Le tsunami annoncé de voitures chinoises bon marché est en marche. Personne n’avait prévu que ces dernières seraient équivalentes, voire supérieures, aux modèles comparables fabriqués en Europe. Le journaliste automobile Alain Devos s’est rendu en Chine pour en comprendre les raisons.
Alain Devos vient de rentrer de son cinquième voyage d’étude en Chine. Le rédacteur en chef du site Autonieuws.be cherche à expliquer l’ascension spectaculaire des marques automobiles chinoises en Europe. Une progression en pourcentage sur papier, pour l’instant, mais qui ne tardera pas à être visible dans les rues européennes.
Au cours des 30 dernières années, Alain Devos a vu la Chine passer du statut de pays en développement à celui de deuxième puissance industrielle mondiale. «Tôt ou tard, la Chine dépassera les Etats-Unis et les marques automobiles chinoises donneront le ton pendant longtemps. C’est écrit dans les astres. Le label made in China deviendra le nouveau gage de qualité. Les constructeurs européens ont été pris de vitesse et se retrouvent dos au mur.»
Concurrence impitoyable
«J’ai visité la Chine pour la première fois il y a 30 ans, je vieillis! J’ai alors été impressionné par la pauvreté et le chaos. Après la mort de Mao, la Chine était entrée dans une période de turbulences: les rues étaient envahies par des cyclistes indisciplinés. Les rares voitures étaient inspirées des anciens modèles de VW et Citroën. Quinze ans plus tard, j’ai regardé avec étonnement les embouteillages interminables à Pékin et l’apparition des premiers modèles de marques de luxe américaines et allemandes. En 2025, ceux-ci ont été supplantés par des modèles de fabrication chinoise. Le marché est désormais entre les mains de dizaines de constructeurs nationaux. Plus d’une centaine de marques se livrent une lutte à mort; on s’attend à ce que 20 d’entre elles au maximum survivent à la guerre des prix.»
«La raison de ma visite était le Salon automobile de Guangzhou. La ville est mondialement connue pour être le berceau de l’IA et des technologies connexes. Elle compte 20 millions d’habitants et se présente comme une métropole moderne avec de nombreux gratte-ciel et étonnamment beaucoup d’espaces verts. Il est frappant de constater que les automobilistes respectent scrupuleusement le code de la route, ce qui rend la circulation fluide et ordonnée. Cela tient peut-être au fait que tout le monde est surveillé discrètement mais attentivement. Personne n’ose sortir du rang ou se comporter de manière dissidente», raconte Alain Devos.
«Il est toutefois permis d’afficher sa richesse en public. Il y a sans doute une raison cachée à cela: pour devenir riche, il faut travailler dur et gagner de l’argent, poursuit-il. Par rapport à il y a 30 ans, la Chine a subi une métamorphose inimaginable. Selon les normes asiatiques, les Chinois ont un niveau de vie relativement élevé. Nulle part ailleurs autant de jeunes ne font leurs études dans des universités et des écoles techniques supérieures.»
Alain Devos observe que beaucoup de Chinois travaillent d’arrache-pied pour acquérir sa propre maison et sa voiture, signes d’un certain prestige social. Il remarque par ailleurs un ralentissement économique, entraînant une surproduction dans le secteur automobile. «Des centaines de milliers de voitures chinoises bon marché attendent un acheteur dans le monde entier.»
Les ingénieurs font aussi les pauses
La Chine est passée en un temps record du statut de pays en développement à celui de puissance industrielle. La transition spectaculaire de l’industrie automobile chinoise en témoigne. Il y a dix ans encore, celle-ci fabriquait principalement des pièces détachées pour les constructeurs européens. Ce qui explique pourquoi les trois quarts des pièces détachées des voitures européennes sont fabriquées en Chine et… pourquoi les marques européennes n’osent pas s’opposer à leurs fournisseurs chinois. Une interruption des livraisons serait catastrophique pour l’Europe.
«Entre-temps, plusieurs fournisseurs se sont transformés en constructeurs automobiles et sont devenus les concurrents de leurs propres clients, pointe Alain Devos. Ils produisent eux-mêmes leurs pièces et ne dépendent pas de tiers. BYD, par exemple, fabrique ses propres batteries, qui représentent environ 40% du coût total d’une voiture électrique. Les constructeurs chinois sont également à la pointe dans le domaine des logiciels. Les marques européennes ne sont plus des précurseurs, mais des suiveurs.»
