mercredi, janvier 8

Le formateur Bart De Wever se rend pour la quinzième fois chez le Roi. Jamais une formation annoncée si facile aura duré aussi longtemps. Et si Bart De Wever avait commis plein d’erreurs?

Ce lundi 6 janvier était présenté comme une journée décisive pour qu’enfin advienne un nouveau gouvernement fédéral. Bart De Wever a en effet réuni les cinq présidents de l’Arizona (et Jan Jambon, qui représente la N-VA dans ces longues négociations) lundi, sur le thème crucial de la fiscalité, avant son quinzième rendez-vous chez le Roi, censément riche d’une «percée décisive», ce mardi 7 janvier (à 16 heures).

On dit «enfin» délibérément, parce que rarement dans l’histoire politique contemporaine de la Belgique une coalition aura tant été souhaitée par ce que l’on pourrait qualifier, dans un pays normal, d’establishment: du Roi lui-même, qui délivra le 21 juillet un message royal limpide, à tous les médias du Sud et du Nord, jamais avares d’injonctions à boucler un accord contenant des réformes nécessairement nécessaires, en passant par toutes les fédérations patronales des mêmes latitudes, tous ceux qui comptent dans ce Royaume se sont montrés favorables à l’installation rapide de cette pentapartite rassemblant N-VA, Vooruit et CD&V en Flandre, et MR et Les Engagés en Belgique francophone.

La popularité, unitaire presque, d’un prochain Premier ministre révéré en Flandre et très apprécié des francophones qui comptent, a probablement empêché, jusqu’à présent, que se pose réellement la question de la capacité de formateur de Bart De Wever, ou de sa bonne volonté d’indépendantiste flamand devenu sauveur de la Belgique.

Pourtant, qu’il faille attendre plus de six mois et quinze rendez-vous chez le Roi, alors que l’équipe est connue depuis le soir du 9 juin et que les contraintes sont publiques depuis au moins autant de temps, devrait conduire à se demander si le bourgmestre d’Anvers n’a pas commis quelques erreurs dans son parcours vers le 16. Ou si le président de la N-VA n’a pas pris, pour sauver la Belgique, de bien mauvais virages. Ou s’il ne s’est pas dit que s’il n’y arrivait pas, ce n’était pas si grave, parce qu’il resterait bourgmestre de la plus grande ville de Flandre et président du plus grand parti indépendantiste de Belgique.

1. Bart De Wever a donné la priorité aux négociations régionales

Bart De Wever aimant la Flandre plus que la Belgique, il n’a pas beaucoup dû se battre contre lui-même, ni contre son nouvel allié Conner Rousseau, pour boucler les négociations régionales avant les fédérales. Le jeune socialiste flamand voulait s’assurer de quelques gains rapides, plus accessibles au niveau flamand qu’au niveau belge, avant les communales.

Ainsi obtint-il, par exemple, la fin de la prime de 5.000 euros offerte jadis aux Flamands les moins impécunieux pour tout achat d’une voiture électrique, et son remplacement par un chèque de 250 euros pour que le tiers le plus pauvre des Flamands puisse s’acheter de l’électroménager durable. Conner Rousseau se savait indispensable à l’échelon flamand. Il ne l’est pas au gouvernement fédéral, et pour cela, il insista, auprès d’un Bart De Wever qui n’en avait déjà pas besoin et d’une N-VA qui y était déjà encline, pour que la tripartite flamande advienne prioritairement à la pentapartite arizonienne. Ce fut d’autant plus aisé à obtenir que les vainqueurs francophones, Georges-Louis Bouchez et Maxime Prévot, souhaitaient de leur côté marquer l’alternance par le tempo, et rédiger encore plus vite leurs accords de gouvernements. Eux aussi pensaient à leur région avant de penser à la nation et la DPR wallonne et la DPC de la Fédération Wallonie-Bruxelles furent présentées le 11 juillet, le jour de la fête de la Communauté flamande. Poussée par l’émulation, cette dernière mettrait les gaz après les vacances, donc, mais toujours avant le fédéral.

2. Il a donné la priorité aux négociations communales

Assermenté le 29 septembre, dix semaines après les exécutifs francophones, le nouveau gouvernement flamand N-VA-Vooruit-CD&V a requis le gros de l’énergie estivale de Bart De Wever, président de la principale formation flamande. Mais tout le résidu énergétique du bourgmestre sortant de la principale commune flamande a été investi dans la campagne communale du candidat bourgmestre, puis dans les négociations locales. Dans sa ville, à Anvers, il a fallu deux mois aux nationalistes et aux socialistes pour rédiger leur contrat commun, et Bart De Wever a lui-même choisi de prêter serment, sans encore désigner de successeur formel, comme mayeur le 2 janvier dernier. Dans l’autre grande ville flamande, Gand, Conner Rousseau a été désavoué par ses militants gantois, qui ont refusé de s’associer à la N-VA. Tous les présidents s’en défendent, Bart De Wever moins que les autres, mais, après la campagne électorale elle-même, la gestion de ces urgences municipales a également contrarié le processus de formation royale. Elle a en outre refroidi Conner Rousseau, prisonnier de ses priorités partagées avec Bart De Wever, la régionale puis les locales, et qui, une fois ces accords signés là où ils le pouvaient, s’est retrouvé à la tête d’un parti pas rassuré et au milieu des ultimes négociations du pays, dont le contenu n’était pas rassurant d’un point de vue syndical et mutuelliste.

