Press-shops et librairies se réinventent en points-relais, avec des arrière-boutiques saturées de cartons et des files tendues au comptoir. Submergés pour quelques dizaines de centimes d’euro par colis, les buralistes voient une partie de leur clientèle se tourner vers les lockers, au gré des expériences plus ou moins heureuses des e-consommateurs.
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Chez certains buralistes, peu à peu, les magazines et friandises ont laissé la place aux cartons et papier bulle. Les étagères colorées de couvertures de presse et de livres, abondantes de sodas et de snacks, se sont vidées. Le comptoir est devenu un guichet, où une longue file, à toute heure de la journée, attend son tour, QR code en main, pour récupérer un colis
«C’est un changement visible du business model des librairies et press-shops. Un tournant dans l’économie de ces professionnels qui, souvent plus par instinct de survie que par choix, se sont tournés vers le service de dépôt des colis. Les buralistes sont à la croisée des chemins. Beaucoup de produits qui généraient du trafic dans leur commerce ont perdu ce rôle, remplacés par les colis. Le reste est relégué à du bonus», explique Ingrid Poncin, professeure de marketing digital à l’UCLouvain.
Au fil de la centaine de colis qui arrivent chaque jour, certains press-shop se sont transformés en dépôts plus qu’en points-relais. Un libraire de Bruxelles, qui a préféré rester anonyme, dit avoir conscience du changement d’allure de son petit commerce. Il se sent submergé et reconnaît que, parfois, il peut être un peu désagréable avec les clients, «à force de répéter les mêmes choses. Parce que dix fois par jour, les clients se plaignent ou sont perdus. D’autres jugent que ça ne va pas assez vite, qu’ils attendent trop sur place. A plusieurs reprises, on a frôlé des situations de bagarres entre des clients. Aujourd’hui, l’offre de dépôts s’est diversifiée autour de mon commerce, donc ça va un peu mieux. On croule un peu moins sous les cartons. Mais je comprends que certains clients ne soient plus revenus chez moi et préfèrent passer par des lockers. Certains jours, c’est la guerre, ici.»
Les lockers à la rescousse
Si certains buralistes se sentent submergés et admettent avec regret que l’ambiance dans leur commerce a changé, affectant de surcroît l’expérience des clients, ceci explique en partie le succès des lockers. Un service parallèle qui crée une concurrence aux particuliers réorientés en dépôts. Ces boîtes aux lettres connectées, bpost en possède 2.500, pour une capacité maximale de 150.000 colis, capacité faisant de l’entreprise publique l’acteur quasi hégémonique du locker en Belgique. Mondial Relay, deuxième opérateur, en possède une centaine. Les autres transporteurs, comme DHL ou DPD, orientent vers des points-relais, des libraires ou magasiniers, ou s’adossent au réseau bpost plutôt que de déployer leurs propres consignes.
Pour Ingrid Poncin, l’avènement des lockers et la diversification des offres sont positives, tant pour le consommateur que les commerces points-relais. «On parle de concurrence, mais les lockers sont plutôt une alternative nécessaire qui suit une forte croissance des livraisons de colis. De nombreux buralistes ont sauté à pieds joints dans le service de colis en s’érigeant en points-relais. Et cela parfois sans comprendre ou correctement évaluer la charge de travail que cela représente. Ils ont été submergés par la demande, pour ne gagner au final que quelques dizaines de centimes par colis. Plusieurs centaines d’euros à la fin du mois.»
Devant une librairie emblématique de Bruxelles, avant même l’apparition des lockers, il n’était pas rare de voir des caisses en carton s’empiler à même le trottoir, cachant presque la devanture du press-shop. «Quand j’ai commencé à me spécialiser dans la réception de colis, je ne m’attendais pas à être submergé comme je l’ai été, raconte le gérant de la librairie située à Woluwe-Saint-Lambert. Parfois, la file débordait jusque dans la rue. Comme j’étais l’un des premiers à offrir ce service de dépôt de colis dans les environs, tout le monde passait par mes services.»
Un choix perso, qui en dit beaucoup
Lockers, points-relais ou livraisons à domicile, chacune de ces méthodes a ses avantages et inconvénients. Le choix est laissé au consommateur, selon ses envies, ses préférences, mais révèle une «psychologie» propre à chaque acheteur.
«Un client déçu par des points-relais va préférer se faire livrer directement chez lui. Puis, après une mauvaise expérience d’un livreur qui ne sonne pas et dépose le colis dans un point-relais, ce même client va tester les lockers. Ces derniers sont parfois jugés trop complexes dans leur utilisation, sans référent à qui s’adresser directement en cas de problème. C’est l’une des principales critiques que l’on peut adresser à ces boîtes postales numériques. Après une mauvaise expérience, le client va de nouveau s’orienter vers un point-relais plus classique», développe la professeure de marketing digital.
Une sorte de boucle, où seuls les e-consommateurs les plus réguliers ont trouvé leurs habitudes. Les autres gravitent entre divers modes de livraison avant de trouver ce qui leur convient le mieux. Certains consommateurs favorisent les lockers, jugés plus pratiques car flexibles en heure d’ouverture. Mais c’est une idée parfois biaisée. La plupart des lockers sont situés à l’intérieur de centres commerciaux ou de magasins. Ils ne sont pas accessibles 24/24h, mais dépendent des heures d’ouverture des lieux qui ne dépassent pas souvent 20 heures. Alors que d’autres buralistes ou press-shop offrent la possibilité de récupérer ses colis jusqu’à 22 heures.
Le point faible des lockers réside aussi dans la peur des consommateurs de se faire voler. Que ces casiers soient vandalisés, ou que le QR code ne fonctionne pas comme il le devrait. «Au moins, chez moi, le client est accompagné un minimum et peut faire une réclamation rapidement. Il a l’assurance que son colis est en sécurité. Je suis une sorte de paratonnerre et d’interlocuteur en cas de soucis, ce que n’offrent pas les lockers», conclut le buraliste bruxellois.