L’expert automobile constate que les marques chinoises développent un nouveau modèle en moins de deux ans, contre cinq pour les constructeurs européens. «En Chine, non seulement les ouvriers travaillent en trois équipes, mais les ingénieurs et les chercheurs aussi. Ce qui explique pourquoi Audi, BMW, Mercedes, Porsche, Renault et Volkswagen collaborent plus intensément avec des partenaires chinois. Volkswagen travaille par exemple avec Xpeng, fondée en 2014 à Guangzhou. Xpeng développe pour VW le châssis, la transmission et le logiciel de deux modèles destinés au marché chinois. La conception, la vente et le service après-vente restent chez VW. Pour l’Europe, Xpeng fait construire ses modèles chez Magna Steyr à Graz, en Autriche, où sont également produites la BMW Z4 et la Mercedes Classe G.»

En marge du Salon automobile de Guangzhou, Alain Devos a eu l’occasion de découvrir les coulisses de Xpeng, constructeur qui se considère comme entreprise technologique qui assemble également des voitures et mise intensivement sur l’IA. «La conduite autonome figure en tête de ses priorités. On me laisse entendre implicitement que Xpeng est bien plus avancé que les marques européennes dans ce domaine.»
«Au-delà des voitures, Xpeng construit également des petits avions privés et des robots. Grâce à l’IA, ces derniers peuvent imiter les mouvements humains. L’entreprise technologique appelle cela ‘Physical AI’: le passage du logiciel à des machines réelles qui agissent de manière autonome. Cela me rappelle l’ingéniosité avec laquelle Tesla a bouleversé le marché il y a quinze ans.»
Quelle est l’ampleur du péril rouge?
Alain Devos ne mâche pas ses mots: les constructeurs automobiles européens seraient dos au mur. «Les marques chinoises sont en tête, les européennes à la traîne. BYD, MG et compagnie gagnent du terrain tandis que leurs concurrents européens en perdent. Cela ne présage rien de bon. Le tsunami annoncé de modèles chinois bon marché n’est pas encore arrivé, mais il approche à grands pas. Dès que les constructeurs chinois auront trouvé suffisamment de partenaires commerciaux et de service après-vente, les vannes s’ouvriront. De plus en plus de groupes européens semblent prêts à partager leur expertise et leur infrastructure. Cela n’augure rien de bon pour l’industrie automobile européenne.»
La Chine va-t-elle devenir le moteur vert du monde?
La Chine représente un tiers des émissions mondiales de CO2, soit plus que les Etats-Unis, l’Inde, l’Europe et le Japon réunis. Pour répondre à la demande énergétique, la consommation de charbon a fortement augmenté ces dernières années. À l’échelle mondiale, la Chine brûle plus de la moitié de la source fossile la plus polluante.
Dans le même temps, aucun autre pays ne progresse aussi rapidement dans le développement de l’énergie éolienne et solaire, des batteries, des voitures électriques, des infrastructures de réseau et de la transition vers une industrie électrique. En d’autres termes, la Chine est à la fois le plus grand émetteur de carbone et le plus grand constructeur d’énergies renouvelables.
Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la Chine a représenté près des deux tiers de la capacité éolienne et solaire supplémentaire installée dans le monde l’année dernière. L’année dernière, elle a produit plus de 18% de son électricité à partir de l’énergie solaire et éolienne. La part des sources fossiles dans le mix électrique a diminué de plus de 10%, pour atteindre 62%.
Ce revirement est lié à la politique énergétique centralisée du gouvernement chinois, qui agit simultanément sur deux leviers stratégiques. D’une part, il développe sa capacité de production d’électricité à partir d’énergies renouvelables et, d’autre part, il passe massivement à la consommation électrique.
Tout comme l’Europe, la Chine dispose de réserves limitées de combustibles fossiles et a donc choisi d’électrifier son économie afin d’accroître son autosuffisance et son autonomie.













