dimanche, décembre 22

D’après de récents calculs de la fédération Energia, les émissions d’une voiture roulant à l’Hydrotreated vegetable oil (HVO) seraient inférieures de 34% à celles d’un véhicule électrique. Mais dans la pratique, le bilan est plus nuancé.

En misant sur la mobilité 100% électrique, l’Europe négligerait-elle une alternative déjà disponible et moins nocive pour le climat? C’est ce que laisse entendre un récent communiqué d’Energia, l’ex- fédération pétrolière belge, logiquement partie prenante pour un tel sujet. En s’appuyant sur un calculateur de Concawe, un institut de recherche associé aux producteurs européens de carburant, elle vante notamment les vertus du HVO («Hydrotreated vegetable oil»), un biocarburant de seconde génération susceptible de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 90% par rapport à un carburant fossile classique. Quand il provient de déchets (huiles végétales usagées, graisses animales, résidus organiques…), le HVO comporterait une intensité carbone nette presque neutre: lors de sa croissance, le végétal auquel il recourt est censé avoir capté dans l’atmosphère le CO2 émis lors de sa combustion. Bref, l’usage d’un tel biocarburant équivaudrait à recycler du CO2.

« La quantité de déchets produits ne suffira jamais à alimenter tout le secteur avec du HVO 100% renouvelable. »

Une comparaison biaisée?

La conclusion d’Energia: le bilan CO2 net global d’un véhicule thermique roulant au HVO serait inférieur de 34% à celui d’une voiture électrique, selon une approche basée sur l’analyse du cycle de vie (ACV). Outre la combustion du carburant en tant que tel, celle-ci prend notamment en compte les émissions liées à la fabrication et au recyclage d’un véhicule et de ses composants. Le HVO est déjà disponible dans quelques stations-service, à un prix toutefois plus élevé que les carburants classiques (2,37 euros le litre au prix actuel maximal, contre 1,85 euro pour le diesel conventionnel). Il est, en outre, compatible avec les motorisations d’un nombre croissant de constructeurs automobiles. Pourtant, une bonne partie du grand public, à qui l’on propose, à terme, une mobilité 100% électrique elle-même perfectible, ignore son existence. Du gâchis pour la transition énergétique en matière de mobilité?

Dans les faits, il conviendrait de nuancer les vertus annoncées du HVO par ses partisans. S’il émet incontestablement moins de CO2 que les combustibles classiques, il ne gagne pas nécessairement le match face aux voitures électriques. «Le comparateur de Concawe est intéressant pour montrer les différentes facettes de ce qui compose le bilan carbone d’une voiture, mais chaque colonne comporte un grand nombre d’incertitudes», commente Francesco Contino, professeur à l’Ecole polytechnique de l’UCLouvain et spécialiste des combustibles alternatifs. «L’erreur d’Energia est de comparer le bilan actuel des voitures électriques avec celui, idéalisé, du HVO, ajoute Aurore Richel, professeure et directrice du Laboratoire de biomasse et technologies vertes de Gembloux Agro-Bio Tech (ULiège). Si l’on parvient à réduire significativement les émissions liées à la production d’électricité, le véhicule électrique présentera un bilan carbone nettement plus faible à l’avenir.»

D’un côté, les hypothèses d’Energia s’avèrent en effet plutôt pessimistes à l’égard des voitures électriques. La fédération considère, par exemple, une intensité carbone moyenne de 230 grammes de CO2-équivalent par kilowattheure (kWh) d’électricité consommée en Belgique. Or, les plus récentes estimations fournies par la plateforme Electricity Maps font état d’une intensité carbone de 178 grammes par kWh en 2023. Par ailleurs, elle considère un niveau d’émissions de 120 kilos de CO2-éq pour la fabrication d’un kWh de batterie, selon différentes études scientifiques. Or, l’une d’elles en particulier – Ambrose et Kendall, université de Californie, 2016 – tire cette valeur vers le haut. «Selon un état de l’art plus raisonnable, ces émissions pourraient plutôt avoisiner les 70 kilos de CO2-eq par kilowattheure», suggère Aurore Richel.

Et de l’autre côté, Energia prend l’exemple d’un HVO 100% renouvelable, ce qui n’est pas nécessairement le cas dans la pratique. «Le HVO provient d’huiles végétales traitées avec de l’hydrogène à haute température et à haute pression, poursuit l’experte. Encore faut-il que cet hydrogène soit produit à partir de sources renouvelables. Par ailleurs, une grande partie du HVO actuellement sur le marché provient de mélanges d’huiles qui ne sont pas encore des déchets. Il y a donc un premier problème: la quantité de déchets produits ne suffira jamais à alimenter tout le secteur de l’automobile.» Consommé à très grande échelle, le HVO ne pourrait, de ce fait, pas remplir les critères d’un carburant 100% renouvelable. En tenant compte de paramètres moins optimistes, il peut réduire les émissions de CO2 non plus de 90% par rapport à un carburant classique, mais plutôt de 50% à 60%.

