L’intelligence artificielle pourrait révolutionner la PMA (procréation médicalement assistée) d’ici les cinq prochaines années en Belgique. Ailleurs en Europe et aux Etats-Unis, des centres de PMA utilisent déjà l’IA dans leur processus de fécondation in vitro, mais le procédé n’est pas encore tout à fait au point.
Le futur se fera avec l’intelligence artificielle, ou ne se fera pas. C’est particulièrement le cas dans le domaine de la PMA (procréation médicalement assistée), où le procédé pourrait être utilisé pour augmenter le taux de réussite des fécondations in vitro (FIV). «C’est le sujet chaud du moment en PMA. Depuis deux ans, dans tous les congrès et conférences, l’IA est le mot sur toutes les lèvres», affirme Jérôme Colin, embryologiste, responsable qualité au centre PMA du CHU Saint-Pierre.
Aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou encore en Espagne, certaines cliniques ont pris de l’avance et utilisent déjà l’IA pour sélectionner les «meilleurs» embryons, spermatozoïdes, et ovocytes susceptibles d’aboutir à une grossesse viable.
En Belgique, pionnière en matière de PMA, les centres gardent le concept en ligne de mire avec prudence. Au CHU Saint-Pierre, la politique est «d’attendre que les choses se posent. On observe ce qui se passe sur le marché, pour l’intégrer dans un futur proche», renseigne Jérôme Colin. Brussels IVF, le centre de médecine de la reproduction de l’UZ Brussel, est un peu plus proactif. «On n’utilise pas encore l’IA dans notre processus mais on est en train de tester un logiciel américain en clinique», indique le professeur Herman Tournaye, gynécologue et chef de service à Brussels IVF.
L’IA, une aide précieuse pour le médecin
Il y a actuellement deux principaux processus sur lesquels l’IA est en train de se développer en matière de PMA: la sélection des meilleurs embryons, fécondés in vitro, à implanter chez la future mère, et la sélection des spermatozoïdes. Pour Koen Wouters, l’embryologiste clinique en charge des tests à l’UZ Brussel, les deux seront «vraiment bénéfiques dans le futur». Comment ça marche?
La sélection des embryons se fait grâce à une caméra qui prend continuellement des photos du «verre» où sont cultivés les embryons. Les chercheurs obtiennent alors une time lapse de l’évolution de l’embryon et peuvent ainsi suivre la totalité de sa division cellulaire. L’IA peut alors aider à détecter une anomalie, et donner un score sur le potentiel de viabilité. De plus, la caméra permet d’éviter de sortir les embryons de l’incubateur dans lequel ils sont conservés. «L’humain ne peut pas regarder continuellement tous les embryons à longueur de journée, l’IA peut nous aider à observer ce qu’on ne peut pas voir», explique l’embryologiste.
Quant à la sélection des spermatozoïdes, les outils peuvent donner des indications sur leur qualité, leur concentration, et leur morphologie pour voir lesquels sont les meilleurs à utiliser pour une FIV. «Ça fonctionne bien, et le gros avantage: ça prend moins de temps que de le faire manuellement», se réjouit Koen Wouters.
«C’est toujours le médecin qui choisit, mais le résultat de la machine permet de corroborer la décision du médecin, précise son collègue gynécologue. Pour l’instant, on est en train de comparer ce que le système dit avec ce que le médecin a choisi.» Brussels IVF teste aussi des logiciels qui aident à déterminer la dose d’hormones à injecter chez les patientes, et le moment le plus opportun pour déclencer l’aspiration des ovules, premières étapes d’une fécondation in vitro.
Pas encore au point
Si certains tests semblent concluants, tous les processus d’IA ne sont pas encore au point. «L’arrivée de l’IA dans les laboratoires de PMA est très récente, et comme tout ce qui est récent, ça part dans tous les sens», précise Jérôme Colin. Plein de firmes veulent mettre leurs pions sur le marché, sans pour autant que toutes soient encore précises.
Pour fonctionner correctement, l’algorithme de l’IA a besoin d’être alimenté avec des données. «Le problème avec les logiciels américains, c’est que les données viennent des patientes américaines. Or, il y a beaucoup de différence entre les Etats-Unis et l’Europe. Ce qui en limite l’application», explique le docteur Tournaye. L’indice de poids n’est pas le même par exemple, il y a beaucoup plus d’obèses aux Etats-Unis».
Les médecins estiment toutefois que l’IA apparaîtra d’ici les cinq prochaines années en PMA. «Le CHU Saint-Pierre sera intéressé une fois que le procédé aura été sécurisé et prouvé, tout ce qui permet de faire augmenter le niveau de résultat est bon à prendre», promet Jérôme Colin.
Le problème du financement
En PMA, la procédure n’aboutit pas toujours. En 2020 en Belgique, 33.245 cycles de FIV ont été entrepris, ce qui a conduit à 5.194 naissances, soit 4,6 % de toutes les naissances de l’année, selon l’Institut européen de bioéthique. Alors qu’une personne sur six est touchée par l’infertilité dans le monde, selon l’estimation de l’Organisation mondiale de la santé en 2023, appliquer l’IA en matière de FIV pourrait s’avérer être un vrai plus.
Mais un tel procédé sera difficilement finançable en Belgique, s’accordent à dire les médecins de l’UZ Brussel et du CHU Saint-Pierre. En particulier pour les hôpitaux publics, dont la situation financière est déjà critique. «Toute cette technologie va coûter cher en achat et en maintenance», souligne Jérôme Colin. Comme le système de santé belge fonctionne au forfait, Herman Tournaye doute que le gouvernement voudra rembourser le coût supplémentaire de cette procédure. Ce sont donc surtout les hôpitaux privés étrangers qui peuvent facturer ce qu’ils veulent aux patients qui auront la mainmise sur le marché, dans un premier temps.