dimanche, septembre 8

A partir des données de plus de 100 000 employés belges, le secrétariat social Attentia a remarqué que cette différence de salaire en fonction de la longueur du prénom augmentait avec l’âge. Pourquoi ? Et quel crédit accorder à ce type d’analyse ?

Vaut-il mieux s’appeler Léa qu’Anne-Françoise, Téo que Maximilien, pour toucher un salaire plus élevé ? C’est ce que laisserait croire une analyse d’Attentia, expert en ressources humaines et en bien-être au travail. Dans un récent communiqué, le secrétariat social fait part d’une conclusion frappante, basée sur les données de plus de 100 000 travailleurs : « Les employés ayant un prénom court sont mieux payés que ceux qui ont un prénom long. » En scindant d’une part les prénoms de maximum cinq caractères et d’autre part ceux qui en comptent davantage, il s’avère que le salaire médian du premier groupe est de 4 500 euros, celui du second de 4 135 euros. Soit une différence globale de 365 euros bruts par mois, dont l’ampleur varie une fois répartie selon le genre (412 euros chez les hommes, 71 euros seulement chez les femmes).

L’écart augmenterait en outre avec l’âge, précise encore Attentia. « Dans le groupe des moins de 30 ans, il n’y a pas de différence. Dans le groupe des 30 à 39 ans, la différence est de 140 euros. Chez les 40-49 ans, elle passe à 247 euros, et chez les 50-59 ans, à 349 euros. Enfin, chez les plus de 60 ans, la différence est la plus importante : 772 euros brut par mois. » En revanche, l’analyse n’aboutit à aucune différence significative pour les ouvriers, « plus souvent payés selon des barèmes fixes. »

« Les personnes dotées de prénoms longs sont perçues comme plus morales, plus hiérarchiques, alors que celles au prénom plus court sont vues comme plus chaleureuses. »

Ce n’est pas la première fois qu’un acteur s’interroge sur une possible corrélation entre le niveau de salaire médian et la longueur des prénoms. En 2011 déjà, le réseau social professionnel LinkedIn s’était aperçu que les prénoms de quatre lettres étaient les plus fréquents chez les CEO – avec, évidemment, des différences selon les pays et les continents. Toutefois, les noms de PDG surreprésentés étaient assez souvent des versions abrégées de prénoms populaires (par exemple Matt plutôt que Matthew, Tom plutôt que Thomas…).

« Il faut faire extrêmement attention à ne pas sous-entendre que, derrière ce type d’analyse, il y aurait une causalité, met d’emblée en garde Anne-Laure Sellier, chercheuse en psychologique sociale et cognitive et professeure à HEC Paris, par ailleurs autrice des livres Le pouvoir des prénoms (Héliopoles, 2018) et de La science des prénoms (Héliopoles, 2019). Il s’agit d’une corrélation, que de nombreux facteurs peuvent par ailleurs expliquer. » Une précaution indispensable que partage l’économiste Philippe Defeyt, président de l’Institut pour un développement durable (IDD) : « Il y a quelques années, en France, une analyse avait démontré que les Joséphine avaient, en moyenne, obtenu les meilleurs résultats au bac. Bien entendu, ce n’est pas parce que vous appelez votre enfant Joséphine que ce sera le cas. Il se fait simplement que Joséphine est un prénom que l’on donne davantage dans des milieux aisés et que pour un tas de raisons, ces derniers conduisent à une plus grande probabilité de meilleurs résultats scolaires. »

Le reflet d’une inégalité homme-femme ?

La question la plus évidente reste donc : pourquoi une telle différence de salaire selon la longueur du prénom ? Sur ce point, le secrétariat social botte en touche, indiquant qu’une analyse supplémentaire serait nécessaire pour le comprendre. Il se risque toutefois à une seul décodage, lié à l’écart de rémunération entre hommes et femmes. « Les hommes plus âgés sont plus susceptibles d’avoir des noms courts, tandis que les femmes plus âgées sont plus susceptibles d’avoir des noms longs », explique Wout Dejaeghere, senior total reward consultant chez Attentia, dans le même communiqué. Et comme l’écart de rémunération au niveau du salaire horaire est supérieur parmi les collaborateurs plus âgés, l’analyse pourrait refléter le fait que, singulièrement après un certain âge, les hommes ont davantage accès à des possibilités de promotion que les femmes. Statistiquement, la part des prénoms courts parmi les salaires plus élevés serait de ce fait plus importante.

