sursalaire:
- Rudi Vervoort (ministre-président, PS, domicilié à Evere);
- Bernard Clerfayt (ministre de l’Emploi, DéFI, habitant à Schaerbeek);
- Sven Gatz, jusqu’à sa démission en octobre dernier (ministre des Finances, Open VLD, résidant à Jette). 59.400+39.600+15.000
Ceux qui les touchent (ou les ont touchés) partiellement:
- Nawal Ben Hamou (lire ci-dessus);
- Elke Van den Brandt (ministre de la Mobilité, Groen, domiciliée à Ganshoren), qui y a renoncé en octobre dernier;
- Ans Persoons (secrétaire d’Etat à l’Urbanisme, Vooruit), qui affirme n’avoir bénéficié depuis le début de la législature «que» des frais de domesticité de 1.250 euros mensuels, et non des 400 euros d’indemnités de logement.
Ceux qui ont renoncé aux 1.650 euros par mois depuis le début de la législature:
- Barbara Trachte (secrétaire d’Etat à la transition économique, Ecolo);
- Alain Maron (ministre de l’Environnement, Ecolo).
Le sujet des indemnités de logement fait apparemment partie des négociations bruxelloises en vue de former une nouvelle coalition. Elke Van den Brandt a indiqué y avoir renoncé pour cette raison.
Une première victoire pour le PTB?
2. Gouvernement fédéral: un complément de salaire de 1.923,82 euros
En mars dernier, Le Vif était le premier à révéler le montant des frais de logement et domesticité octroyés à chaque membre du gouvernement De Wever (en plus de leur salaire «normal» de 20.787 euros brut par mois). Soit 1.923,82 euros net par mois. Montant, pour rappel, défiscalisé et pouvant être dépensé sans justificatif, auquel s’ajoute un autre avantage: les indemnités pour frais de représentation, fixées forfaitairement à 384,76 euros mensuels par ministre (mais 769,53 euros pour le Premier ministre). Sommes qui visent à «couvrir intégralement les dépenses personnelles auxquelles les membres du gouvernement sont tenus en raison de leur rang», précise la circulaire. Ces frais doivent, eux, être justifiés.
L’ensemble des ministres fédéraux touchent cet avantageux sursalaire. Tout en bénéficiant parfois… d’un logement de fonction. En d’autres termes, dix de ces quinze ministres sont déjà logés gratuitement s’ils souhaitent passer la nuit à Bruxelles, mais perçoivent tout de même des indemnités censées couvrir leurs frais de logement.
Ceux qui cumulent indemnités de logement et logement de fonction au sein de leur cabinet:
- Bart De Wever (Premier ministre, N-VA);
- Frank Vandenbroucke (Santé, Vooruit);
- Bernard Quintin (Intérieur, MR);
- Maxime Prévot (Affaires étrangères, Les Engagés);
- Rob Beenders (Egalité des chances, Vooruit);
- Vanessa Matz (Entreprises publiques, Les Engagés);
- Jean-Luc Crucke (Mobilité, Les Engagés);
- Anneleen Van Bossuyt (Migrations, N-VA)
Celui qui cumule indemnité de logement et «vrai» logement de fonction:
- David Clarinval (ministre de l’Emploi, MR) perçoit l’indemnité de logement tout en se faisant payer (par la Régie des bâtiments) un logement de fonction. Dont coût annuel: 17.812,56 euros,indexation non comprise.
Ceux qui touchent uniquement l’indemnité de logement, sans déjà bénéficier d’un logement de fonction:
- Mathieu Bihet (ministre de l’Energie, MR);
- Eléonore Simonet (ministre des classes moyennes, MR);
- Theo Francken (ministre de la Défense, N-VA);
- Annelies Verlinden (ministre de la Justice, CD&V);
- Vincent Van Peteghem (ministre du Budget, CD&V).
Le Premier ministre, Bart De Wever, n’avait pas fermé la porte à une réforme… si les partis de sa majorité y consentaient. Ce qu’aucun d’entre eux ne semble pressé de faire. Du côté de l’opposition, les opinions s’avèrent plus tranchées: le PS «demande qu’il n’y ait pas de doublon: si un logement est mis à disposition, pas d’indemnité en plus. Nous voulons plus de transparence, un plafonnement clair, et des règles justes». Ecolo entend pour sa part agglomérer privilèges et allocations dans un package salarial unique, fiscalisé, et surtout diminué de 35%.
3. Région wallonne et Fédération Wallonie-Bruxelles: une indemnité mensuelle de 1.377,15 euros
Comme partout ailleurs, les ministres de la Région wallonne et de la Fédération Wallonie-Bruxelles touchent un complément de salaire défiscalisé pour leur logement (336 euros) et leurs frais domestiques (1.041,15 euros), soit un bonus mensuel de 1.377,15 euros s’ajoutant à leur rémunération avoisinant les 10.500 à 11.500 euros par mois.
Comme au fédéral, les élus de la Région wallonne ont tous (ou presque) la possibilité de loger dans leur cabinet, dans un kot aménagé à cet effet. Tous sauf une: Cécile Neven (ministre wallonne de l’Energie, MR, qui vit en région namuroise).
L’inverse prévaut pour la Fédération Wallonie-Bruxelles: aucun des édiles ne dispose de kot au sein de leurs cabinets respectifs. Aucun sauf une: un espace a été aménagé au siège du gouvernement (place Surlet de Chokier à Bruxelles) pour la ministre-présidente Elisabeth Degryse (Les Engagés). Qui assure toutefois le mettre à disposition de ses collègues si besoin.
A noter que les ministres à double casquette Région-Fédération (Adrien Dolimont et Jacqueline Galant pour le MR, Valérie Lescrenier et Yves Coppieters pour Les Engagés) ne cumulent évidemment pas les indemnités: chaque ministre, même lorsqu’il siège dans deux gouvernements, ne perçoit qu’un seul traitement et une seule fois les indemnités pour frais de logement et domesticité.
Au total: 600.000 euros d’économies faciles sur les indemnités de logement?
Bref, au total, les pouvoirs publics dépensent chaque année 600.945,6 euros pour les frais de logement et de domesticité de leurs ministres. Alors que ceux-ci, pour la plupart, disposent déjà gratuitement d’un logement de fonction ou vivent tout près de leurs lieux de travail.
Soit:
- 346.287,6 euros pour le fédéral;
- 89.400 euros pour la Région bruxelloise;
- 99.154,8 euros pour la Région wallonne;
- 66.103,2 euros pour la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Pas de quoi substantiellement renflouer les caisses de ces niveaux de pouvoir qui cherchent tous à réaliser des économies. «Dans un contexte d’austérité budgétaire assumée, le gouvernement serait en bonne position s’il acceptait d’abandonner ces privilèges», commentait en juin dernier Jérémy Dodeigne, politologue à l’UNamur. Qui ne remettait pas en cause les bons salaires des politiques, qui occupent des fonctions harassantes presque 24/24 heures, sept jours sur sept. «Mais il faut des salaires transparents, fixés par la loi, sans privilèges. Cela devient une question de légitimité du système.»
Nawal Ben Hamou aura peut-être mis cinq ans à abandonner (partiellement) ces «privilèges qui n’ont plus lieu d’être». Mais elle reste actuellement l’une des rares à l’avoir fait…
















