Le nouveau gouvernement britannique a décidé de supprimer les allégements fiscaux accordés aux plus riches. Les détracteurs craignent un exode, mais celui-ci ne serait pas aussi important qu’annoncé, estime l’expert Andy Summers.
Depuis les élections de juillet 2024 au Royaume-Uni, la nouvelle chancelière de l’Échiquier, Rachel Reeves, a supprimé une série d’avantages fiscaux dont bénéficiaient principalement les très riches étrangers. Depuis, les journaux conservateurs multiplient les articles alarmistes, avançant qu’un exode massif des riches – et de leurs capitaux – serait imminent. Andy Summers, professeur de droit à la London School of Economics (LSE), étudie depuis des années la fiscalité des grandes fortunes. Avec son équipe, il a cherché à savoir si les riches ne tenaient vraiment compte que du taux d’imposition lorsqu’ils choisissaient leur lieu de résidence.
Les riches vont-ils vraiment faire leurs valises et quitter le Royaume-Uni?
Andy Summers: C’est une idée récurrente. Chaque fois qu’une réforme fiscale majeure est annoncée et concerne les gros revenus, un groupe bien organisé et bruyant de conseillers fiscaux et patrimoniaux se fait entendre, mettant en garde contre le départ des plus riches. Les réformes de Rachel Reeves vont plus loin que ce qui a été fait précédemment, avec l’abolition complète du statut dit de non-domicilié ou de non-dom.
Ce statut concerne les Britanniques domiciliés à l’étranger pour des raisons fiscales et les étrangers fortunés qui résident au Royaume-Uni, mais qui ne paient pas d’impôts sur les revenus qu’ils perçoivent à l’étranger, c’est bien ça?
L’exode massif des fortunes a toujours été une crainte, mais l’Histoire a montré qu’il ne s’agissait que de paroles en l’air. Prenons l’exemple du gouvernement de Theresa May, qui a réformé le statut de non-domicilié en 2017. À l’époque déjà, il s’était fait l’écho d’appels au départ des riches. Certains sont effectivement partis, mais ils étaient beaucoup moins nombreux qu’annoncés. Reste à savoir si la situation sera différente cette fois-ci. Pour cela, il faudra attendre que les données fiscales fournissent des preuves plus solides.
Qui a quitté le pays, à ce moment-là?
Selon nos recherches, ce sont surtout ceux qui payaient le moins d’impôts qui ont quitté le Royaume-Uni. Le taux de départ au sein de ce groupe est passé d’environ 5 à 10% par an. Ces personnes étaient peut-être très riches, et il n’est pas exclu qu’elles aient dépensé beaucoup d’argent au Royaume-Uni, mais elles ont payé peu d’impôts. Les 90% des riches qui sont restés ont payé en moyenne 150% d’impôts en plus qu’auparavant.
De nombreuses personnes très riches sont assez insensibles au montant des impôts qu’elles doivent payer.
Pourquoi 90% des plus riches sont restés?
Beaucoup d’entre eux ont des enfants au Royaume-Uni, peut-être étaient-ils encore à l’école à l’époque. Ou bien, se sont-ils constitué un réseau d’amis et de relations d’affaires. Il leur était donc difficile – et potentiellement plus coûteux – de partir que de rester.
Dans le cadre d’une autre étude, vous avez interrogé des dizaines d’ultra-riches afin de comprendre le rôle que jouent les impôts dans le choix de leur lieu de résidence. Qu’a-t-elle révélé?
De nombreuses personnes très riches considèrent Londres comme un «produit haut de gamme» pour lequel elles sont prêtes à payer un prix élevé. Beaucoup d’entre elles considèrent que leur grande richesse leur permet de vivre là où elles le souhaitent, plutôt que là où elles bénéficient des meilleurs avantages fiscaux. Autrement dit, de nombreuses personnes très riches sont assez insensibles au montant des impôts qu’elles doivent payer. Certaines ont bien déclaré avoir envisagé de s’installer dans un paradis fiscal aux Caraïbes, en Suisse ou à Dubaï, toutefois, beaucoup ont indiqué que ces endroits étaient trop ennuyeux sur le plan culturel.
Dans quelle mesure le statut de non-domicilié était avantageux jusqu’à présent?
C’était intéressant pour les personnes disposant d’une fortune considérable, mais moins avantageux pour les personnes qui gagnaient l’essentiel de leurs revenus en travaillant. Il suffisait de dire que l’on vivait actuellement au Royaume-Uni, mais que l’on avait l’intention de rentrer dans son pays pour que les autorités fiscales accordent ce statut particulier.
Ce statut a toujours été très controversé. Pourquoi ne le supprime-t-on que maintenant?
Il y a eu de nombreux scandales concernant des personnalités qui ont eu recours au statut de non-domicilié. En 2022, par exemple, on a appris qu’Akshata Murty, l’épouse de Rishi Sunak, avait revendiqué ce statut lorsque son mari était Premier ministre. Jusqu’à récemment, le gouvernement lui-même ne savait pas vraiment si l’abolition générerait des recettes fiscales ou si elle coûterait de l’argent au pays. Notre étude de 2022 a été la première à présenter une estimation précise du montant que l’abolition de ce statut pourrait rapporter. Le gouvernement a ensuite réalisé sa propre analyse interne et est parvenu à une conclusion similaire.
Qu’en est-il de l’argument selon lequel les ultra-riches ne paient pas autant d’impôts qu’ils le devraient, mais créent tout de même des emplois et dépensent de l’argent, contribuant de ce fait à l’économie d’une autre façon?