3. Il a donné la priorité aux revendications de la N-VA

Dans les heures qui suivirent le 9 juin, vainqueurs autoproclamés et triomphateurs incontestables ont laissé dire qu’un accord de gouvernement fédéral était possible avant le 20 juillet, puis ils se sont tous repliés sur leur région. Alors ils ont parlé du 20 septembre, mais pendant que les Flamands se consacraient avant tout à leur région, et que tous ne pensaient qu’à leurs communes, les cinq présidents ont pris soin de bien se quereller une première fois sur le contenu, spécialement sur la fiscalité. C’était à la mi-août, et Georges-Louis Bouchez a été le seul des cinq à refuser une taxation sur les plus-values boursières. Celle-ci avait été introduite parce que les supernota de Bart De Wever, très à droite sur le socio-économique mais aussi très flamingante sur le communautaire, portaient une trop forte teinte de jaune et de noir. Tellement que Georges-Louis Bouchez et Maxime Prévot ont formellement exigé des comptes à Bart De Wever sur le communautaire. Et tant, donc, que les partis les moins à droite de l’Arizona, spécialement le Vooruit de l’ami Rousseau, avaient exigé, par la taxation des plus-values, que, dit la formule désormais consacrée, «les épaules les plus larges» contribuent à l’effort collectif. Les premiers textes mis à discussion étaient trop N-VA et pas assez Arizona, chacun des quatre autres partenaires en sentit les angles sur son flanc. Mais une fois les communales passées, Bart De Wever prend encore ses aises, et se montre encore plus proche des flamands sur le communautaire et plus proche du MR sur le socio-économique. Il n’est plus tenu d’arbitrer en faveur de son jeune associé socialiste, comme il le fut l’été dernier, dans le duel à trois que Bart De Wever se livre, et se livrera, avec Conner Rousseau et Georges-Louis Bouchez.

4. Il a laissé passer des fuites

Les supernota successives ont semblé trop à droite à ceux qui les ont lues parce qu’elles étaient de droite, d’abord, mais surtout parce qu’elles ont été lues. Le premier échec formel de la formation deweverienne survint mi-août après une enfilade de révélations dans la presse, surtout flamande, des intentions socio-économiques de Bart De Wever. Celui-ci a pu en profiter, à l’approche des communales, pour laisser voir qu’il ne transigeait pas, ou peu, avec les socialistes flamands. Mais ceux-ci ont sans doute aussi voulu montrer à leurs traditionnels soutiens à quelles dispositions ils s’opposaient. Dans les deux cas, ces fuites ont complètement miné les discussions estivales.

5. Il a laissé Bouchez se mettre à l’aise

Il n’a pas encore reçu le badge d’Alexander De Croo pour accéder à son bureau, au premier étage du 16, rue de la Loi, que Bart De Wever se retrouve déjà, face à Georges-Louis Bouchez, dans la même situation que son prédécesseur. Sous la Vivaldi, les sorties médiatiques habilement calibrées du président du MR avaient lessivé Alexander De Croo, avaient ridiculisé son autorité tout en le dessinant en otage de la gauche wallonne. Sous l’Arizona, et sans doute Bart De Wever s’en rend-il déjà compte, Georges-Louis Bouchez a déjà tracé les plus gros traits d’une similaire dépiction. Même si l’Arizona penche, et penchera, vers la droite, le Montois trouvera des arguments convaincants pour faire croire qu’elle est trop à gauche, et que Bart De Wever est le petit serviteur du socialisme flamand. Son reach médiatique et sur les réseaux sociaux a déjà été un problème, sous-estimé au début par Bart De Wever. Mais désormais verbalisé, puisque lors de la récente algarade entre Bouchez et le CD&V, il a laissé échapper un «Cinq ans avec cet homme? Je ne pense pas….» dans un soupir tardif. Son quinquennat déjà coincé est pourtant déjà plus qu’entamé.

6. Bart De Wever n’a pas donné d’ultimatum

Est-ce la cause ou la conséquence des cinq erreurs précédentes? Bart De Wever n’a jamais donné d’ultimatum à sa formation, seulement de vagues estimations, revues immédiatement à chaque, et inévitable, dépassement. Si Bart De Wever ne pouvait pas y arriver avant le 21 juillet, on le ferait après. S’il ne pouvait pas boucler pas avant le 20 septembre, ça serait pour avant la Saint-Nicolas. Si la Saint-Nicolas passait, ça serait pour la fin de l’année. La première vraie deadline fut fixée à ce mardi 7 janvier, avec sa percée décisive. Or ne pas tracer une ligne d’arrivée est le plus sûr moyen de ne pas arriver. Peut-être aurait-il fallu le dire en latin à Bart De Wever pour qu’il perçât plus tôt.

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