Mise en cause par l’Azerbaïdjan pour le crash d’avion au Kazakhstan, défaite en Syrie, questionnée sur sa fiabilité en Afrique, la Russie subit plusieurs revers de politique étrangère.
Arriver en position de force à des discussions avec les Etats-Unis sur l’avenir de l’Ukraine au moment où, à partir de son intronisation le 20 janvier comme président, Donald Trump sera à la manœuvre est un objectif prioritaire pour Vladimir Poutine. Son armée répond assez efficacement à cette demande sur le sol ukrainien en multipliant depuis quelques semaines ses conquêtes de territoires dans le sud-est du pays occupé. Les perspectives sont en revanche moins réjouissantes pour la Russie dans ses relations avec certains partenaires étrangers. Illustration en Azerbaïdjan, en Syrie et avec la Corée du Nord.
Le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev a poussé une grosse colère le 29 décembre, quatre jours après «l’accident» dont a été victime un avion Embraer de la compagnie aérienne Azerbaijan Airlines qui assurait une liaison entre Bakou et Grozny, dans le Caucase russe. «Admettre [sa] culpabilité, présenter des excuses en temps utile à l’Azerbaïdjan, qui est considéré comme un pays ami, et informer le public à ce sujet, voilà autant de mesures et d’étapes qui auraient dû être prises», a-t-il exprimé à la télévision nationale, fustigeant ainsi la volonté, pendant plusieurs jours, des autorités russes de cacher les causes du crash.
Echec au Haut-Karabakh
Vladimir Poutine avait pourtant déjà opéré une courbe rentrante en s’excusant auprès de son homologue lors d’un entretien téléphonique, en reconnaissant que des tirs de la défense antiaérienne russe avaient été opérés au moment du survol de l’appareil, mais sans admettre qu’ils étaient la cause du drame. D’après un officiel azerbaïdjanais, le chef du comité d’enquête de la Fédération de Russie, Alexandre Bastrykine, a été un pas plus loin en assurant que «des mesures intenses sont prises pour identifier les coupables et les amener à répondre pénalement de leurs actes», ce qui pourrait être interprété comme un aveu de responsabilité. Les deux dernières grandes incertitudes à lever sur ce dossier consisteraient alors à déterminer si, comme l’affirment les Russes, Grozny, la «capitale» tchétchène où devait atterrir l’Embraer, était la cible d’une attaque de drones ukrainiens au même moment, et pourquoi l’appareil a été dérouté vers un aéroport au Kazakhstan, qu’endommagé, il n’a finalement pas pu rallier, au lieu de l’être vers des pistes d’atterrissage plus proches en Russie.
Il ne faut toutefois pas surinterpréter la vindicte d’Ilham Aliyev, principalement destinée à sa population, légitimement en colère face à l’enchaînement des erreurs qui ont provoqué le drame (38 morts). Elle consacre cependant un changement du rapport de force entre le président azerbaïdjanais et Vladimir Poutine. La crise du Haut-Karabakh en septembre 2023 en avait déjà fourni une démonstration. Bakou avait alors infligé un camouflet à la Russie en expulsant de l’enclave arménienne d’Azerbaïdjan les Arméniens qui y vivaient, alors que Moscou, soutien d’Erevan, était garant de l’accord de cessez-le-feu conclu au terme de la deuxième guerre du Haut-Karabakh en 2020. La passivité de la Russie face à la reconquête par l’armée de Bakou de l’enclave en 2023 avait été imputée à la mobilisation de ses forces sur le front ukrainien.
«En Azerbaïdjan comme en Syrie, l’affaiblissement de la Russie est exploité par la Turquie de Recep Tayyip Erdogan.»
Perte d’influence au Proche-Orient
Le même argument est avancé aujourd’hui pour expliquer l’inaction de l’aviation russe lors de la chute du président syrien Bachar al-Assad, grand allié de Vladimir Poutine, dans la nuit du 7 ou 8 décembre. Elle n’aurait bombardé que quelques positions des rebelles du Hayat Tahrir al-Cham (HTC) au début de leur offensive, renonçant ensuite à contrecarrer leur rapide progression. La Russie aurait toutefois assuré les arrières de la famille Assad, en lui accordant un asile doré à Moscou, et les siens en prenant langue avec le HTC pour garantir la sécurisation de ses installations militaires (surtout les bases navale de Tartous et aérienne de Hmeimim).
Soucieux de faire profil honorable et de donner les meilleures chances à son pays de se redresser, le nouveau maître de la Syrie, Ahmed Al-Charaa, n’a sans doute pas intérêt à consommer une rupture définitive avec la Russie, comme le lui a recommandé le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Andrii Sybiha, en visite surprise à Damas le 30 décembre. Il n’empêche que la chute de l’allié Bachar al-Assad –la rencontre Al-Charra-Sybiha en témoigne– remet sérieusement en question le pouvoir d’influence de Vladimir Poutine dans la région. Là aussi, l’effort de guerre ukrainien affecte la crédibilité internationale du président russe. En Azerbaïdjan comme en Syrie, cet affaiblissement est exploité par la Turquie de Recep Tayyip Erdogan, habile pour avancer ses pions dans son environnement proche.
En outre, l’exemple syrien questionne globalement la capacité de la Russie à apporter un soutien solide à ses partenaires. Le sujet est particulièrement sensible pour les dirigeants qui, en Afrique sahélienne, ont troqué un dispositif de défense français contre une promesse de sécurité russe, fût-elle honorée par le groupe de mercenaires Africa Corps, constitué principalement d’anciens de Wagner.
En Russie même, le partenariat scellé avec la Corée du Nord pour la mise à disposition de soldats envoyés sur le front de Koursk, dans la partie du pays théâtre d’une incursion de l’armée ukrainienne à l’été 2024, ne semble pas répondre à toutes les attentes en matière d’efficacité. Sur les 11.000 déployés dans cette région, 3.000, selon Kiev, 1.100, d’après une source en Corée du Sud, auraient déjà été tués ou blessés. Dans ce cas cependant, Vladimir Poutine semble à l’abri de devoir rendre des comptes, comme il y a été exposé par Ilham Aliyev dans le dossier de «l’accident» d’avion au Kazakhstan. Kim Jong-un n’est pas connu pour céder aux –d’ailleurs peu probables– récriminations de sa population.