mercredi, janvier 22

Donald Trump semble décidé à mener une guerre commerciale envers l’Europe, en imposant des taxes douanières sur les produits européens exportés aux Etats-Unis. L’UE, dans une posture délicate, devra répondre au chantage avec souplesse et harmonie. Ce n’est pas gagné, tant les intérêts divergent entre les Etats membres…

«L’UE est très mauvaise pour nous. Ils nous traitent très mal. Ils ne prennent pas nos voitures ou nos produits agricoles. En fait, ils ne prennent pas grand-chose. Donc ils sont bons pour des droits de douane». C’est en ces termes presque puérils que Donald Trump a confirmé son intention de vouloir sanctionner les exportations européennes vers les Etats-Unis. Au risque de déclencher une véritable guerre commerciale entre les deux parties.

L’idée germe dans la tête du président américain réélu depuis un moment. Durant sa campagne présidentielle, il avait déjà dénoncé le déficit commercial des Etats-Unis vis-à-vis de l’UE, comparant le continent à «une petite Chine», qui «profite» de la première puissance économique mondiale. «Nous avons un déficit commercial avec l’UE de 350 milliards de dollars (NDLR: le chiffre n’est pas authentifié)», a-t-il insisté à la suite de son investiture. «La Chine est agressive mais il n’y a pas que la Chine. D’autres pays sont aussi de grands agresseurs.»

Réponse immédiate mais plus mesurée de l’Europe, via la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, qui a assuré que l’Europe était prête à discuter, tout en rappelant que Washington était un partenaire commercial majeur. «Nous serons pragmatiques mais fermes sur nos principes: la défense de nos intérêts et le respect de nos valeurs.»

Avec, déjà, un petit appel du pied à la Chine. «Le message que nous adressons au reste du monde est simple: nous sommes prêts à engager un dialogue avec vous si cela peut conduire à des avantages réciproques», a-t-elle souligné, assurant vouloir «approfondir» la relation entre Bruxelles et Pékin.

Tarifs douaniers: le chantage Trump

«Trump avance toujours l’argument du déficit commercial américain, remarque Gonzague Vannoorenberghe, professeur d’économie à l’UCLouvain et spécialiste du commerce international. Ce n’est pas un élément neuf, puisque ce déficit est monstrueux depuis plus de 20 ans. L’Union européenne bénéficie d’un surplus commercial avec les USA de 100 à 140 milliards selon les années. En d’autres termes: on exporte plus qu’on importe.» Mais Trump utilise aussi cet argument de déficit pour d’autres objectifs, davantage géopolitiques. Comme lorsqu’il menace le Danemark d’instaurer des tarifs douaniers élevés si le pays refuse l’annexion du Groenland. «Tout cela s’apparente à du chantage.»

Lors de sa campagne, Trump avait déclaré que «tariff» (droit de douane) était le plus beau mot du dictionnaire. «Cette phrase en dit long, commente Karine Balmes (CB Expertise Douane), experte des problématiques douanières. La difficulté, pour lui, sera de trouver un équilibre entre sa volonté protectionniste et les réalités d’un monde globalisé. Les Etats-Unis continuent à importer énormément, notamment des produits technologiques en provenance d’Asie. Les projets de Trump pourraient donc affecter directement le pouvoir d’achat des Américains.»

Tarifs douaniers: avec Trump, la menace est crédible

L’Europe, elle, importe environ 600 milliards d’euros par an des Etats-Unis, et exporte 700 milliards, estime Gonzague Vannoorenberghe. «Ce qui signifie que contrairement à ce qu’affirme Trump, l’Europe importe tout de même beaucoup des Etats-Unis.»

Des taxes douanières de 10 à 20% appliquées sur les produits européens, est-ce bien réaliste? «Oui, il est tout à fait capable de les mettre en place, s’inquiète l’expert de l’UCLouvain. Il l’a déjà fait avec la Chine en 2018, avec des tarifs douaniers à 25% (NDLR: taux qu’il souhaite cette fois appliquer envers le Canada et le Mexique). Le passé montre qu’avec Trump, cette menace est crédible. Son application dépendra des concessions qu’il obtiendra, mais il utilisera cette arme à 100%.»

Contrairement à ce qu’affirme Trump, l’Europe importe beaucoup des Etats-Unis.

Gonzague Vannoorenberghe

UCLouvain

En cas d’application, l’impact sur l’économie européenne serait immédiat: l’UE consacre 15% de ses exportations aux Etats-Unis. Et pour certains secteurs belges (chimie, pharmaceutique), cette part dédiée aux USA est encore bien plus élevée.

Comment l’Europe pourrait-elle répondre? Augmenter les prix de vente à l’exportation de façon à maintenir une balance positive est une option peu probable, selon Gonzague Vannoorenberghe. «C’est même l’inverse qui pourrait se passer. Si des tarifs de 10% sont appliqués, les Etats-Unis espèrent que les exportateurs européens baissent leurs prix avant-tarifs, de 5% par exemple, afin de participer au coût total. Sans quoi le risque, pour les Etats-Unis, serait de voir un effet sur l’inflation.»