En ajustant les paramètres du calculateur de Concawe en conséquence, Le Vif obtient d’ailleurs des résultats bien différents du scénario de référence d’Energia. D’autant que ces ordres de grandeur ne tiennent pas compte des autres externalités des véhicules. Dans les analyses de cycle de vie les plus complètes, les émissions de gaz à effet de serre ne constituent qu’un indicateur parmi bien d’autres – il en existe seize au total, incluant, entre autres, les émissions de particules fines, l’épuisement des ressources ou encore les effets toxicologiques sur la santé humaine. Toutefois, en matière d’intensité carbone, le HVO 100% renouvelable rivaliserait bel et bien avec les motorisations électriques.

« Au-delà des carburants, il est bien plus important de réduire les kilomètres parcourus. »

Une opposition peu pertinente

A l’heure actuelle, la production de HVO reste marginale. D’après l’organisme IFP Energies nouvelles, successeur de l’ancien Institut français du pétrole, l’HVO représentait, en 2022, près de 22% des bio- diesels consommés dans le monde (+ 15% par rapport à 2021). Si la capacité de production ne cesse d’augmenter au fil des ans, le HVO entrera en concurrence avec d’autres usages énergétiques. «Dans les projections faites, la biomasse joue généralement un rôle très important pour la transition énergétique, précise Francesco Contino. Mais si on l’utilise pour la production de chaleur à haute température, on ne pourra pas utiliser le volume équivalent pour la mobilité, et vice versa. Or, il nous faut “défossiliser” beaucoup d’usages

La raffinerie de la société finlandaise Neste, aux Pays-Bas, est le plus grand producteur mondial de HVO. © Neste

Bus, camions, engins agricoles, navires de marchandises… Plutôt que de servir à la mobilité individuelle, le HVO pourrait davantage soutenir la réduction des émissions liées au transport maritime ou routier. En sachant que les volumes réservés à ces éventuelles fins entreront alors en concurrence avec les carburants durables d’aviation (ou SAF, pour «sustainable aviation fuel»). «C’est le retour sur investissement qui dictera le poids respectif de ces biocarburants», résume Aurore Richel.

Pour les deux experts sollicités, il n’est pas pertinent d’opposer les voitures électriques et celles roulant au HVO. La transition énergétique devra recourir à un ensemble de solutions qui ne sont pas mutuellement exclusives. Mais deux obstacles se dressent sur la route d’une mobilité davantage axée sur le HVO. Le premier est économique: plus cher que le diesel conventionnel, le HVO reste soumis à la même fiscalité que celle portant sur les combustibles fossiles classiques. Le prix à la pompe n’incite donc en rien le particulier ou le professionnel à opter pour ce biocarburant. Le deuxième est politique: à partir de 2035, toutes les voitures et camionnettes neuves vendues dans l’Union européenne ne devront fonctionner qu’avec des carburants neutres en CO2. Selon Energia, cette définition permettrait de recourir à du HVO 100% renouvelable. Ce n’est cependant pas la lecture qu’en fait Francesco Contino: «Même en roulant avec des e-fuels, une voiture à moteur thermique émettra toujours du CO2, ne serait-ce que par le lubrifiant utilisé.»

Au-delà des carburants, il est bien plus important de revoir les pratiques de mobilité et de réduire le nombre de kilomètres parcourus, souligne encore le professeur de l’UCLouvain. «On le voit, aucune solution n’est parfaite. En Belgique, en raison de l’aberration qu’est la voiture de société, il est vrai qu’on croise beaucoup de véhicules électriques aux proportions monstrueuses sur nos routes. Mais je ne pense pas que la mobilité électrique soit condamnée à cela. Pour Monsieur et Madame Tout-le-Monde, des voitures meilleur marché et de plus petit gabarit vont se généraliser. Il n’y a pas tant de personnes que cela qui doivent parcourir plus de trois cents kilomètres par jour en voiture. De manière générale, si l’on ne parvient toujours pas à entrer dans les limites planétaires, c’est qu’il faut bannir certains systématismes.» Car même quand elle repose sur de l’électricité ou des biocarburants majoritairement renouvelable, la mobilité zéro carbone n’existe pas.

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