Les arguments se mélangent parfois. Si ces personnes ont des employés, la question économiquement pertinente est de savoir ce que ces employés feraient s’ils travaillaient pour quelqu’un d’autre. On fait souvent comme s’il s’agissait d’emplois et d’impôts supplémentaires, alors qu’en réalité, ces personnes pourraient être engagées dans d’autres activités. Nous ne savons pas dans quelle mesure il s’agirait d’une perte pour l’économie britannique, si ces riches n’étaient plus là.
De nombreux riches qui «fuient» le pays ne déménagent pas vraiment…
Dans le système fiscal britannique, vous disposez d’un nombre fixe de jours que vous pouvez passer au Royaume-Uni sans être considéré comme résident. Le nombre exact de jours dépend de facteurs tels que le travail et le logement. Pour la plupart des gens, la limite est de 90 jours par an, mais elle peut être plus élevée. Les personnes qui passent déjà beaucoup de temps à l’étranger n’ont pas nécessairement besoin de quitter le pays. A la place, elles réduisent simplement le nombre de jours qu’elles passent au Royaume-Uni.
De l’opinion générale, le nombre de personnes riches au Royaume-Uni diminue depuis un certain nombre d’années. Est-ce vraiment le cas?
Nous ne pouvons pas l’affirmer avec certitude, car nous ne disposons pas de preuves fiables comme des données fiscales. Mais je suis d’accord pour dire qu’il existe des preuves allant dans ce sens. Le Brexit aura été un facteur assez déterminant de la délocalisation des entreprises, en particulier dans le secteur des services financiers, lequel est très international et génère des revenus élevés.
Etes-vous favorable à une augmentation des impôts pour les plus riches?
Je ne sais pas s’il faut augmenter les impôts, mais je pense que les impôts actuels sur les grosses fortunes sont non seulement injustes dans de nombreux domaines, mais aussi très inefficaces. Il est possible de procéder à des ajustements qui seraient bénéfiques pour l’économie et potentiellement plus progressifs.
Vous proposez notamment une «taxe de sortie» à payer lorsque quelqu’un déménage et quitte le pays?
Le Royaume-Uni est un cas isolé à l’échelle internationale, car il ne taxe pas les plus-values des personnes qui quittent le pays. Au sein du G7, tous les pays, à l’exception de l’Italie et du Royaume-Uni, prélèvent une forme ou une autre de taxe de sortie sur les plus-values. Le point commun est l’idée qu’il est juste de payer l’impôt sur les plus-values dans le pays où l’on a réalisé ces plus-values. C’est souvent le cas lorsque l’on crée une entreprise prospère.
Au moins 3 milliards d’euros par an de recettes fiscales potentielles sont perdues lorsque les personnes quittent le Royaume-Uni.
Dans la pratique, les gens s’installent dans un autre pays qui n’impose pas du tout les plus-values, ou dans lequel les plus-values des nouveaux arrivants sont exonérées d’impôt. Elles n’ont donc pas à payer d’impôt sur la valeur de l’entreprise qu’elles ont créée au Royaume-Uni. Pourtant, elles ont profité des infrastructures, de l’éducation, des soins de santé, du système juridique et de bien d’autres choses encore sur le territoire britannique. Nombreux sont ceux qui estiment que cette situation est injuste.
Que rapporterait cette taxe au gouvernement?
D’importantes recettes fiscales sont en jeu. Même avec les taux d’imposition actuels sur les plus-values, qui sont encore relativement bas (24% maximum), nous estimons qu’au moins 3 milliards d’euros par an de recettes fiscales potentielles sont perdues lorsque les personnes quittent le Royaume-Uni sans payer l’impôt sur les plus-values. Et il s’agit là d’une estimation prudente.
L’introduction d’un impôt sur la fortune ou d’un impôt sur le patrimoine suscite de vives discussions. Quelle est votre position à ce sujet?
L’argument le plus souvent avancé contre l’impôt sur la fortune est qu’il a échoué dans plusieurs pays et qu’il n’est plus prélevé que dans trois pays de l’OCDE: la Norvège, l’Espagne et la Suisse. En 2020, nous avons mené des recherches très approfondies sur ce sujet et avons constaté que dans presque tous les cas où l’impôt sur la fortune a été mis en place, il y a d’abord eu une érosion progressive par le lobbying politique en faveur d’exemptions pour certains groupes de contribuables ou certains actifs.
Et quel en a été le résultat?
Une fois que certains types d’actifs sont exonérés, il devient possible d’éviter l’impôt sur la fortune en investissant dans ceux-ci. Et c’est ce que les gens ont fait. On se retrouve alors dans une spirale négative où l’impôt rapporte de moins en moins parce que tout le monde peut facilement l’éviter. Il est ensuite plus aisé d’affirmer que cet impôt sur la fortune ne rapporte pas beaucoup d’argent, et qu’il vaut dès lors mieux le supprimer. Et c’est exactement ce qui s’est passé. L’expérience internationale ne montre pas que les impôts sur la fortune ne fonctionnent pas, mais simplement qu’un impôt sur la fortune doit être très complet pour être efficace.
Vous êtes donc plutôt favorable à l’instauration d’un impôt sur la fortune?
Il existe de nombreux impôts indirects sur le patrimoine, tels que l’impôt sur les plus-values, l’impôt sur les successions et l’impôt foncier. Au Royaume-Uni, ceux-ci présentent d’importantes lacunes. Notre conseil est le suivant: il faut d’abord rendre les impôts existants plus transparents. Une fois que nous aurons un système fiscal pleinement opérationnel, nous devrons débattre de la nécessité d’un impôt supplémentaire sur la fortune. Nous pensons qu’il y a de bonnes raisons de le mettre en place, mais uniquement pour les personnes les plus riches dont le patrimoine est supérieur à 12 millions d’euros.