Mais tant que les décisions ne sont pas actées, il demeure compliqué pour l’UE de trouver un axe de défense. D’autant plus que Trump est seul, alors l’Europe, avec ses 27 membres, doit composer avec des intérêts multiples. «Si la France défendra surtout l’aéronautique, l’Allemagne voudra plutôt mettre l’accent sur l’automobile, compare Karine Balmes. L’Europe se trouve donc retrouve en étau. Car elle peut également exporter des produits chinois au départ de l’Union européenne. Dans ce cas de figure, des surtaxes pourraient s’appliquer.»

Le but final de Trump est que l’Europe exporte moins de produits qui viennent concurrencer ses propres industries.

Par ailleurs, l’UE a passé une quarantaine d’accords de libre-échange avec une multitude de pays émergents, que Trump souhaite également pénaliser car ils les considère comme une menace. «L’Europe est en posture délicate, car son sourcing est le fruit d’accords avec la Chine ou des pays émergents, et d’un autre côté, les Etats-Unis restent le premier client de l’UE. La position est difficilement tenable pour Ursula von der Leyen», estime Karine Balmes, pour qui «la riposte devra être la plus souple possible face au personnage Trump, dont le but final est que l’Europe exporte moins de produits qui viennent concurrencer ses propres industries. C’est l’America first

Le président américain, un pouvoir unique sur les tarifs

Un tarif douanier de 10% n’est pas pour autant rédhibitoire: il permettrait encore, pour les Etats-Unis, l’importation des biens nécessaires. Même si leur volume pourrait clairement baisser. Par ailleurs, rien ne dit que Trump appliquera un tarif de 10% ou 20% uniformément. Il pourrait ainsi mettre l’accent sur certains secteurs stratégiques, dont les USA dépendent moins. «La compétence du président américain est très forte en matière de tarifs, souligne Gonzague Vannoorenberghe. Il peut faire ce qu’il veut et les appliquer très rapidement. Il lui suffit d’évoquer un risque pour la sécurité nationale, ou pour l’équité commerciale. Il a des passe-droits, et il les utilise.»

Pour augmenter les tarifs douaniers, Trump peut simplement évoquer un risque pour la sécurité nationale ou l’équité commerciale. Il a des passe-droits, et il les utilise.

Gonzague Vannoorenberghe

(UCLouvain)

Que réclame Trump dans son marchandage? L’aspect énergie est central, et le milliardaire ne s’en cache pas. «J’ai dit à l’Union européenne qu’elle devait combler son énorme déficit avec les États-Unis en achetant à grande échelle notre pétrole et notre gaz, sinon, ce sont les TARIFS DOUANIERS jusqu’au bout!!!», s’était-il emporté sur son réseau social Truth, mi-décembre.

Depuis la guerre en Ukraine et la coupure presque totale des importations de gaz russe en Europe, les achats de gaz naturel liquéfié (GNL) américain ont pourtant considérablement augmenté. Avec la mise en service de nouveau terminaux. Mais ces accords peuvent encore s’intensifier. «Lorsque Trump avait instauré des tarifs sur l’acier en 2018, l’Europe avait répliqué en augmentant les tarifs sur les Harley-Davidson. Parfois, on reste dans le symbolique», note Gonzague Vannoorenberghe.

Les Américains aisés seront touchés

L’avènement d’une guerre commerciale dépendra de la réaction de l’Europe. Il est difficile de prédire à quel point elle cèdera ou non au chantage. «Dans l’UE, les intérêts des pays membres sont assez divergents, souligne l’expert en commerce international. Parvenir à un consensus ferme s’annonce complexe. Trump appuie clairement sur le bouton ‘diviser pour mieux régner’.» Par exemple, l’industrie automobile allemande, en mauvaise posture, exporte beaucoup aux Etats-Unis. «Elle verrait d’un très mauvais œil un conflit commercial avec les Américains.»

Si tous les ingrédients pour une guerre commerciale semblent réunis, l’Europe tentera d’abord des compromis. «Elle analysera les éléments qu’elle peut céder à Trump. Si ce terrain d’entente n’est pas envisageable, alors l’Europe augmentera aussi les tarifs sur les biens américains, et la guerre commercial sera lancée.»

Dans sa volonté de redistribuer les cartes du libre-échange, Trump pourrait pénaliser une partie de son électorat, à savoir les personnes les plus aisées aux Etats-Unis. «Les consommateurs américains sont les plus friands des produits de luxe français, des vins de bordeaux ou du cognac, donne en exemple Karine Balmes. Tous les secteurs trop subventionnés par l’Europe aux yeux de Trump risquent d’être ciblés avec des droits anti-dumping. Notamment l’aéronautique, le textile, l’automobile ou la métallurgie. La taxation douanière ferait donc aussi mal au portefeuille des personnes les plus aisées aux Etats-Unis.»

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