Mais cette interprétation pose plusieurs problèmes. Un : elle ne permet pas d’expliquer une différence salariale pour un même genre et une même tranche d’âge. Deux : elle serait surtout bien trop simpliste, vu le nombre de facteurs qui peuvent entrer en jeu. « Je n’y crois pas une seule seconde, souligne Anne-Laure Sellier. On ne peut pas estimer que cela suffit à refléter l’écart salarial homme-femme qui par ailleurs, a largement précédé les tendances aux prénoms courts ou aux prénoms longs. »

Le retour des prénoms longs

Contacté par Le Vif, le groupe Attentia concède que cette étude n’a pas affiné les résultats en fonction, par exemple, du lieu de travail ou de domicile des employés. Vu que le salaire médian est plus élevé en Flandre qu’en Wallonie, il est en effet possible qu’il y ait statistiquement davantage de prénoms flamands parmi les rémunérations plus élevées… Prénoms généralement plus courts que ceux donnés en Belgique francophone. Quant à la pertinence de la base statistique, Philippe Defeyt fait remarquer que de tels secrétariats sociaux sont moins présents dans l’emploi public : le constat porterait donc essentiellement sur les employés du secteur privé.

Il ne constitue par ailleurs qu’une photographie à un moment précis, alors que la longueur des prénoms les plus donnés varie au fil du temps, de manière presque cyclique. « Depuis plusieurs décennies déjà, les prénoms se raccourcissent de façon généralisée, poursuit Anne-Laure Sellier. On a aujourd’hui un pool plus large qu’avant de prénoms courts. Si l’on regarde le haut du panier dans les promotions, vous obtiendrez donc mécaniquement davantage de prénoms courts en fin de course. Néanmoins, la tendance est en train de changer : on revient peu à peu à des prénoms plus longs. Dans vingt ou trente ans, il est possible que l’on constate une plus grande proportion de prénoms longs parmi les PDG ou les promotions. »

Les prénoms plus courts, perçus comme plus chaleureux

Bien que limitée sur cette question, la littérature scientifique offre toutefois une autre grille de lecture, comme le souligne l’experte en psychologie sociale : « Les personnes dotées de prénoms longs sont perçues comme plus morales, plus hiérarchiques, alors que celles au prénom plus court sont vues comme plus chaleureuses, plus sympathiques. Or, le PDG hiérarchique, paternaliste, n’est plus à la mode. On lui préfère aujourd’hui un PDG qui est membre d’un groupe, un modérateur plus qu’un leader, qui aidera l’intelligence collective à se manifester. Avec cette nouvelle casquette, Guy aurait un avantage sur Maximilien : il sera davantage suivis puisque perçus comme plus chaleureux et plus accessible. »

Le choix d’un prénom ne serait donc pas anodin dans le parcours professionnel, vu ces perceptions sociétales. A côté de leur longueur, les prénoms trop originaux ou trop décalés peuvent aussi s’avérer défavorables lors d’un entretien d’embauche. « On peut littéralement être condamné socialement ou professionnellement par son prénom », indiquait déjà la chercheuse au Vif, en juillet dernier.

Vu le nombre de facteurs qui peuvent entrer en jeu, l’analyse d’Attentia est donc à considérer pour ce qu’elle est : une corrélation entre la longueur des prénoms et le salaire médian, pour une catégorie donnée de travailleurs (principalement des employés du secteur privé) et établie indépendamment des évidentes disparités entre francophones et néerlandophones. « Une telle approche n’est pas inintéressante si l’on souligne le fait qu’il n’y a pas de lien de cause à effet, conclut Anne-Laure Sellier. Et qu’elle ne constitue qu’un épiphénomène. »

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